A la découverte d’une communauté méconnue : les Afro-palestiniens


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Palestiniens et Africains : deux identités antagonistes et complémentaires sur une terre aux multiples visages. Voyage au cœur d’une communauté dont les racines remontent à l’empire Ottoman.

Par Hélène Laîné

Anciens bâtiments de l'empire OttomanA l’intérieur des murailles de la Vieille ville de Jérusalem, les touristes peuvent déambuler dans les ruelles étroites des quartiers juifs, arabes, chrétiens, arméniens. Mais un territoire reste absent des guides touristiques, celui de la petite communauté afro-palestinienne. Ali vit dans une minuscule chambre qui fait aussi office de salon et de cuisine. Il est l’un des chefs de la communauté africaine de la vieille ville de Jérusalem. La fenêtre ouverte, l’appel à la prière s’entend très nettement. La Mosquée d’Al-Aksa s’élance à seulement une dizaine de mètres de là. C’est aux pieds du troisième lieu sacré de l’islam, qu’une quarantaine de familles afro-palestiniennes, soit près de 350 membres, ont élu domicile, une grande partie entre les murs d’une ancienne prison de l’empire Ottoman, des bâtiments vieux du XIIIe siècle et de l’épopée mamlouke. Les appartements ne sont guère plus grands que les cellules de l’époque mais font figure de point d’ancrage pour une communauté qui dépasse aujourd’hui les frontières de la Vieille Ville de Jérusalem. Elle est également présente dans le désert du Néguev ou dans le nord d’Israël mais aussi sur le territoire palestiniens à Tulkarem ou à Gaza.

« Plus Palestiniens que les Palestiniens »

Quelles sont les origines de cette communauté méconnue ? Elle puise essentiellement ses racines de quatre pays du continent africain : le Tchad, le Sénégal, le Soudan et le Nigéria. Elle serait composée des descendants de la tribu arabe, Al Salamat, originaire d’Arabie saoudite, qui s’est ensuite dispersée au Tchad et au Soudan. Son destin est intimement lié à celui de la mosquée Al-Aksa. De l’époque Mamlouk (XIIIe-XIVe siècle) à l’empire Ottoman, les ancêtres des Afro-palestiniens d’aujourd’hui endossent les costumes de pèlerins musulmans ou celui hautement respecté de gardiens de la mosquée Al-Aksa. Les murs du quartier africain de Jérusalem recellent d’ailleurs de dessins et de messages laissés par les croyants sur le chemin du pèlerinage. Certains ne reviendront jamais sur le continent africain.

Au pied de la mosquée Al-Aksa« Nous sommes plus Palestiniens que les Palestiniens », glisse Ali en référence à une histoire plusieurs fois centenaire en Terre sainte. Plusieurs descendants feront, ensuite, partie de la garde rapprochée du grand mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini, sous le mandat britannique (1920-1948). Et se couvrent de gloire. L’un d’entre eux, Haj Othman Al Takrori, se fera tué à la place du mufti au pied de la moquée d’Al-Aksa. En signe de reconnaissance, ce dernier offre à la communauté africaine la propriété des deux bâtiments qui longent la mosquée, l’ancienne prison ottomane reconvertie en hôtels pour les pèlerins sous le mandat britannique. Mais l’immense majorité des membres de la communauté africaine sont les descendants des combattants de « l’Armée du salut » égyptienne envoyée pour combattre Israël juste après la proclamation de son indépendance en 1948.

Partie prenante dans les « intifada »

YasserPiété et lutte armée sont les deux faces de l’histoire de cette communauté africaine. Aujourd’hui, la première identité semble avoir été délaissée au profit de la seconde. Ses membres ne se qualifient plus comme des musulmans à la piété particulièrement marquée. C’est le constat de Yasser, qui dirige aujourd’hui le Centre culturel de la communauté afro-palestinienne. La dévotion a laissé place à un engagement politique sans faille à la « cause » palestinienne. Jusqu’à faire partie des premiers à choisir la voie de la violence contre Israël. La première femme palestinienne à perpétrer un attentat est ainsi une « Africaine ». Fatma Al Barnawi est arrêtée en 1967 après avoir placé une bombe dans un cinéma, qui fera des dizaines de blessés.

« Nous faisons toujours partie de la liste noire des autorités israéliennes », explique Yasser. La trentaine, il a déjà été arrêté 18 fois. A 16 ans, il a été condamné à 5 ans de prison, accusé par les autorités israéliennes de participer aux actions du Front populaire de libération de la Palestinienne (FPLP). Un engagement qu’il ne dément pas, sans pour autant accepter de rentrer dans les détails. Il n’est pas le seul. On estime que 80 % des membres de la communauté afro-palestinienne ont purgé des peines de prison plus ou moins lourdes. Par ailleurs, ils subissent une situation légale encore plus fragile que celle de la majorité des Palestiniens. Les Africains de la Vieille Ville ont la carte bleue de « résident permanent » réservée aux habitants de Jérusalem. En revanche, les autorités jordaniennes, qui ont contrôlé la Vieille ville jusqu’en 1967, n’ont pas reconnu, pour leur grande majorité, les Palestiniens africains comme des citoyens jordaniens. La plupart n’ont ainsi pas de passeport leur permettant de voyager et beaucoup se refusent à demander aux autorités israéliennes les autorisations nécessaires.

afropalestiniens2.jpgMais les problèmes les plus pressants restent la situation économique et les « violences de rue », phénomène propre à la Vieille Ville. Si la communauté africaine renferme les secrets de la recette des cacahuètes grillées soudanaises, dont la renommé a dépassé les murailles de la première Jérusalem, elle reste abonné aux travaux journaliers souvent mal payés. Côté scolarité, la plupart des enfants de la communauté fréquentent une école chrétienne française de la Vieille Ville, le Collège des Frères. Un choix qui s’explique par l’attachement des familles aux français, langue pratiquée dans les pays d’origine comme le Tchad ou le Sénégal. Mais sitôt sortis des salles de classes, les jeunes subissent de plein fouet les violences de rue : bagarres, drogues, abus sexuels…Un fléau amplifié par le manque d’espace dans la Vieille ville qui obligent souvent les familles à vivre les unes sur les autres. Un micoscosme perçu avec méfiance par les habitants extra-muros, y compris à Jérusalem-Est.

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