Start-up à l’africaine


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Au Burkina, un jeune ingénieur a eu l’idée de créer un produit en s’inspirant d’une habitude alimentaire locale, la consommation de chenilles. Un projet utile et innovant qui n’oublie pas le développement social.

Dix mille euros, c’était l’objectif de Kahitouo Hien pour amorcer la phase pilote de la start-up qu’il a fondée à Ouagadougou, FasoPro. Le 26 février dernier, bonne surprise, l’objectif était atteint : l’opération de financement participatif via le site KissKissbank a permis de lever la somme auprès du public.

Pour les entrepreneurs innovants d’Afrique francophone, l’événement est assez marquant car il dénote un intérêt naissant des investisseurs professionnels ou de particuliers pour leurs idées. « Nous allons pouvoir entamer la formation des femmes et acheter notre premier stock de chenilles » explique posément Kahitouo, jeune ingénieur en microbiologie et nutrition diplômé de l’institut 2iE de Ouagadougou, une école et une pépinière d’entreprises dédiée à la croissance verte en Afrique.

Les chenilles que convoite Kahitouo, ce sont les vers qui apparaissent en nombre sur les arbres de karité vers le mois de juin, dès les premières pluies, dans la région ouest du Burkina Faso, et plus précisément dans une zone appelée les Hauts-Bassins où le jeune homme a grandi.

Ces chenilles, nées de l’éclosion des oeufs pondus par les papillons, se nourrissent des feuilles du karité avant de se replier dans un cocon sous la terre jusqu’à la prochaine saison des pluies. Mais elles sont aussi un mets de choix prisé par les habitants, et les femmes s’en saisissent sur les arbres pour les sécher et les vendre à des grossistes du marché. En saison, cette récolte constitue un appoint substantiel aux revenus des villageoises.

Enfant, Kahitouo Hien a toujours vu les femmes ramasser ces chenilles et les acheteurs se presser sur les étals du marché, sans se douter de ce qu’il découvrirait plus tard, une fois installé sur les bancs de son école d’ingénieur.

Ces larves de papillon qui peuvent rebuter les non-initiés contiennent 63% de protéines, du fer et des acides gras. Autrement dit, “c’est un aliment tout indiqué pour prévenir la malnutrition qui touche 34% de la population au Burkina Faso, notamment dans les zones sahéliennes du nord“ explique le fondateur de FasoPro. “D’où notre idée d’étendre sa commercialisation dans tout le pays, et de cette façon d’apporter aux femmes qui les collectent un revenu plus stable. Mais pour cela, il faut parvenir à disposer de chenilles toute l’année et rendre le produit attractif“. C’est ainsi que naît le projet FasoPro, hébergé dans l’incubateur de l’institut 2iE (Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement) à Ouagadougou.

Un produit africain de qualité

Dans quelques mois, les premiers sachets de Toumou’ Délice seront donc disponibles dans les supérettes de la capitale, accompagnés de leur guide de recettes. Ils contiendront des chenilles fraîches (“un secret de fabrication“) plutôt que séchées, pour un meilleur apport nutritionnel et gustatif, à cuisiner en sauce par exemple. Elles se conserveront jusqu’à 18 mois.

Avec un packaging soigné, au graphisme africain, FasoPro entend combattre les idées reçues dans le pays selon lesquelles les produits locaux seraient de moindre intérêt que les produits importés, omniprésents.

Kahitouo et son équipe devront se lancer dans les relations publiques “pour créer, auprès des restaurants de Ouaga par exemple, une appétence pour le produit auprès de ceux qui n’y sont pas habitués“. Mais FasoPro est confiant dans les perspectives du marché. La moitié des Mossis, la principale ethnie du Burkina, consomme déjà la chenille du karité. Et d’autres pays africains, comme le Nigéria voisin ou la Côte d’Ivoire et jusqu’à l’Afrique du Sud en sont également friands.

Des chenilles toute l’année

Pour réussir son pari en disposant d’un stock suffisant, la jeune entreprise conduit une recherche sur le cycle de reproduction. De la ponte des oeufs par les papillons – qui ont une durée de vie de trois jours- à l’éclosion de nouveaux papillons en passant par la case chenilles, le cycle couvre une année. Avec l’aide des entomologistes de l’Institut de recherche pour le Développement (IRD) de Marseille, FasoPro cherche à raccourcir ce cycle afin de produire en continu des chenilles d’élevage. “Cela permettra aux consommateurs à revenus modestes de bénéficier d’un prix constant sur les chenilles, même hors-saison, assure Kahitouo. “Et aux femmes qui les collectent de mieux gagner leur vie, car aujourd’hui, le prix qui leur est payé par les intermédiaires est assez faible“.

Une vocation sociale

Grâce à la levée de fonds du financement participatif, l’entreprise peut amorcer le lancement de Toumou’Délice dès juillet de cette année en tablant sur quelque 8 tonnes de chenilles collectées. Il lui faudra encore trouver de l’argent frais auprès d’investisseurs privés, pour atteindre les 50 000 euros.

Une centaine de femmes des zones rurales de l’ouest du Burkina, non loin de Bobo-Dioulasso, seront formées à cette collecte destinée à la première phase d’industrialisation du produit. A l’avenir, ces villageoises devraient pouvoir vivre de cette activité et se verront proposer un prix garanti pour leur travail. J«e suis très attaché à cet aspect, souligne Kahitouo. J’ai eu la chance d’aller à l’école de mon village et je n’ai pas oublié ce que la société m’a donné».

Cette dimension d’entrepreneuriat social a déjà valu au projet FasoPro une distinction à Berkeley, aux Etats-Unis, où le prix du meilleur impact social lui a été décerné en 2012 dans un concours, la Global Social Venture Compétition.

Cette récompense a renforcé la détermination du jeune ingénieur et de ses parrains institutionnels ou privés. Deux ans plus loin, commerce et utilité sociale sont sur le point de devenir une bonne recette africaine.

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