Rwanda : Faut-il sacrifier la liberté pour sauver la croissance ?


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Depuis 2000, Paul Kagamé tient le pouvoir d’une main de fer. Fort de son leadership éclairé et de son bilan économique reluisant (7% de croissance au cours des 3 dernières années), l’homme fort du Rwanda, entend briguer un nouveau mandat, ce qui lui permettra, potentiellement, de rester au pouvoir jusqu’en 2034. L’intention de Kagamé de se représenter est soutenue par des partisans qui sont prêts à renoncer à l’alternance démocratique en échange de la croissance. Ce contrat social – croissance en échange de liberté – est-il viable ?

La période post-1994 a donné naissance à un leadership basé sur le modèle d’un Etat dirigiste contrôlant le processus de développement. Ce leadership a créé, au fil des années, un environnement stable où le secteur privé peut se développer et réussir. Dans ce sens, Paul Kagamé avait lancé un programme nommé « Vision 2020 », dans lequel il exprime sa vision pour les vingt années à venir. Celle-ci avait pour but de transformer le Rwanda en un pays à revenu intermédiaire dont l’économie est axée sur le savoir. Une politique qui a réussi à créer une synergie entre les entreprises privées locales et les entreprises étrangères et a porté ses fruits. Le pays, qui était 143ème mondial dans le rapport Doing Business en 2008, est aujourd’hui 56ème mondial et occupe le deuxième rang en Afrique : un bond remarquable de près de 100 places en seulement neuf ans.

Deux facteurs explicatifs à ces résultats. D’une part, le génocide de 1994 et la guerre civile rwandaise ont été perçus comme une menace de l’existence de la société rwandaise, et ont par conséquent facilité en quelque sorte l’unification de la société rwandaise. D’autre part, l’émergence du leadership de Kagamé a donné de la visibilité et a rassuré les investisseurs. Cela a surtout permis de faire avancer les réformes sans trop de blocages ou résistances au changement. Si le paramètre post-génocide unique du Rwanda peut justifier un état développementaliste sur le court terme, serait-il raisonnable de légitimer un système autoritaire au nom de la croissance économique ?

Si l’Etat développementaliste peut se targuer d’une croissance vigoureuse à court terme, au demeurant nécessaire, elle n’est pas synonyme pour autant de développement. Celui-ci ne se réduit pas uniquement à la croissance du PIB, mais signifie l’ensemble des progrès au niveau de la gouvernance, des meilleures conditions du bien-être social comme l’éducation, la santé, la réduction des inégalités sociales, les droits et libertés, etc. Ainsi, selon le classement de l’Indice de Développement Humain (IDH), le Rwanda se classe à la 159ème place. De même, 60% de la population rwandaise vit encore en-dessous du seuil de pauvreté et 13,2% est au chômage. Autant dire, que la croissance tant vantée est loin d’être inclusive et équilibrée.

Certes, un leadership fort et autoritaire de l’état développementaliste pourrait faciliter le processus de prise de décision et de réformes, sauf que qu’il ne garantira pas forcément une qualité et fiabilité de ce processus. D’un côté, cet autoritarisme pourrait favoriser à terme l’intérêt du despote et de son clan au détriment de l’intérêt général du peuple. D’un autre côté, ce leadership conduira à une centralisation du pouvoir entre les mains d’une seule personne, ce qui pourra représenter un risque énorme lors de la succession ou lors de la passation de pouvoir. Au Rwanda, avec la personnalisation du pouvoir et sa concentration entre les mains de Kagamé, le risque est d’autant plus vraisemblable que les institutions capables d’assurer la relève et la pérennité sont fébriles. Cela est susceptible de décrédibiliser le modèle en remettant en cause ses acquis de court terme. C’est ce qui explique d’ailleurs la trajectoire chaotique des pays africains après le décès d’un grand leader. L’hypothèse d’avoir un « despote éclairé » est une exception et ne devrait pas servir de norme pour un modèle de gouvernance, car ces leaders éclairés n’émergent qu’une fois tous les siècles.

Si les modèles développementalistes sont toujours encensés pour leurs résultats enregistrés à court terme, leur performance et équilibre à long terme sont rarement remis en question. En réalité, cet équilibre reste fragile à moyen et à long terme, car une fois l’effet de rattrapage du retard épuisé et dépassé, l’innovation et la productivité nécessaires pour relancer et booster l’économie feront défaut, en raison du déficit de libertés politique et économique. Ainsi, le mode de contrôle de l’économie par l’Etat crée avec le temps des situations de rente qui nuiront aux bons résultats enregistrés à court terme. Cela engendrera des effets pervers, notamment la fuite des capitaux, mais aussi le détournement des investissements vers les projets improductifs et non rentables afin de faire plaisir aux tierces parties, comme les alliés, lobbyistes, etc. Il en ressort un recul de la croissance à long terme.

Enfin, il est important de noter qu’un état développementaliste qui restreint les libertés, va forcément créer des inégalités sociales et spatiales susceptibles de créer des tensions internes et de remettre en cause la stabilité sociale et politique du pays, ce qui in fine compromettra le développement à long terme. Ainsi, au Rwanda, l’indice de Gini dépasse les 50, signe de fortes inégalités. En matière de liberté économique, selon l’indice de Freedom House, le Rwanda est classé « plutôt libre » (51ème rang). Toutefois, le Rwanda a mauvaise réputation en matière des libertés politiques et droits civiques. Le faible niveau de liberté politique est illustré par le mauvais classement du Rwanda par la Banque mondiale (169 sur 204 pays en 2015). La croissance sans liberté politique et civique réduit la résilience de la société face aux chocs exogènes, notamment en cas de crise. Cette situation ne menacera pas seulement son équilibre en empêchant le développement au long terme, mais créera aussi une certaine forme de rigidité, comme dans le cas chinois, où le pays cherche à trouver un modèle de développement pour promouvoir son marché interne, mais s’est trouvé face à de nombreuses complexités, en raison du déficit de liberté.

Si la dynamique économique développementaliste a certes pu sauver plus d’un million de Rwandais de la pauvreté, il est temps aujourd’hui qu’elle garde son dynamisme. Pour ce faire, Kagamé devrait renoncer à briguer un troisième mandat pour permettre aux siens d’aller vers un modèle de développement plus viable et durable.

Hamza El Guili, chercheur-doctorant à l’ENCG Tanger, Maroc.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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