Le Tata sénégalais de Chasselay


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Facade du Tata en 2004

Les « tirailleurs sénégalais » ont écrit dans le sang en juin 1940 dans la région de Lyon un des épisodes les plus tragiques et glorieux de la seconde Guerre mondiale. A plus d’un contre cent, ils ont combattu jusqu’au bout pour l’honneur d’une France déjà en déroute. Un Tata, cimetière traditionnel africain, a été érigé en 1942 pour saluer leur héroïsme.

16 Juin 1940, l’offensive allemande n’a pu être freinée et le Maréchal Pétain, tout juste nommé à la tête du gouvernement français, entame les pourparlers en vue d’obtenir un armistice… Alors que le 18 juin 1940, le Général de Gaulle appelle à poursuivre la lutte.
Pris en tenaille entre les forces allemandes et italiennes, l’armée française va combattre dans la région de Lyon. Des combats terribles « pour l’honneur », car la guerre est déjà perdue, lors desquels les « tirailleurs sénégalais », c’est à dire les soldats originaires d’Afrique, principalement du Sénégal et du Soudan français, paieront un très lourd tribut. Le 19 juin, la division de SS allemande « Totenkopf » (tête de mort) va prendre d’assaut le carrefour de l’Arbresle qui commande l’accès à Lyon par le nord-Est. Face à une résistance héroïque des tirailleurs du Capitaine Clément, les combats dureront toute la journée et une partie de la nuit. Une partie de la compagnie recevra l’ordre de se replier, une autre qui n’a pu être touchée par le signal de retraite se battra jusqu’à l’aube et jusqu’à la mort.

Les prisonniers africains immédiatement exécutés

Le lendemain, 20 juin, les Allemands continuent leur progression. Très supérieurs en nombre, ils prennent le dessus sur les restes des deux compagnies de tirailleurs. «Des survivants prisonniers, les assaillants font le tri. Les officiers sont embarqués en camions et ramenés à Tarare, les sous-officiers et soldats blancs sont regroupés et évacués à pied, les tirailleurs sénégalais sont immédiatement exécutés (28 au total)», raconte le Général François Lescel sur le site du FARAC (Fédération des Amicales Régimentaires et d’Anciens Combattants de Lyon et de sa Région).

« C’est pour la défense de cette pénétrante venant du nord qu’eurent lieu les combats les plus durs et les pertes les plus élevées. C’est aussi à la suite de ces combats que les réactions allemandes les plus violentes furent menées contre les Tirailleurs sénégalais », explique le Général François Lescel.

Le 19 juin au matin, le régiment « Grossdeutschland », unité d’élite de la Wehrmacht, donne l’assaut au couvent de Montluzin, tenu par les forces françaises. En parallèle d’autres combats ont lieu à Lissieu, de l’autre côté de la route nationale 6. Les combats dureront jusqu’au milieu de l’après-midi et tous les prisonniers africains (ainsi que de nombreux prisonniers d’origine métropolitaine) seront exécutés.

«Preux Chevaliers Noirs de l’Afrique Française»

cimetiere.jpgRegroupé par le Capitaine Gouzy, l’ensemble des troupes rescapées se trouve à Chasselay et sur ses hauteurs sud (château du Plantin). Le 20 juin sera la journée la plus meurtrière des combats de juin 1940 en région lyonnaise. Après plusieurs heures de résistance acharnée, le Capitaine Gouzy, deux officiers, deux sous-officiers, trois autres Européens et 51 Tirailleurs se rendent aux forces allemandes. « L’Histoire de ces braves mérite de passer à la postérité. Elle est la sublime épopée des ‘Preux Chevaliers Noirs de l’Afrique Française’ qui au nombre de 200 attaquèrent courageusement plus de 25 000 ennemis uniquement pour sauvegarder l’Honneur », écrira J. Marchiani [[secrétaire général de l’Office départemental des Mutilés, Combattants, Victimes de la Guerre et Pupilles de la Nation du Rhône]].

C’est alors que la barbarie nazie se déchaîne. « Tous les Africains sont hachés à la mitrailleuse et au canon des chars. Les blindés écrasent de leurs chenilles les morts et les agonisants », raconte le Général François Lescel. Le Capitaine Gouzy qui cherche à s’interposer reçoit une balle dans le genou. Au cours de cette journée, tous les tirailleurs africains faits prisonniers dans la région lyonnaise sont systématiquement abattus. Au total, relève Henri Amoretti, « les pertes africaines auraient été de 104 tués, 37 blessés, 856 disparus ». Le nombre important de disparus ayant pour cause l’impossibilité de reconnaître formellement les cadavres, souvent brûlés ou ensevelis.

Le Tata sénégalais

En mémoire des valeureux combattants africains, J. Marchiani se fit un devoir de recenser tous les corps des disparus puis, achetant le terrain sur ses fonds propres, il fit bâtir au lieu-dit le « Vide-Sac » sur la commune de Chasselay, au plus près des lieux du massacre, un cimetière appelé le « Tata sénégalais ». Tata, en Afrique Occidentale, signifie une « enceinte de terre sacrée », où l’on inhume les guerriers morts au combat. Ce cimetière-mémorial fut inauguré sous l’Occupation, le 8 novembre 1942, et 188 corps de soldats africains tombés pour la France y sont enterrés.

Ce lieu de recueillement à l’architecture d’origine soudanaise, avec ses tours rappelant les minarets des mosquées, est plus qu’un simple cimetière, c’est une trace du lien de sang unissant éternellement la France à ses anciennes colonies.

Cet épisode de la seconde guerre mondiale est assez peu connu. Il faut remercier le Général François Lescel et le FARAC qui ont fait un travail de mise en avant de l’histoire de ces soldats sacrifiés. Nous les remercions tout à la fois pour leur site, leur travail de mémoire et le droit d’utilisation des images qu’ils nous ont accordé pour cet article.

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