RDC : Kamerhe, futur Premier ministre de Kabila… ou pas ?


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Qui sera le futur Premier ministre de Joseph Kabila ? Le dialogue étant terminé, un nouveau gouvernement doit être nommé en vertu de l’accord politique conclu cette semaine entre les participants. Jusqu’à présent, c’est le nom de Vital Kamerhe qui revient le plus souvent. Mais si l’hypothèse demeure valable, d’autres scénarios se dessinent. A Kinshasa, la partie d’échecs est engagée.

Le dialogue aura finalement connu son épilogue cette semaine. « Glissement contre Primature », c’est ainsi que nombre d’observateurs en résument les conclusions. « Kabila a obtenu ce qu’il voulait, à savoir une date lointaine et incertaine pour une élection présidentielle à laquelle il pourra participer », analyse un professeur en droit public de l’UniKin qui a étudié de près l’accord politique issu du dialogue. Un accord dans lequel Adolphe Muzito du PALU voit « le piège d’un nouveau glissement à partir d’avril 2018, dont seul Dieu connait la durée ». Outre la majorité, l’opposition favorable au dialogue a, elle aussi, obtenu gain de cause. Le poste tant guigné de Premier ministre lui revient en effet.

1) Le scénario le plus attendu

Mais qui pour l’occuper ? Jusqu’à présent, Vital Kamerhe tenait la corde (lire notre article du 11 août 2016, « Kamerhe, futur Premier ministre de Kabila ? »). Le leader de l’UNC « a tout lâché lors du dialogue. Il a donné satisfaction à Kabila sur toute la ligne », tempête Martin Fayulu, l’un des responsables de la Dynamique de l’Opposition. « Une telle ligne de négociation s’explique par le fait qu’une seule chose comptait à ses yeux, la Primature », avance-t-il. Toujours possible, ce scénario entre toutefois aujourd’hui en concurrence avec d’autres.

2) Le scénario le plus probable

Car l’arrivée de Vital Kamerhe à la Primature n’est pas du tout du goût du PPRD, et en particulier de son aile dure qui évoque une « prime à la trahison ». Emmanuel Ramazani Shadary, Evariste Boshab – qui avait succédé en 2009 à Vital Kamerhe au perchoir de l’Assemblée nationale, dans un contexte très tendu – ou encore Henri Mova Sakanyi, Adolphe Lumanu et Aubin Minaku. « C’est la grogne chez les faucons », constate, un brin préoccupé, un proche du Président.

En outre, sa participation au dialogue a largement contribué à ternir l’image d’opposant à Joseph Kabila que Vital Karmehe s’était patiemment construit ces dernières années. Sur les réseaux sociaux, l’homme est la cible de vives critiques et le hashtag #Kamerheon, allusion à son exceptionnelle capacité d’adaptation, prospère bien au-delà des frontières de la RDC.

Enfin, Kabila lui-même se méfie du versatile Kamerhe. Il garde en mémoire sa trahison de 2009, lorsque celui qui était alors président de l’Assemblée nationale claqua la porte du PPRD pour jouer sa propre carte politique et se présenter à l’élection présidentielle de 2011. Pour Kabila, une deuxième trahison de Kamerhe est donc possible. « Au fond, Joseph Kabila a toujours considéré que Kamerhe n’était pas fiable. Et il est convaincu que celui qui a trahi, trahira », confie un proche du chef de l’Etat, avant de concéder : « ne pas avoir Kamerhe dans les pattes comme Premier ministre serait sans doute un soulagement pour le Président ».

Tenant compte de cette triple donne, Vital Kamerhe, mi-caméléon mi-renard, envisagerait aujourd’hui une autre solution qui aurait l’avantage de le protéger de l’ire des caciques du PPRD et de la méfiance de Joseph Kabila, tout en préservant ce qu’il lui reste de son image d’opposant. Le but étant de montrer que, non, « il n’a pas tout lâché en échange du poste de Premier ministre » car « la preuve, ça n’est pas lui qui a été nommé Premier ministre. »

Mais un tel renoncement ne serait pas gratuit. Le leader de l’UNC, qui fait face à des problèmes pécuniaires récurrents, renoncerait à sa nomination à la tête d’un gouvernement d’union nationale en contrepartie de généreuses compensations. « Cela lui permettrait d’avoir l’argent du beurre, tout en pouvant prendre à témoin l’opinion et dire : vous voyez, je n’ai pas pris part au dialogue pour obtenir le poste de Premier ministre mais pour avoir des dates pour l’élection, préserver la paix au Congo, etc. », explique un professeur en sciences politique spécialiste de l’ex-Congo belge. « Dans son esprit, les apparences seraient ainsi sauvées, ce qui ne l’empêchera pas en parallèle de placer certains de ses partisans au gouvernement », ajoute-t-il.

C’est cette option qui aurait aujourd’hui les faveurs de Vital Kamerhe (mais aussi, au passage, de Jaynet Kabila), qui sait d’expérience qu’une campagne présidentielle nécessite beaucoup d’argent, en particulier dans un pays aussi vaste que le Congo. Le leader de l’UNC ne ménage donc pas ses efforts. Depuis l’ouverture du dialogue, il a rencontré à deux reprises Joseph Kabila. L’objectif : faire en sorte que « sa récompense financière soit à la hauteur de l’enjeu et du risque politique qu’il a pris. » Comme tactique de négociation, afin de faire monter les enchères, le leader de l’UNC utilise un argument, espère-t-il imparable, auprès des proches du chef de l’Etat : Moïse Katumbi lui aurait proposé 50 millions de dollars afin qu’il renonce à sa participation au dialogue. Face au refus exprimé par le leader de l’UNC, le patron du TP Mazembe lui aurait alors proposé par le biais d’un émissaire de doubler ce montant (soit 100 millions de dollars). Une histoire dont rien ne garantit la.veracite mais dont l’objectif serait d’obtenir de la part du camp présidentiel une somme équivalente, voire supérieure. Une folie car ce montant astronomique dépasserait, par exemple, le budget annuel de l’ex-province du Bandundu.

Dans cette négociation financière, l’interlocuteur privilégié de Vital Kamerhe n’est autre que Jaynet Kabila, auprès de laquelle il se plaint d’ailleurs du fait que son frère – Joseph – ne le prend plus directement au téléphone. Au final, si ce scénario se réalisait, c’est Mokonda Bonza, l’ancien directeur de cabinet de feu le Maréchal Mobutu, ou Samy Badibanga, l’ex-président président du groupe UDPS et alliés à l’Assemblée nationale, qui pourraient possiblement succéder à Augustin Matata Ponyo à la Primature.

3) Le scénario surprise

Le troisième scénario est une variante du second. Ici, Joseph Kabila, prudent et méfiant, ne nommerait pas à la Primature Vital Kamerhe, qui serait en retour généreusement « indemnisé » en espèces sonnantes et trébuchantes. Mais plutôt que d’aller chercher son remplaçant dans le camp de l’opposition qui a participé au dialogue, Joseph Kabila irait recruter le futur chef du gouvernement au sein du Rassemblement, la plateforme d’opposants réunis autour d’Etienne Tshisekedi et de Moïse Katumbi, qui rejette catégoriquement les conclusions du dialogue. Pour les proches de Joseph Kabila, l’un des avantages d’une telle solution serait de donner un caractère plus inclusif à une démarche qui en manque cruellement. Dans cette hypothèse, un nom revient fréquemment : celui de François Muamba, l’ex-coordonnateur du mécanisme national de suivi de l’accord d’Addis-Abeba et actuel allié de l’UDPS. En parallèle, les stratèges du PPRD tentent des approches auprès du G7, de la Dynamique de l’Opposition (Jean-Claude Vuemba est ainsi sollicité pour devenir ministre) ou encore de l’Alternance pour la République.

Mais au final, quel que soit le scénario retenu, il se peut fort que le futur Premier ministre de RDC n’exerce ses fonctions que durant quelques semaines. Soit parce que des négociations seraient rouvertes très prochainement, comme le demandent le Rassemblement, la CENCO, l’UE ou encore les USA. Soit parce que le bras de fer entre la MP et l’opposition se poursuivrait. Dans ce dernier cas, le 20 décembre prochain, date à laquelle le second et dernier mandat de Joseph Kabila arrive à son terme, le Congo-Kinshasa basculerait dans une situation de flou institutionnel généralisé. Il ne reste donc plus qu’une cinquantaine de jours au Président Kabila pour trouver – ou accepter – une solution qui puisse réellement épargner a la RDC un chaos annoncé.

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