RDC : Joseph Kabila n’a pas dit son dernier mot !


Lecture 6 min.
arton45467

(actualisé lundi 26 janvier) Un destin burkinabé… C’est en réalité ce qui pourrait être épargné au président de la République Démocratique du Congo (RDC) si l’élection présidentielle avait bien lieu fin 2016, en vertu des dispositions prévues par la Constitution. Or, après plusieurs jours de forte mobilisation à travers le pays et d’intenses pressions diplomatiques, le projet de loi électorale, éminemment controversé, vient d’être adopté par le Parlement, amputé de son article le plus litigieux. Pourtant, si certains crient victoire, les autres appellent à la prudence. Car, à y regarder de près, les choses sont loin d’être clarifiées…

(actualisé lundi 26 janvier)

Et pourtant, les choses avaient relativement bien commencées… Ce vendredi, L’article 8 prévoyant l’organisation des prochaines élections présidentielles est complété et clarifié par le Sénat de sorte que la tenue des élections n’est plus conditionnée au résultat d’un recensement. Vital Kamerhe, président de l’UNC, juge alors « satisfaisant » le texte adopté par les sénateurs.

Gardez-moi de mes amis

Pourtant très vite, à Kinshasa comme à Goma, et dans le reste du pays, si beaucoup se réjouissent de cette « victoire », à l’instar des étudiants qui manifestent leur joie dans l’après-midi aux abords de l’Université de Kinshasa, nombreux sont ceux qui appellent à la vigilance. Car le texte du projet de loi, tel que voté par le Sénat, doit alors être examiné, comme il est habituel lorsqu’un pays a opté pour une organisation parlementaire bicamériste, par une Commission mixte paritaire, composée de députés et de sénateurs.

Et en cas de désaccord, le dernier mot revient à l’Assemblée nationale. Une institution dont le Président s’est fendu d’un tweet d’avertissement ce même vendredi en début d’après-midi, peu après le vote du Sénat. « ll n’y aura pas de Burkina Faso à Kinshasa, arrêtez de rêver. L’Opposition ne fera pas imposer son rythme aux institutions », avait-il prévenu, déclenchant une vague d’indignation et de protestation sur Twitter.

Nouveau rebondissement ce weekend

Mais sous l’effet d’une activité diplomatique intense, le clan présidentiel tergiverse et finit par lâcher du lest jusqu’à adopter ce dimanche en fin de journée la loi électorale, sans la disposition controversée qui avait provoqué des violences meurtrières. Les deux principaux partis d’opposition, l’UDPS et l’UNC, estiment alors qu’il s’agit d’une victoire du peuple. Conséquence : Vital Kamerhe n’appelle plus ses partisans à manifester ce lundi 26 janvier, comme initialement prévu. « Nous aurons une présidentielle en 2016. C’est ce que le peuple voulait. Il a été entendu », a-t-il déclaré sur l’antenne de RFI.

Mais à Kinshasa, cet enthousiaste est loin d’être unanimement partagé. Car à nouveau texte, nouvelles incertitudes. Tout d’abord, les sénateurs, qui entendaient coucher noir sur blanc l’obligation d’organiser la prochaine présidentielle dans les délais prévus par la Constitution, n’ont pas eu gain de cause. Ensuite, le texte de loi supprime la référence à la date de 2015 pour la tenue des élections locales, provinciales et sénatoriales. Or selon la Commission électorale nationale indépendante (CENI), ces scrutins sont censés précéder la présidentielle. Enfin, la loi lie la tenue des prochaines législatives censées avoir lieu fin 2016 à la réalisation du recensement qui doit commencer cette année. Or, selon les déclarations de la CENI, ces législatives doivent se tenir en même temps que la présidentielle.

D’où l’inquiétude affichée par certains membres de l’opposition à l’issue de l’adoption du texte. Selon eux, le texte de loi tel qu’adopté ce dimanche ne prémunit d’un point de vue juridique contre le risque de glissement du calendrier électoral. Tel un diable se glissant dans les détails, Joseph Kabila pourrait dès lors en profiter pour prolonger son mandat au delà du terme constitutionnel.

La force de la rue… et des réseaux sociaux

Mais – si toutefois ils en avaient l’intention – à trop jouer avec le feu, les partisans du Président Kabila, risqueraient bien cette fois-ci de finir par se brûler vraiment. Car, si Kinshasa n’est pas Ouaga, 2016 en RDC pourrait ne pas ressembler à 2011 et 2012, années au cours desquelles les manifestations consécutives à une élection présidentielle chaotique s’étaient progressivement essoufflées.

Sur son blog, l’analyste politique Jason Stearns, spécialiste de l’Afrique Centrale, affirme que trois ingrédients, réunis aujourd’hui, pourraient changer la donne et précipiter le départ de Joseph Kabila, si celui-ci décidait de se maintenir au pouvoir au-delà du terme prévu par la Constitution.

Tout d’abord, relève-t-il, les élites sont divisées. Pierre Lumbi, Olivier Kamitatu, Christophe Lutundula, Kengo wa Dondo, etc., se sont prononcés contre la réforme de la Constitution. En outre, le PPRD est lui-même divisé. Nombreux sont les députés à avoir trainé les pieds et s’être fait forcer la main pour voter, samedi dernier, le projet de loi électorale et son fameux article 8 qui conduisait ipso facto à un report de la date de la prochaine élection présidentielle. Plus important, souligne Stearns, le Gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, a semblé prendre ses distances avec Joseph Kabila, ralliant derrière lui certains poids lourds de la province, à l’instar de Kyungu wa Kumwanza.

Cela affaiblirait considérablement le Président actuel, lui-même originaire du Katanga, province dont il tirait jusqu’à présent une part importante de son pouvoir politique et militaire. Davantage d’ailleurs que les partis issus de l’opposition traditionnelle, le très populaire Moïse Katumbi a les moyens de faire pencher la balance en la défaveur du Président Kabila. Ce dernier en a bien conscience. Pas plus tard qu’aujourd’hui, ses partisans ont tenté de répliquer en organisant, dans différentes localités du Katanga, des marches de soutien en sa faveur.

Ensuite, toujours selon Jason Stearns, si les protestations de 2011 se sont concentrées autour des places fortes de l’UDPS à Kinshasa (Limete et Masina), cette fois-ci, Etienne Tshisekedi, resté à Bruxelles pour y subir des soins, est largement absent. Les étudiants ont pris le relais, avec pour épicentre de la contestation l’Université de Kinshasa (UNIKIN). Leur courage – compte tenu des violences policières – et leur détermination ont frappé les observateurs et sans doute surpris les partisans du clan présidentiel.

#Telema (presque) aussi fort qu’#Iwili

Enfin, les étudiants kinois peuvent compter sur un autre soutien de poids : celui des réseaux sociaux qui permettent d’accompagner et d’amplifier leur contestation. Le Gouvernement l’a bien perçu, lui qui a décidé, ces derniers jours, de suspendre les connexions internet, tentant ainsi de déstabiliser les manifestants. Il n’empêche, le hashtag #Telema, à l’instar d’#Iwili au Burkina Faso en novembre dernier a permis de suivre, minute par minute, l’évolution de la situation, à Kinshasa comme à Goma.

À l’ère des smartphones et des réseaux sociaux, difficile de résister à la contestation populaire, que ce soit à Tunis, à Ouaga ou… à Kinshasa.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News