RDC, Dialogue : carton rouge pour Kodjo, El Hacen Ould Lebatt remplaçant?


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Ce vendredi 17 juin, Etienne Tshisekedi et les membres du conseil des sages du comité de suivi de la conférence de Genval ont rejeté une nouvelle fois les tentatives de conciliation d’Edem Kodjo, le facilitateur de l’Union Africaine. L’entretien entre l’ancien Premier ministre togolais, soupçonné de faire le jeu de Joseph Kabila, et les opposants congolais a été glacial. A dire vrai, rien de surprenant car tout les oppose tant sur la forme que sur le fond. Résultat : le « dialogue » souhaité par le Président Kabila est au point mort.

Carton rouge pour Edem Kodjo ! C’est ainsi que l’on pourrait résumer le match qui s’est déroulé ce vendredi 17 juin à Bruxelles, à l’hôtel Mercure, peu après 17h00 (heure locale). A sa demande insistante, l’ancien Premier ministre togolais, consacré « facilitateur » de la crise politique RD congolaise, a été reçu par Etienne Tshisekedi, entouré pour l’occasion des membres du comité des sages du « Rassemblement des forces acquises au changement » au Congo-Kinshasa.

Fidèle à lui-même, Edem Kodjo s’est montré cassant avec l’auditoire, monopolisant la parole, écoutant peu ses interlocuteurs et se montrant volontiers donneur de leçons. « Son profil psychologique n’est peut-être pas le plus adapté pour mener à bien une mission de facilitation », indique, à fleuret moucheté, un professeur de sciences politique de l’Université catholique de Louvain, spécialiste de la RDC. « Il n’a pas le sens de l’écoute. Il parle plus que la partie congolaise », tranche, plus directement, Joseph Olenghankoy, Président des Fonus, qui représentait la Dynamique de l’opposition lors de ce rendez-vous avec le comité des sages du Rassemblement. Pour la plupart des observateurs, Edem Kodjo est, déjà « usé », voire « grillé ». « Tout le monde sait qu’il n’est pas neutre. Dans cette histoire, il a parti pris », indique un membre des mouvements citoyens.

Carton rouge du Rassemblement à Edem Kodjo

C’est un fait relevé par l’ensemble des membres du comité des sages. « Dès le départ, il y a eu une crise de confiance », a souligné Raphaël Katebe Katoto, qui a participé à la rencontre. « Quand il est venu pour la première fois à Kinshasa, avec le mandat de Mme Zuma, c’était en vue de la facilitation du dialogue initié par le Président Joseph Kabila. Nous ne pouvons l’accepter. Joseph Kabila ne peut initier le dialogue. Car c’est précisément lui le problème », a déclaré le frère ainé de Moïse Katumbi. De son côté, Franck Diongo, président du Mouvement lumumbiste progressiste (MLP) et membre de l’Alternance pour la République (AR), a lui aussi fait preuve de détermination. « On a démontré à Edem Kodjo qu’il était dans l’erreur. Nous avons clairement dit non au dialogue de Joseph Kabila ». Avant d’ajouter, plus offensif : « Edem Kodjo est protégé par la garde présidentielle. Un bureau lui a été attribué par le Pouvoir. Ainsi, il est proche de celui-ci. Il se pose donc un problème de confiance entre lui et nous. », a-t-il conclu. « Si ça ne tenait qu’à moi, personnellement, dès qu’Edem Kodjo est entré dans la salle, je serais sorti », a déclaré, quant à lui, Joseph Olenghankoy, manifestement très remonté. « Kodjo se cantonne au dialogue de Kabila. Nous ne sommes pas du tout dans cette logique ». Avant de lâcher, cinglant : « j’ai l’impression qu’il ne maîtrise pas le dossier congolais. Et j’ai peine à croire qu’il le maîtrisera davantage à l’avenir. » Et de conclure : « ses déclarations – notamment celles faites à RFI – ne sont pas propres ».

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Au-delà de la personnalité du facilitateur et de sa proximité manifeste avec le chef de l’Etat RD congolais, des désaccords de fond majeurs subsistent entre les deux parties. Tout d’abord, en ce qui concerne le cadre de la discussion. Comme le résume Joseph Olenghankoy, « nous attendons, au sein du Rassemblement, que tout se passe dans le cadre du panel qui doit comprendre les USA, l’UE, l’UA, l’OIF et l’ONU. Ces partenaires nous ont accompagné à Sun city pour le « Dialogue inter-congolais ». Nous n’attendons pas que les choses ne se fassent qu’au niveau de l’Union de l’Africaine », a-t-il déclaré. L’institution panafricaine, réputée très légitimiste, est en effet connue pour protéger le pouvoir des sortants. Cette option d’un dialogue sous l’égide exclusive de l’UA serait donc nettement favorable à Joseph Kabila. « Le paravent d’Edem Kodjo consiste à s’entourer d’anciens chefs d’Etat qui sont supposés représenter la CIRGL et la SADC« , décrypte un analyste politique. « Il entend ainsi élargir le panel de facilitation en présentant cette décision comme une concession faite à l’opposition. Or, si cette dernière a exigé l’élargissement de la facilitation, c’est afin d’y intégrer l’ONU, les USA, l’UE, l’OIF et l’UA et ramener Edem Kodjo dans la logique de la résolution 2277, non pour le plaisir d’y retrouver de vieilles figures politiques africaines, démonétisées et décrédibilisés pour la plupart« , poursuit-il. « Pour l’opposition cette concession de façade serait une provocation« , conclut-il.

Pas question de transition et surtout pas avec Joseph Kabila

Autre désaccord fondamental entre les parties : l’objectif de ces discussions. L’ex-Premier ministre togolais est soupçonné de vouloir cautionner « à l’insu de son plein gré », un processus électoral hors délai constitutionnel, tel que souhaité par Joseph Kabila. En ce sens, il n’est pas du tout en phase avec la résolution 2277 de l’ONU, pierre angulaire de toute discussion pour le Rassemblement et dont les termes sont particulièrement clairs : l’élection présidentielle en RDC doit se tenir dans le délai constitutionnel, soit en novembre prochain. Car pour l’ensemble des membres du Rassemblement (UDPS y compris), la chose est désormais entendue : pas question de transition et surtout pas avec Joseph Kabila. Comme l’a de nouveau rappelé Raphaël Katebe Katoto à l’issue de la rencontre de ce vendredi 17 juin : « le dialogue avec la communauté internationale, nous sommes d’accord. Le dialogue de M. Kabila, nous ne sommes pas d’accord. Les échéances constitutionnelles doivent être respectées absolument. Même le dialogue ne peut déroger au respect des délais constitutionnels. Nous sommes là pour protéger la Constitution. » Des positions aussi claires que fermes, confirmées quelques heures plus tard par un communiqué du comité des sages

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Mohamed El Hacen Lebatt, l’OIF et Joseph Kabila

Le « dialogue » est perçu comme stratégique par le Président Kabila, qui y voit un moyen dilatoire pour se maintenir au pouvoir, au mépris de la Constitution. Du coup, en coulisse, les stratèges de la Majorité présidentielle (MP) s’activent tous azimuts et envisagent toutes les hypothèses, y compris celle d’un dialogue dans le cadre de la résolution 2277. Si ce scénario, qu’ils tentent d’éviter à tout prix à travers la « facilitation Kodjo », se réalisait, ils mettraient alors en œuvre leur « plan B ». Ils lobbyent en effet actuellement à bas bruit pour tenter d’obtenir la participation à ces éventuelles discussions, au titre de l’Organisation Internationale de la Francophonie, de Mohamed El Hacen Ould Lebatt, actuel représentant spécial de l’UA pour la Centrafrique et chef de la Mission de l’UA pour la RCA et l’Afrique Centrale (MISAC). Cette personnalité mauritanienne, fin connaisseur de la RDC, est en effet très proche de… Joseph Kabila. En effet, Mohamed El Hacen Ould Lebatt était déjà présent aux côtés du chef de l’Etat congolais lors des discussions dans le cadre des accords de Sun City », explique un proche de cet ex-ministre des Affaires étrangères (1997-1998). « C’est d’ailleurs lui qui a terminé l’écriture de l’ouvrage ‘Ma vérité’ d’Augustin Katumba Mwanke, l’ex-conseiller principal de Joseph Kabila, décédé dans un accident d’avion en 2012 », ajoute-t-il. « Lebatt connaît bien l’OIF pour avoir été l’envoyé spécial de la Francophonie au Burundi avec le succès que l’on sait », décrypte, avec un brin d’ironie, un diplomate en poste à Bujumbura.

Si ce choix était confirmé, il n’est pas certain que l’accueil réservé à Mohamed El Hacen Ould Lebatt soit plus chaleureux que celui fait à Edem Kodjo ce vendredi 17 juin 2016 à Bruxelles. A moins qu’il se montre bien plus diplomate…

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