RDC : comment le sort de Moïse Katumbi a été scellé


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L’opposant congolais Moïse Katumbi, candidat déclaré à la prochaine Présidentielle en République Démocratique du Congo, a été formellement inculpé, ce jeudi 19 mai 2016, pour « atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État », a précisé le Parquet général de la République à Kinshasa. Cette décision, surprenante pour les professionnels du droit, intervient alors que Moïse Katumbi, alité et sous assistance médicale, se remet peu à peu des brutalités policières dont ses proches et lui ont été victimes, vendredi dernier à Lubumbashi, et qui ont entraîné le report de son audition devant les magistrats du Parquet de la capitale cuprifère.

En réalité, il ne s’agit que d’une demi-surprise compte tenu de « la fuite en avant du régime », même si l’annonce de l’émission de ce mandat d’arrêt est un signal inquiétant pour bon nombre d’observateurs en RDC. Jason Stearns, chercheur rattaché à l’Université de New York, récemment expulsé du pays, a ainsi souligné sur son compte Twitter que, « si elles vont jusqu’au bout de ce procédé, ce sera la première fois que les autorités congolaises utiliseront cette tactique pour éliminer un opposant politique ».

Les autorités congolaises disposant désormais d’un mandat d’arrêt provisoire, elles doivent maintenant franchir une autre étape : apporter la preuve de la culpabilité de Moïse Katumbi. Et c’est là que le bât blesse. Car, de sources judiciaires, le dossier est complétement vide. A charge donc pour l’ANR, omniprésente durant toute la procédure, de continuer à jouer un rôle décisif. « Sa mission est cruciale. Elle a pour tâche de procurer à la Justice les preuves de la culpabilité de Moïse Katumbi, quitte à… les fabriquer elle-même », nous indique une source sécuritaire, qui précise que « dans ce processus, il y a eu deux étapes ».

Hier les camps d’entrainement et les tenues militaires, aujourd’hui les armes

Comme l’a écrit AFRIK.COM dans l’un de ses précédents articles, plus de 100 000 dollars auraient été débloqués, il y a quelques semaines, par le Gouvernorat de Province afin de créer des preuves de l’existence de milices pro-Katumbi, et payer les frais de mission des agents de l’ANR et autres officiers des renseignements militaires. Ces derniers auraient parcouru les localités de Pouéto, Kilwa, Kasenga, et les villages environnants avec un objectif en tête : créer ces fameuses milices, preuves irréfragables de l’implication de Moïse Katumbi dans un coup de force à venir contre le pouvoir. Le recrutement de jeunes désœuvrés et manipulés (nullement au courant de l’objectif final de l’opération) se serait fait sur la base de 100 dollars par personne. L’idée était, toujours selon nos sources, de les faire commencer l’entrainement le plus tôt possible pour ensuite venir les arrêter. Pour crédibiliser un tel scénario, d’anciennes tenues militaires et des armes auraient été envoyées en nombre dans ces localités. Une fois arrêtées, ces jeunes recrues devraient être traduites devant la Justice et se transformeraient alors, de gré ou de force, en témoins à charge contre le dernier Gouverneur de l’ex-Katanga.

Lire sur le sujet : RDC : comment l’entourage de Kabila compte décrédibiliser Katumbi

Pour compléter ce scénario hollywoodien, l’Agence nationale de renseignements entendrait aujourd’hui ajouter une nouvelle pièce à son puzzle, censé démontrer la culpabilité de Moïse Katumbi. « L’ANR poursuit son entreprise de fabrication de preuves. Depuis quelques jours, ses agents s’emploient à soudoyer, en contrepartie de sommes d’argent, les chauffeurs de camions des compagnies de transport Hakuna Matata, Habari Ganiet Muzuri Sana », indique cette source sécuritaire. L’objectif, toujours selon cette même source, particulièrement fiable : « disposer des armes dans les camions, avec la complicité de chauffeurs corrompus, afin d’accréditer la thèse d’armes introduites dans l’ex-Katanga sur ordre de Moïse Katumbi ».

Diner entre Galenga, Yav et Sanguza

Ce plan a, selon notre source, été conçu il y a quelques jours par le Général Jean-Bosco Galenga, le commissaire provincial de la police du Haut Katanga, maître d’œuvre de l’opération, épaulé pour la circonstance parle Général Philimon Yav, le « Tigre de Kabila », ainsi que par le maire de la ville de Lubumbashi, Oscar Sanguza, surnommé « l’ingrat » par les Lushois (promu par Moïse Katumbi alors qu’il s’occupait de l’assainissement de la ville, il a en effet très rapidement « retourné sa veste » en faveur du pouvoir). Il a été finalisé à l’occasion d’un déjeuner à Lubumbashi au domicile du Général Yav, par ailleurs commandant de la 22ème région militaire (voir photo). Selon le plan en question, ces nouvelles preuves de l’implication de Moïse Katumbi sont censées être « découvertes » dans le courant de la journée de « demain ou après-demain ». Soit ce vendredi 20 mai 2016 ou demain samedi.

Quoi qu’il en soit, de Kinshasa à Lubumbashi, en passant par Goma et Kinsangani, la possible arrestation de Moïse Katumbi ne fait qu’aviver les tensions déjà très fortes sur le plan politique en République Démocratique du Congo, marquée par un contexte de répression accrue envers les opposants et un net recul des libertés publiques. Comme l’indique un diplomate en poste dans la capitale, « l’Etat de non-droit progresse aujourd’hui dramatiquement en RDC ».

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