Présidentielle au Kenya : bras de fer entre deux ethnies rivales


Lecture 3 min.
arton29365

Près de 14 millions de Kényans ont été appelés lundi à voter pour l’élection présidentielle. Mais le climat est tendu, avec la mort de 17 personnes tuées quelques heures seulement avant l’ouverture des bureaux de vote dans des affrontements ethniques. Le spectre des violences post-électorales qui ont fait près de 1200 morts et 600 000 déplacés en 2007 s’invite ainsi dans ce rendez-vous électoral. Interview de Lydie Boka, manager du site Strategico.fr, qui explique à Afrik.com les enjeux de ce scrutin à haute tension.

Afrik.com : Dix-sept personnes ont été tuées quelques heures avant l’ouverture des 30 bureaux de vote, dans des affrontements entre ethnies rivales. Pourquoi cette élection présidentielle suscite tant de violences ?

Lydie Boka :
Lors de l’élection présidentielle de 2007-2008, comme souvent en Afrique, il y a eu de la tricherie. Ces violences dans la province de la Côte, sont du fait de mouvements sécessionnistes (MRC – Mombasa). La question ethnique se pose également. Le président sortant, Mwai Kibaki, qui ne se présente pas, est de l’ethnie Kikuyu. Et le Premier ministre actuel, Raila Odinga est de l’ethnie Luo. Les Kikuyu représentent 17-18% de la population du Kenya alors que les Luo, 12%. Ces deux groupes ne s’entendent plus depuis l’indépendance. Le tout-premier président du Kenya était Kikuyu et son premier vice-président Odinga, Luo. Ces problèmes ethniques sont liés au partage de terres. Aujourd’hui, on se retrouve avec le fils d’Odinga (Raila Odinga) et celui de Kenyatta (Uhuru Kenyatta) tous deux candidats à la présidentielle.

Afrik.com : Pour diriger le Kenya, Raila Odinga et Uhuru Kenyatta doivent impérativement sortir de ces luttes ethniques. Sont-ils capables de transcender ces clivages ?

Lydie Boka :
Le colistier de Raila Odinga (Luo), Kalonzo Musyoka est quant à lui originaire de la province de l’est : ce qui casse le clivage. Même Uhuru Kenyatta (Kikuyu) s’est rallié à un colistier, William Ruto, d’une autre ethnie (kalenjin), en l’occurrence une ethnie rivale de la sienne (et ex-allié d’Odinga). Malgré leurs différends, ils ont réussi à faire alliance.

Afrik.com : Sur le plan des programmes, quelle est la différence fondamentale entre Raila Odinga et Uhuru Kenyatta ?

Lydie Boka :
Les programmes se ressemblent beaucoup. Comme dans tous les pays, lors de la présidentielle, les deux candidats promettent aux Kényans de sortir de la pauvreté, de leur donner des jobs, ainsi qu’une meilleure vie. En fait, il n’y a pratiquement aucune différence entre Raila Odinga et Uhuru Kenyatta, sauf peut être qu’Odinga met un peu plus l’accent sur les aspects sociaux (éducation gratuite etc).

Afrik.com : Cette élection présidentielle est organisée sous tensions, sur fond de rivalités ethniques. A quoi doit-on s’attendre en cas de résultats défavorables à un camp ou à un autre ?

Lydie Boka :
Personnellement, je suis optimiste. Parce qu’il y a une nouvelle Constitution qui a réduit le pouvoir du président et renforcé celui du Parlement. Les enjeux sont donc moins importants qu’en 2004 et 2008. La nouvelle Constitution d’Août 2010 a vraiment changé beaucoup de choses, vise à apporter une société plus équitable, ce qui fait que cette année l’élection présidentielle devrait être plus apaisée. Ce sont aussi les élections locales, car en dehors de la présidentielle, les Kényans sont par ailleurs appelés à voter pour les représentants locaux.

Afrik.com : Comment cette élection présidentielle est perçue par les Kényans ?

Lydie Boka :
Les Kényans ont pris part au vote en masse, mais, à part les élites, les Kényans ne s’intéressent pas beaucoup aux questions internationales, notamment l’impact de l’inculpation de Kenyatta à la CPI. L’homme de la rue veut quelqu’un qui améliore son sort. Certains pensent qu’un complot international est exercé pour faire passer Odinga. Le Kenya est une ancienne colonie britannique. S’il y a une intervention de la Grande-Bretagne dans cette élection présidentielle, ce serait alors pour prévenir les risques d’embrasement comparables aux violences de 2007-2008. Il est clair qu’un président (et son colistier) qui est réclamé à La Haye par la CPI, ça pose problème sur le plan international.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News