Nigeria-Boko Haram : Abubakar Shekau, une « brute dénuée du moindre sentiment »


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Les attaques de Boko Haram se succèdent, et malgré l’aide de la communauté internationale, le Nigeria n’arrive pas à sécuriser le nord du pays. Décryptage par Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité à la DGSE (service de renseignement extérieur de la France).

Le Nigeria est au devant de la scène internationale. Pour cause, les plus de 200 lycéennes enlevées par le groupe extrémiste Boko Haram à la mi-avril dans leur établissement de Chibok, dans l’Etat de Borno, sont toujours retenues en otage. Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité à la DGSE (service de renseignement extérieur de la France), explique le processus de radicalisation de Boko Haram qui échappe jusqu’à présent aux occidentaux.

Afrik.com : Comment définissez-vous Boko Haram ? Qui se cache derrière Boko Haram ?

Alain Chouet :
Boko Haram est en fait une appellation familière d’un groupe politico-militaire intitulé « Jama’a al-Islamiyyah lil-da’awa wal-jihad » (Groupe islamique pour la prédication et le combat) créé en 2002 par le Nigérian Mohammad Yussuf. C’est au départ un mouvement de revendication politique, économique et social qui conteste le basculement progressif du pouvoir et des rentes au Nigeria au détriment des populations majoritairement musulmanes du nord du pays et au profit des élites sudistes essentiellement chrétiennes et animistes. Si le mouvement s’est ancré dans l’islamisme, c’est parce que l’Islam est le dénominateur commun des populations hétérogènes du nord du pays et un moyen démagogique de mobilisation contre les sudistes.

Afrik.com : Comment expliquer la radicalisation de ce mouvement depuis 2009 et l’arrivée à la tête du mouvement d’Abubakar Shekau ? Quels intérêts a-t-il à mener toutes ces tueries de masse ?

Alain Chouet :
A ses débuts, le mouvement n’a pas connu un grand succès ni des résultats appréciables. Comme tous les mouvements de ce genre, il a donc été l’objet en interne de surenchères constantes où les plus radicaux, les plus intransigeants et les plus violents, donc les plus voyants, ont rapidement pris le dessus. Voyou et « gros-bras » de la ville de Maiduguri dans le nord est du Nigeria, il a rejoint assez tôt le mouvement de Mohammad Yusuf auquel il a servi de bras armé et exécuteur des basses œuvres. A la mort de Yusuf, tué dans un assaut de l’armée en 2009, Shekau s’est autoproclamé chef du mouvement sans que personne ne cherche à le contester tant sa réputation de férocité était devenue légendaire. Shekau est incontestablement une brute de quartier dénué du moindre sentiment et il a tout intérêt à entretenir cette image pour être pris au sérieux…

Se « payer sur la bête »

Afrik.com : Dans quelle mesure le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, contrôle-t-il vraiment ceux qui se revendiquent de son mouvement ?

Alain Chouet :
C’est sa réputation de brutalité et son intransigeance qui ont permis à Shekau d’établir son autorité. Mais pour la conserver, il lui a aussi fallu faire preuve d’habileté dans ses choix stratégiques et tactiques ainsi que dans le management des hommes. C’est pourquoi il est certainement erroné de le présenter comme un fou furieux. Boko Haram est comparable aux « grandes compagnies » de mercenaires qui écumaient l’Europe à la fin du Moyen Age. Ce ne sont pas des armées ordonnées et disciplinées. Le chef définit des grands axes stratégiques et tactiques que les sous groupes doivent en gros respecter. S’ils ne le font pas, la brutalité du chef s’abat sur eux. S’ils le font, le chef leur donne licence de se « payer sur la bête » par le pillage, la mise à sac et le viol, et partage les bénéfices avec eux.

Afrik.com : L’enlèvement de deux prêtres italiens et d’une sœur canadienne récemment libérés n’avait pas été revendiqué par cette organisation, quelle est le degré d’homogénéité de ce mouvement ?

Alain Chouet :
Pour Boko Haram, l’enlèvement de ressortissants occidentaux a d’abord une finalité financière qui est d’obtenir une rançon aussi élevée que possible. Si les négociations avec le pays d’origine des otages se révèlent prometteuses et fructueuses, il n’est pas nécessaire de faire du bruit autour. Ce n’est qu’en cas de marchandage ou de réticences à payer le prix des otages que Boko Haram interpelle l’opinion publique internationale par de la publicité et des revendications plus ou moins fantaisistes et évidemment d’ordre politique pour ne pas avoir à afficher ses appétits d’argent. Personne n’est dupe.

« Asile et protection parmi la population locale »

Afrik.com : Boko Haram, qui n’opère principalement que dans l’Etat de Borno, au Nord-Est, déstabilise-t-il réellement le pays le plus peuplé d’Afrique ?

Alain Chouet :
L’État de Borno est le territoire d’origine et le principal réservoir de militants du mouvement. Mais Boko Haram est aussi actif dans les territoires voisins de Yobe et Gombe et mène aussi des opération dans le saillant de Jos, excroissance vers le nord de l’Etat du Plateau (Etat où ne s’applique pas la charia et où vivent de nombreux chrétiens) ainsi que des attaques ponctuelles un peu partout dans le nord du Nigeria. Le fait qu’un groupe extrémiste puisse ainsi mener à sa guise des actions offensives répétées et meurtrières au nez et à la barbe des forces de sécurité nationales dont l’impuissance est ainsi démontrée est évidemment très déstabilisant pour le pouvoir fédéral qui se trouve réduit à solliciter publiquement l’assistance de ses voisins et de la communauté internationale.

Afrik.com : Boko Haram multiplie les attaques, comment expliquer, selon vous, que les pays occidentaux lancés à leur trousse, avec tous les moyens logistiques et humains mis en œuvre, n’arrivent toujours pas à repérer les bases arrières de l’organisation ?

Alain Chouet :
Le nord-est du Nigeria n’est pas le désert du Sahara. Entre les nombreux villes et villages, on y trouve des zones cultivées, voire boisées, où il est possible d’échapper aux surveillances aériennes. Contrairement aux miliciens d’AQMI au Mali, les militants de Boko Haram sont chez eux dans cette région du Nigeria dont ils sont majoritairement issus. Ils trouvent fréquemment asile et protection parmi la population locale qui, bon gré mal gré, leur fournit le gîte, le couvert et des caches sûres. Les pays occidentaux disposent effectivement d’importants moyens techniques de surveillance et d’écoute, mais ces moyens sont d’une utilité très relative face à une rébellion armée rustique évoluant « comme un poisson dans l’eau », qui utilise très peu de technologie et se sait surveillée et écoutée. Quant aux moyens humains, les Occidentaux en ont très peu sur le terrain. Agitée depuis un demi-siècle par les propagandes nationalistes et extrémistes religieuses, la population se méfie des Occidentaux et refuse généralement de coopérer avec eux. Au Nigeria, tout le monde garde en mémoire l’aventure biafraise des années 60 au cours de laquelle certains Occidentaux avaient encouragé la sécession du sud et la révolte des Ibos avant de les abandonner en rase campagne et les livrer au massacre. Et ce ne sont pas les exemples du Viet-Nam, de l’Afghanistan, de l’Irak ou de la Libye qui risquent de donner confiance à la population locale dans l’intervention – forcément limitée dans le temps – des Occidentaux….

Deuxième partie de l’interview: Alain Chouet révèle les soutiens extérieurs dont peut bénéficier la secte islamiste Boko Haram et notamment les financements des pétromonarchies du Golfe.

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