Nadi.h.cas : une femme tout en couleurs


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La vie et la personnalité de l’artiste peintre Nadi.h.cas dévoilent une femme tout en couleurs. Comme les tableaux qu’elle peint sans cesse. Comme une obsession, un besoin vital, la dame de 58 ans représente inlassablement « la femme fleur », son personnage phare. De manière viscérale, l’autodidacte exerce son art, parfois des jours et des nuits durant. Pour conjurer ses maux, et ceux de ce monde douloureux et paradoxal, en le rendant plus beau, avec son pinceau. Du point de vue de cette utopiste née, vivre c’est forcément aimer, et peindre. Pour Afrik.com, elle a accepté de nous faire voyager dans son univers. Rencontre.

« Les épreuves servent quand on sait en faire du positif »

Afrik.com : Vous êtes une femme d’expérience, racontez-nous un peu votre enfance dans les années 1960 et 1970?

NADI.H.CAS :
Je suis la deuxième d’une famille de 5 enfants. J’étais une enfant plutôt calme, mais avec le besoin de me défouler, sans doute pour m’échapper d’un univers où le rêve n’a pas toujours eu sa place. Je prenais la vie comme elle arrivait. Très jeune, j’ai réalisé que ce monde ne me semblait pas tourner très rond. Un monde de paradoxes, un monde de changements et pas des moindres. Les années 70 qui accueillent mon adolescence ont aussi connu beaucoup de changement d’un point de vue social, des mœurs, des modes, des musiques, et même du vocabulaire et ont ébranlé nos comportements et accentué la séparation radicale des familles, davantage marquée par la grande guerre, avec les influences de l’ouest américain, que j’ai longtemps déploré.

Afrik.com : Depuis quand peignez-vous?

NADI.H.CAS :
Depuis ma naissance (rire). Plus sérieusement, j’ai vraiment commencé toute petite, à la maternelle et j’adorais cela, c’était mes instants de joie !

Tous ces pinceaux, ces belles feuilles, ses couleurs, seule l’école me donnait les moyens de cette belle et étonnante découverte !

La primaire fut moins drôle …. Encore très veille France, l’éducation nationale avait encore la mentalité à la Pétain. Les garçons d’un côté, les filles de l’autre ….pareil pour les travaux manuels, peinture pour les garçons, couture pour les filles. Autant dire un beau gâchis !

Il ne me restait plus que mes moments de  » liberté  » pour prendre mes crayons, dessiner et peindre, et je l’ai constamment fait jusqu’à aujourd’hui.

Afrik.com : Quel est le point de départ de vos créations?

NADI.H.CAS :
Disons que c’est un  » état  » de mes sens qui se mettent en ébullition (sourire) ….si aujourd’hui je peignais ce qui m’entoure, mes peintures seraient pleines de sang, de larmes et de cris ! Mais bizarrement mes peintures en prennent le contre-pied et montrent une grande sérénité, voir même de la positivité, de la gaieté et pourtant, dans ma tête c’est souvent très sombre, triste… Ma confiance en la vie est toute relative. Quand parfois, je ne peux pas peindre pour quelques temps, je me fane ! Je suis dans la crainte constante de ne plus avoir ces moments entre moi et ma toile. Des moments privilégiés que je vis très égoïstement.

Afrik.com : Vous avez séjourné en Afrique, notamment en Mauritanie et au Sénégal. Pouvez-vous nous dire en quoi cette vie africaine a enrichi votre travail?

NADI.H.CAS :
J’ai eu la chance de d’abord rencontrer l’Afrique dans mon propre pays. J’ai vécu dans des banlieues où depuis ma jeunesse j’ai côtoyé la mixité. Mon éducation puis mes rencontres amicales m’ont permis de partager de loin ou de près la culture de personnes venues du nord et de l’ouest de l’Afrique. Pour l’époque, mes parents étaient des gens très ouverts. Qu’importait la couleur, la culture, il y avait toujours une place pour celui ou celle qui rentrait dans le foyer ! Ensuite, j’ai mis le pied sur le continent africain en 2007, en Mauritanie lors d’une invitation au « festival des arts ». 15 jours de rencontres, de partages entre des artistes de différents pays, de différents arts. J’y suis restée trois mois.

Puis de nouveau de retour en France, avec une impression qu’il fallait que je retourne là-bas… J’ai choisi le Sénégal, peut-être parce que j’y avais quelques attaches… je me suis arrêté au  » village des arts  » à Dakar (un heureux hasard) et à partir de là, rencontres après rencontres, partages après partages, amitiés après amitiés, des liens se sont faits et la création c’est fait aussi, naturellement, comme l’on se penche à la source pour y boire une eau pure !

Afrik.com : Pourtant, en 2006, vous aviez appris que vous étiez très malade…

NADI.H.CAS :
Oui. Avant mon départ pour la Mauritanie, j’avais eu un an de traitement très sévère, qui ne m’a pas guérie d’ailleurs !

J’avais comme une soif de vivre et de m’échapper de mes pensées conditionnées par ce corps malade. Les voyages furent durant de longues années (alors qu’elles m’étaient comptées) comme une reconnaissance à chaque fois. Ce continent là-bas m’offrait de la force! Ce n’est qu’en 2013 qu’il a fallu que j’arrête totalement ces voyages, rattrapé par la maladie qui devenait malgré tout de plus en plus épuisante. Et c’est en ayant tout en mémoire, la chaleur, le bol partagé, les longues palabres sous le manguier, les voyages en bus etc que je me suis sentie assez forte pour continuer à peindre et accepter ce retour  » médical  » indispensable.

Afrik.com : Dans votre carrière vous avez aussi sculpté des objets durant plusieurs années. Qu’est-ce que cet art très lié au touché, à la terre, à la vie, vous apportez ? Pourquoi avoir arrêté ?

NADI.H.CAS :
J’ai fait des études de céramique industrielle, 2 ans exactement, j’ai été viré ! (rire) Il faudra plusieurs années pour que je revienne à la terre et que je me mette à travailler l’argile. Durant ces années je me suis mise à pétrir l’argile, tourner aussi, cherchant des formes, sculptant, moulant, puis conduire des cuissons et découvrir la magie de la fusion des émaux, des engobes. C’était une époque où le besoin de sentir les formes sous mes mains me procurait beaucoup de bien… la 3D, comme on dirait aujourd’hui. Il n’y a pas de mots pour expliquer ces moments privilégiés que je passais dans mon atelier. J’y étais bien. Au fond, je n’arrête rien, je mets juste ces moments en jachère, il se pourrait qu’un jour je revienne planter une graine ! Il faut savoir poser sa mémoire vive et aller trouver d’autres nourritures pour enrichir d’autres mémoires ! Je vis les instants présents quand je ne vis plus le présent, je pars vers d’autres horizons, vivre d’autres instants …de vie !

Afrik.com : Pourquoi les couleurs jaune et rose dominent t-elles vos œuvres?

NADI.H.CAS :  »
Le jaune et le rose « , cela pourrait presque faire un titre !

Je ne porterais personnellement jamais du rose, mais en peinture, je trouve cette couleur niaise à souhait et si remplie de sous entendues. En France, cette couleur à une connotation particulière pour bien des raisons et cela me met parfois hors de moi. Et pourtant j’ai effectivement peint la femme fleur avec ce rose, voyante à souhait !!!! _ Peut-être aussi qu’au début, ma femme fleur provoquait, elle était toujours nue, rose pétard avec son triangle noir pour représenter son sexe. A cette époque-là, certaines personnes étaient assez choquées, voir beaucoup ….En plus de ce triangle, sortaient 3 tiges d’où s’épanouissaient les fleurs. Aujourd’hui, elle l’est beaucoup moins…. _ Quant au jaune, c’est le cœur de la fleur, avec les cinq pétales blanches d’une marguerite. Simple et en même temps puissante ! Ma peinture ne se veut pas intellectuelle, ma chance c’est juste de pouvoir transformer mes sentiments en conte de fée ! Une bouée de secours en quelque sorte !

Afrik.com : D’où vient ce personnage qui revient dans tous vos tableaux? Et pourquoi elle?

NADI.H.CAS :
La femme fleur est un personnage enivrant, parfois elle m’obsède, au point que je me dis  » STOP « , mais au final quand je la peins, je me tranquillise, je retrouve un semblant d’équilibre. Mon cerveau se vide et chaque coup de pinceau me donne envie de continuer !

Je suis une véritable  » inquiète « , le monde me fait mal et fait aussi trop de mal autour de moi …alors je la peins, comme une « protection ». A l’origine, la femme fleur c’est le nom que m’avait donné mon premier compagnon lorsque nous avions appris que je ne pourrais jamais porter un enfant. Il m’a dit « ce n’est pas grave tu resteras toujours  » ma femme fleur  » ». La fleur étant celle qui, un jour, fait le fruit ! Chez moi, le fruit ne pouvait pas naître. Par contre, je ne rêvais pas d’avoir un enfant, même si mon corps lui était en manque, très vite j’ai réalisé qu’avoir un enfant dans ce monde c’était le mettre en danger. Cela n’a pas été facile à vivre car la société te met vite de côté quand tu ne te  » reproduis pas « … la stérilité ou le choix de ne pas engendrer heurte le bien fondé des sociétés. Je suis née dans une culture et à une époque ou  » travail, famille, patrie  » était encore un grand sujet de société !!! Mon histoire se transforma en dessins, puis en sculpture et enfin en peinture…

On m’appelle parfois « la femme fleur » mais je n’aime pas. Car certes il y a quelques choses de moi dans cette  » femme  » mais ce n’est pas moi ; moi j’ai une identité, je m’appelle Nadia et je suis bien réelle. Quand les gens m’appellent ainsi ils m’identifient automatiquement à une femme parfaite, qui assure, pire, ils m’idéalisent et ça c’est pas mon truc !

Afrik.com : Vous avez eu une vie bien remplie (travaillant notamment dans le social), qu’est ce qui vous a poussé et vous pousse encore aujourd’hui à embrasser des combats importants tel que la défense des immigrés sans papier.

NADI.H.CAS :
Les épreuves douloureuses servent quand on sait les transformer, et en faire du positif… Et par la suite, malgré des moments difficiles, je me suis servie de ma haine, et j’en avais à revendre, elle a nourrit ma volonté pour avoir la force d’être auprès des gens qui eux aussi subirent des  » violences « , des injustices etc. Je n’ai jamais revendiqué un statut de militante, juste celle d’une femme qui se retrouve face à des situations et qui se dit  » Que puis-je faire à l’instant présent ? ». Dans ma vie, j’ai rencontré trop de tristesse, d’appel au secours, d’épuisement d’hommes, de femmes, d’enfants… et, effectivement, je me suis dit, si je peux au moins aider une seule personne jusqu’au moment où cette personne retrouvera la quiétude d’un toit, la sécurité de sa vie et peut être enfin le plaisir de retrouver la force de repartir vers un  » avenir meilleur  » tant mieux. Il y aura encore sans doute une autre personne, malheureusement, après elle.

Afrik.com : Pouvez-vous partager l’une de vos anecdotes de votre parcours de femme militante avec nous ?

NADI.H.CAS :
Je me rappelle d’un homme, par exemple, cela faisait 13 ans qu’il était en France avec toujours rien quand je l’ai rencontré, il a fallu encore plusieurs années pour qu’il ai des papiers, un toit, un travail. Aujourd’hui, il sourit à la vie, mais je sais que des cicatrices sont marquées au fer rouge dans son cœur, malgré son sourire, il a tout perdu cette année 1991 et malheureusement, trop de gens ont perdu et perdent encore beaucoup dans ce monde !

L’humanité me fait tant de mal, parfois je me dis  » mais pourquoi faire des enfants dans ce monde qui en tue chaque jour par millier ? Guerre, famine, travaux forcés et j’en passe « .

Mais je fais partie de ce monde même si je peux parfois m’en détacher en peignant, je suis une humaine et je ne peux pas me taire ou faire semblant de ne rien voir !

Afrik.com : A quoi rêvez-vous Nadi.h.cas?

NADI.H.CAS :
A quoi je rêve ?? Oh là, mais à la Paix pardi ! Je suis une grande utopiste ! Mais je crois malheureusement, avec beaucoup de regret, que je ne la verrais pas cette paix universelle qui baigne dans les chants, la poésie, la peinture la plus utopique. Je crois que depuis que le monde est monde, l’humain c’est inventé des prières, des danses, des cérémonies et tout plein de positives passions, seulement pour pouvoir supporter l’impossible, à savoir que l’humanité n’a jamais connu de paix universelle !

Afrik.com : Une prochaine exposition, un prochain projet en tête?

NADI.H.CAS :
Je prépare deux projets pour un avenir très proche. Je peins, je dessine. Et j’espère trouver les moyens d’exposer à Paris, pourquoi pas ? Et pourquoi pas une autre ville ici ou hors des frontières ! En ce moment, à Toulouse où je vis, je ne me retrouve plus car la ville a éloigné les peintres, les lieux d’expositions sont rares ou trop coûteux pour l’artiste. Elle est finie la belle époque où l’on venait chercher l’artiste pour qu’il expose, avec toute l’attention par rapport à son travail !! J’aimerai aussi retourner voir mes amis au Sénégal et, pourquoi pas, se faire une toile à plusieurs mains ! Très longtemps, je me suis considérée comme une « NO FUTUR », c’est encore un peu le cas car je me concentre avant tout sur le moment présent et le vis avec mes deux bras grands ouverts pour l’enlacer et me faire du bien ! Je n’ai qu’une vie et je compte bien allée jusqu’au bout, et peut être dire enfin ce mot que je n’ai jamais réussi à me dire :  » enfin heureuse  » !

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