Muhammad Yunus, soldat de l’entreprenariat social


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Fondateur de la banque d’investissement Grameen, il a permis à des millions de personnes d’améliorer leurs conditions de vies, au Bangladesh, son pays d’origine, grâce au système de micro-crédit, qu’il a initié. Muhammad Yunus, défenseur de l’entreprenariat social, veut développer ce concept en Afrique. Il est intervenu sur la question vendredi à l’occasion des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement à Marrakech (BAD). Portrait d’un convaincu.

De notre envoyée spéciale à Marrakech

Il à 72 ans mais n’en parait que 50. Debout sur la scène, un micro à la main, Muhammad Yunus, on peut l’écouter durant des heures sans se lasser. L’assistance composée d’une cinquantaine de personnes dans cette immense salle abritée sous une tente, à l’occasion des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD), à Marrakech, n’a de yeux que pour lui.

Vêtu de ses vêtements traditionnels, il faut dire que le professeur d’économie originaire du Bangladesh a un don pour convaincre tous ceux qui l’écoutent prôner entreprenariat social. En toute simplicité, le regardant droit dans les yeux, il explique au public, que l’entreprenariat social est un système économique qui a pour seul objectif d’améliorer les conditions de vies des plus démunis, sans tirer de dividende. « Ce qui ne signifie pas que nous ne générons pas de bénéfices. Nous faisons des affaires comme toute entreprise. A la différence que nous effectuons des investissements dans le social qui génèrent des revenus pour résoudre des problèmes ciblés, bien précis. » En clair, « nous faisons des affaires pour améliorer l’existence des gens », explique-t-il.

Les gestes vifs, de sa voix grave qui résonne dans la pièce, il enchaîne les arguments. Convaincu que c’est ce concept qui peut changer la face du monde. Même lorsque Richard Attias, qui anime sa présentation, le titille, lui demandant quels sont les limites de ce système ? Il répond : « Il n’y en pas ! Pourquoi toujours faire des profit au détriment des autres ? L’argent ne doit pas être une fin en soi mais utilisé pour transformer la vie des gens.  »

L’Afrique est l’avenir du monde

La réponse du théoricien du micro-crédit qui a permis a des millions de ses concitoyens et dans d’autres pays du monde de sortir de la pauvreté n’est pas anodine. Si le Bangladesh ne pèse pas lourd sur la scène internationale, lui est aujourd’hui en quelque sorte le porte drapeau de ce pays classé parmi les plus pauvres du monde. Le Prix Nobel de la Paix qu’il a obtenu en 2006 suite à ses initiatives a d’autant plus accru sa notoriété.

Muhammad Yunus n’est pas un adepte de la charité. Loin de là. Pour lui, « il ne faut pas toujours attendre que le gouvernement ou que des ONG fassent des choses pour vous. Les citoyens peuvent par leurs propres initiatives changer leur vie. La créativité est le coeur de l’entreprenariat social tandis que la charité étouffe la créativité et met l’individu qui réclame de l’aide dans une position de dépendance. »

Au contraire, selon celui qui a passé les premières années de sa vie dans son village natal, où il a vu le jour en juin 1940, « il faut mettre en place des structures pour libérer les énergies et développer la créativité. Telle est la solution qu’il propose pour l’Afrique. Un continent auquel il s’intéresse de plus en plus. Il ne fait pas de doute. « L’Afrique va devenir le grenier du monde. » L’entrepreneuriat social en effet peut permettre à l’Afrique de se développer. Muhammad Yunus en est convaincu. « L’Afrique est l’avenir du monde. C’est un continent avec beaucoup de ressources mais qui n’ont pas été pleinement exploités, note-t-il. Tout est possible en Afrique. Les femmes sont déjà très actives. Elles gèrent les finances, travaillent beaucoup, et sont très impliquées dans le développement. Toutes les conditions sont réunies. L’Afrique est prête pour le changement. Il suffit juste d’y croire. »

La banque des pauvres

Muhammad Yunus n’est pas du genre à douter de ce qu’il fait. Un optimisme à toute épreuve qui l’a poussé à créer sa banque d’investissement, la Grameen bank en 1976. Elle fonctionne comme une banque traditionnelle et a à son actif 25 000 employés, accordant des micro-crédits aux plus démunis à des taux d’intérêts très faibles. Elle a permis à des millions de femmes de créer leur propre entreprise et sortir de la pauvreté. Ce système de micro-crédit, basé sur la confiance, l’ex-professeur d’économie l’a mis sur pied après avoir prêté son propre argent aux plus pauvres durant plusieurs mois, voyant qu’ils n’avaient pas accès aux services bancaires. « J’enseignait des grandes théories économiques à l’université et en sortant de chez moi je voyais des pauvreté partout. Cette situation m’était devenu insupportable. Je suis allé voir les banques et leur ai dit : « pourquoi vous ne prêtez jamais aux pauvres alors qu’ils ont besoin d’argent? » Elles m’ont ri au nez et dit : « depuis quand les banques prêtent aux pauvres? », raconte-t-il.

C’est depuis cet épisode, qu’il s’est promis de développer le concept du micro-crédit à travers la Grameen. « La banque des pauvres » fait tout le contraire de ce que font habituellement les banques traditionnelles : Ces dernières « prêtent aux riches, nous nous prêtons aux plus démunis. Elles ne s’intéressent qu’aux hommes, nous nous privilégions les femmes. Elles ne sont présentent que dans les villes, nous on se rend dans les villages. » Pour Muhammad Yunus ce n’est pas aux gens d’aller vers la banque mais à la banque d’aller à leur rencontre. « C’est ce qu’on a fait en allant rencontrer les femmes dans les villages. Sous l’autorité de leurs maris, elles n’auraient jamais pu se rendre seules à la banque ».

Chef d’entreprise à 21 ans

Grace aux revenus générés par la Grameen, quatre cliniques ont été créées, où des millions de personnes ont pu être opérées de la cataracte pour ne pas perdre la vue. Une cinquième est en cours de construction. Les bénéfices ont aussi permis à la banque de s’engager dans la réduction de la malnutrition dans le pays. Des entreprises telles que Danone se sont intéressées au projet et scellé un partenariat pour produire des yaourts vitaminés pour les enfants mal nourris. Des écoles ont aussi vu le jour pour réduire le taux d’analphabétisme dans le pays. Le micro-crédit s’est rapidement étendu dans d’autres continent comme l’Amérique latine et l’Afrique, où Muhammad Yunus intervient pour apporter son expertise.

Issu d’un famille aisée, dont le pèregérait une bijouterie dans la deuxième ville du Bangladesh, Chittagong, entreprendre semble une seconde nature chez lui. Troisième enfant d’une lignée de quatorze enfants, dès l’âge de 21 ans, il crée une usine high-tech d’emballage et d’impression du Pakistan oriental. L’affaire est une concluante mais il abandonne la gestion à deux de ses frères pour aller étudier aux Etats-Unis. Il y rencontre sa première femme, une jeune américaine d’origine russe, Vera Forostenko, avec qui il se marie en 1970. De cette union née sa première fille, Monica Yunus. Il finira par divorcer d’elle dix ans plus tard avant de se remarier avec Afrozi Yunus, professeur de physique de l’université de Jahangirnagar, avec qui il a eu sa seconde fille, Dina Yunus. En 1971, après la proclamation de l’indépendance du Bangladesh, Yunus qui avait pris part pour les indépendantistes, décide de rentrer dans son pays pour contribuer à son développement.

Menaces

La mise en marche du développement de son pays à travers l’entrepreneuriat social était loin d’être une mince affaire. Il a fallu six ans à l’ex-professeur d’économie pour convaincre les femmes, au début réticentes à s’engager à prendre un crédit. Beaucoup d’entre elles craignaient de ne pas pouvoir rembourser. En 2011, c’est le gouvernement de son pays qui lui met les bâtons dans les roues, voyant d’un mauvais oeuil ses activités et l’ascension de sa notoriété. Il lui somme de quitter la direction de la banque alors qu’il est âgé de 70 ans, arguant que l’âge maximum légal pour exercer ses fonctions est de 60 ans. Menacé d’être renvoyé, Muhammad Yunus porte l’affaire devant la Haute Cour de Dacca, la capitale du pays. Mais celle-ci le condamne le mardi 8 mars à tirer sa révérence. Il accepte cette décision et quitte ses fonctions de directeurs général, laissant sa place à son adjoint.

Aujourd’hui, le théoricien du micro-crédit est bien loin de tout cela. Il est optimiste pour l’avenir et croit beaucoup en la capacité des jeunes à changer les choses dans les parties du monde les plus pauvres : Afrique , Asie, Amérique latine. Le soldat de l’entrepreneuriat social a des projets pleins la tête. Il fourmille d’idées pour inciter les gens à prendre leur destin en main.

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