Mónica Carrillo : dépasser la négritude et passer à l’Afrodescendance


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Mónica Carrillo est une jeune leader du mouvement afrodescendant au Pérou. Elle a voyagé de part le monde pour faire des discours sur le sujet et organise des ateliers pour les jeunes dans les zones considérées marginales.

Sur une tablette de son studio se trouvent les photos des ses oncles et tantes, grands-parents et de ses trisaïeuls . Elles sont dans de vieux cadres, intacts, préservés avec la délicatesse requise pour les reliques. Mónica Carrillo les a placé près de l’ordinateur sur lequel elle écrit, dans un exercice de mémoire et d’invocation : les photos de famille, dira-t-elle par la suite, lui permettent de se connecter avec les ancêtres. « Quand j’étais petite et que j’avais des problèmes, j’allumais une bougie pour mon grand-père « , raconte-t-elle au sujet de ce trait de spiritualité qui vient du passé. Tout son travail intellectuel, les conférences qu’elle donne à l’étranger, les ateliers qu’elle organise pour les jeunes afropéruviens sont centrés sur la sauvegarde de cet héritage. Le sujet la passionne. Et de fait, elle a baptisé plusieurs de ses projets du mot ‘Lundú’, qui veut dire ‘successeur’ en langue Kikongo.

Mónica assume son militantisme. Même ses poèmes, qu’elle vient de présenter dans un disque ont une composante d’expérience de vie et d’analyse. « Je ne suis pas pauvre (No soy pobre)/ Je suis appauvrie (soy empobrecida)/mais je ne suis pas noire, je suis noircie (pero no soy negra, soy ennegrecida/ »,) dit l’un d’eux. Sa formation est le ciment d’un discours puissant: elle a étudié en communication sociale à San Marcos, puis fait une spécialisation en Droit International des Droits Humains à l’Université d’Oxford et elle vient de terminer un diplôme en Analyse Culturelle. Ses paroles la décrivent.

D’où provient votre lutte pour la culture afropéruvienne en tant que militante.

Mon père et ma mère m’ont toujours encouragé à développer une conscience sur le fait d’être afrodescendant et de ne pas me laisser écraser par les situations de racisme, qui sont extrêmes. Quand j’avais 5 ou 6 ans, je devais supporter des agressions et des insultes tous les jours. Ma sœur et moi, on avait un professeur qui nous disait : « Voilà les petits singes ». Et cela encourageait les autres enfants à nous maltraiter.

C’était ainsi que débutait la marginalisation.

Bien sûr. Personne ne jouait avec moi et quand j’allais à une fête personne ne dansait avec moi. Et si une personne osait le faire, les autres se moquaient d’eux. C’est ce qui arrive encore à beaucoup de fillettes noires.

C’est une source de ressentiment.

Quand tu es agressé, il y a trois possibilités : l’une c’est la victimisation devant une blague raciste. Une autre est la violence. Et la troisième c’est de trouver une explication historique et une proposition créative; il ne s’agit pas de seulement dire ‘je suis contre le racisme’, mais plutôt avoir une nouvelle façon de voir le monde. C’est cette option qui est la mienne.

Pourquoi est-il difficile de le faire ici ?

Je pense que le Pérou est le pays le plus raciste d’Amérique du Sud: quelqu’un peut te regarder dans les yeux et te dire ‘le singe’ et s’en aller en rigolant. Pour une situation pareille dans un autre pays, tu vas en prison. Et c’est terrible que même l’État approuve et affirme le stéréotype : quand Valentín Paniagua est mort, on a pris des hommes noirs vêtus de noir comme symbole du chagrin, en plus avec des gants blancs pour porter le cercueil, comme symbole de la pureté de la partie qui touche le mort. C’est la même chose que de mettre un homme noir à la porte des hôtels, vêtu de rouge, comme à l’époque de l’esclavage.

Leur reprochez d’accepter ces conditions ?

On peut se mettre à protester, mais il s’agit d’un autre frère afrodescendant. Et puis, il est difficile qu’un noir trouve du travail. L’idée est de développer une conscience pour que si tu as cette possibilité, tu continues à chercher et que tu ne t’arrêtes pas.

C’est pourquoi est né le groupe Lundú.

J’ai travaillé un moment au niveau national contre le racisme, à une période précédant la Conférence Mondiale contre le Racisme en Afrique du Sud. J’ai été Rapporteur de la Déclaration Mondiale des Jeunes et j’ai beaucoup travaillé dans le domaine international pour porter la voix des jeunes péruviens. Mais en tant qu’Afrodescendante, j’ai créé Lundú en 2001, un espace pour promouvoir l’organisation sociale de base et une ligne culturelle de propositions, créative contre la discrimination. Aujourd’hui nous travaillons le projet Esthétique en noir avec les enfants des zones les plus stéréotypées et marginalisées, comme les Barracones, Marco Polo, Barrio Cinco. L’idée est d’explorer des formes de compréhension de l’art qui soit différente de jouer le cajón et danser, ce qui est bien, mais, qu’en est-il des arts plastiques, de la littérature?

Vous le faites dans une région violente.

Les enfants font de la peinture sur toile pour canaliser leurs vécus. Il y en a 20% qui ont des problèmes de retard liés à la malnutrition, la drogue que les parents consomment, etc. On vise un changement de mentalité. À El Carmen, Chincha, l‘idée est de combattre le tourisme à connotations sexuelles. Moi je ne l’appelle pas le tourisme sexuel, car il n y a pas nécessairement une relation d’argent. Très souvent, le racisme interne même encourage « l’amélioration de la race ». Des gens proches me disent: « Mónica, je ne veux pas condamner mes enfants à souffrir tout ce que je souffre, à devoir étudier deux fois plus pour démontrer qu’ils sont intelligents ». L’option sur laquelle nous travaillons est de déconstruire ce qui se trouve dans l’esprit: le politique mais également l’artistique.

Votre disque est comme une déclaration de principes.

Il est intéressant pour moi de compléter mon travail académique avec d’autres sentiments de ma vie. Je suis une femme, je suis afrodescendante et je peux être beaucoup plus. Je choisis ce sur quoi je m’affirme et ce n’est pas une raison pour nier mes autres identités.

De fait, vous incluez les références religieuses, le palo monte, la tabla de Ifá, qui ne sont pas très prisés ici.

La grande caractéristique des populations afrodescendantes d’ici, est que au-delà de prier Dieu et la vierge, on prie les ancêtres, comme sous d’autres cieux ont prie les orixas du panthéon yoruba ou du candomblé. Ma grand-mère ne demandait jamais rien à Dieu, mais plutôt à sa grand-mère. Ma mère a toujours allumé des chandelles pour l’oncle Armando. J’ai aussi toujours allumé des chandelles pour mon grand-père, même si je ne l’ai jamais connu. Cela fait partie d’une spiritualité africaine que l’on ne prend pas en compte.

Il y a également une charge de protestation sexuelle dans ces poèmes.

J’ai voulu concentrer les voix de toutes les femmes afrodescendantes. Si quelqu’un me dit qu’il m’aime non pas parce que je suis Mónica, mais parce que je suis noire, c’est du racisme. Ce n’est pas une flatterie, même s’ils le font passer pour cela. Des fois quand je suis dans un bar ou un restaurant de Miraflores ou San Isidro, on se met à me parler en anglais. D’autres te disent : c’est bien, tu dois être contente. Je leur dis non, qu’il devrait y avoir plus de personnes comme moi ayant cette possibilité. Actuellement, socialement parlant, nous sommes dans des ghettos, dans Los Barracones, à Callao, La Victoria.

Ils ne s’y installent pas, on le fait pour eux.

Et pour le peu d’opportunités qu’on a, on ne dispose pas de la mobilité sociale. Maintenant, d’un point de vue plus philosophique, le ghetto peut être perçu autrement : dans un contexte si agressif, tu rencontres des gens comme toi dans un espace d’affirmation, de retenue. « Je te le raconte et tu me le racontes ». C’est ce qui fait que je n’aille pas dans la rue jeter une pierre sur une auto comme j’en ai déjà eu l’envie. Au Brésil, on dit que par le biais du hip hop, les noirs ont pu développer leur conscience. Mais qu’arrive-t-il quand tu es conscient et que tu te procures une arme ? Tu sors et tu voles ou tues celui qui est la source de ta misère. C’est la raison pour laquelle nos ateliers dans les zones comme Los Barracones ont pour objectif la retenue, pour canaliser cette énergie.

Vous devez avoir en tête des scènes terribles.

Il y en a plusieurs. L’une d’elles m’est arrivée en Afrique du Sud. J’étais assis à l’extérieur d’un hôtel, je mangeais un sandwich. À ce moment est arrivé un gamin qui m’a demandé le sandwich. Alors que j’étais en train de le partager, il est tombé dans la boue, mais le gamin l’a ramassé comme ça et l’a apporté à sa maman. Cela m’a touché et m’a fait réaffirmer mon engagement d’afrodescendante. Dans Los Barracones, il y a une fillette, la plus noire du groupe, elle a 8 ans. L’idée était qu’elle parle comme un personnage derrière son masque. Elle l’a donc mis et a dit : « Je m’appelle Francine, je danse la musique axé, j’ai les cheveux ondulés très blonds et j’ai les yeux bleus. Je suis sur une grande scène et les gens m’applaudissent et me disent que je suis belle. Mais je ne vais jamais accomplir mon rêve, je vais souffrir tous les jours parce je suis noire ». 90% des enfants ont dit qu’ils étaient blonds aux yeux bleus. Nous nous détestons nous mêmes.

Il manque une figure idéologiquement forte

On ne peut pas parler d’un, mais de plusieurs leaders. Notre proposition conceptuelle, politique est de dépasser la négritude et de passer à l’Afrodescendance. Nous voulons nous reconnaître en tant que descendants d’une diaspora africaine, en conséquence de l’esclavage. Cela implique la nécessité d’une réparation, non pas économique, mais politique: qu’il y ait des lois plus claires contre la discrimination, des opportunités plus évidentes. Mais également une réparation subjective, un rassainissement que nous mêmes devons faire. Par la suite viendra la reconstruction des valeurs africaines éparses. Les leaderships afropéruviens doivent suivent la voie qui mène à cela

SA FICHE Nom: Mónica Carrillo.

Profession: Chercheuse, conférencière, poétesse.

Trajectoire: Elle fut rapporteur de la Déclaration Mondial des Jeunes contre le racisme de la Troisième Conférence Mondiale contre le Racisme (Afrique du Sud , 2001). Directrice de Lundú, Centre d’Études et de Promotion des Afropéruviens.

Distinctions: Reconnaissance accordée aux Femmes qui Luttent pour le Futur, de la Fondation Madre, New-York (2006).

Nicomedes Santa Cruz disait que ses voyages au Brésil et en Afrique lui ont ouvert les yeux. Qu’est ce que cela a changé en vous ?

D’ici, on a une vision romantique, en pensant comment il serait beau de vivre dans un endroit où tout le monde serait noir. Ou alors on voit l’Afrique comme un paradis de rois et de reines où l’on veut retourner. Les choses ne sont pas ainsi. En Afrique, on n’est pas noir. On est yoruba ou d’une autre communauté. Le noir est une construction européenne. Deuxièmement, on n’appartient pas à ce continent. La preuve c’est le Libéria, où s’est formé un pays avec des gens de retour des États-Unis, mais ils étaient déjà occidentalisés et ils se sont placés sur un plan supérieur. Les guerres civiles actuelles sont encore dues à cela. Et si on se compare aux pays voisins, on est comme 50 ans en arrière.

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