Martin Ziguélé : « La survie de la Centrafrique dépend du rétablissement de l’ordre »


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Président du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), leader de l’opposition depuis des années en Centrafrique, Martin Ziguélé, qui a aussi été le Premier ministre de l’ancien chef de l’Etat Ange Félix Patassé, est aujourd’hui annoncé comme le candidat le mieux placé pour l’élection présidentielle qui devrait se dérouler avant la fin de l’année. Interview.

Il n’a pas une minute à perdre. Le temps lui est compté pour convaincre ses concitoyens de le porter à la tête du pays. Agé aujourd’hui de 58 ans, c’est un véritable challenge que Martin Ziguélé va tenter : convaincre ses compatriotes qu’il est l’homme de la situation.

D’autant que celui qui a commencé à militer en politique à l’âge de 22 ans a été deux fois candidat malheureux à la Présidentielle, en 2005 puis 2011. L’ancien Premier ministre (2001-2003) du défunt Président centrafricain Ange Félix Patassé fait partie des plus sérieux candidats au scrutin, qui est censé sortir le pays du chaos.

Joint par téléphone, alors qu’il venait tout juste de sortir d’une réunion à Bangui, concernant l’avenir de son pays, il a accepté de répondre à nos questions le temps d’une pause. Entretien.

Afrik.com : Vous êtes candidat à l’élection présidentielle de la Centrafrique, si bien sûr elle se tient. Quelles sont les grandes lignes de votre programme pour redresser le pays qui est dans une situation catastrophique ?

Martin Ziguélé : Pour redresser la Centrafrique, il faut absolument mettre en œuvre la restauration de l’autorité de l’Etat. Il faut avoir une volonté politique inébranlable pour mener cette mission à bien. J’ai déjà prouvé que j’étais capable de faire face à des situations difficiles comme celle-ci lorsque notamment j’étais Premier ministre.

Dès mon arrivée à la Primature, j’ai lancé l’opération main propre qui a permis de payer les salaires des fonctionnaires et assuré le fonctionnement de l’Etat alors que nous n’avions pas reçu d’aide extérieure pendant plusieurs mois.

Nous sommes actuellement face à un véritable challenge dans le pays. Il faut donc aussi montrer un leadership solide pour la restauration de l’Etat. L’Etat doit être debout même lorsque son autorité est bafouée, contestée et fragilisée par différents groupes d’intérêts. La survie de la Centrafrique dépend de la restauration de l’Etat.

Qu’entendez-vous par la restauration de l’Etat ?

J’entends par la restauration de l’Etat de faire en sorte que la justice soit respectée, que des lois constituent les fondements de la République. Tout cela ne doit pas juste être un slogan mais la réalité. Tous les auteurs de crimes doivent être poursuivis, et jugés jusqu’à ce que les uns et les autres purgent leur peine dans les établissements appropriés. Il n’y a pas de République sans justice. Il faut aussi un renforcement des forces de sécurité intérieure dans le pays.

Vous savez, la Centrafrique est un territoire aussi grand que la France, la Belgique et le Luxembourg réunis, mais avec moins de 6 000 policiers pour assurer la sécurité de tous ! C’est ce qui explique que l’attente sécuritaire soit trop grande et que l’opinion publique ait du mal à comprendre le fait que les forces de l’ONU soient sur place ainsi que les autres forces internationales et que pour autant des personnes armées se baladent dans les rues de Bangui, sèment la terreur et coffrent qui ils veulent.

Actuellement, peut-on affirmer que la Centrafrique n’a toujours pas d’Etat bien qu’une transition soit installée pour mener le pays vers des élections ?

Je ne dirai pas qu’il n’y a pas d’Etat en tant que tel. Mais l’Etat est faible et fragile. Et ces groupes armés qui veulent semer le désordre pour que nous n’allions pas aux élections savent pertinemment que l’Etat est faible donc ils en profitent souvent contre les intérêts généraux de la population. Le problème c’est qu’on ne peut rien construire tant que le pays sera dans cet état.

Le problème c’est qu’ils sont en train de tout faire pour qu’il n’y ait pas d’élections. Il faut aller aux élections le plus tôt possible et respecter le cadre légal. Dans une République, il faut défendre le point de vue du citoyen tout en respectant la loi et le processus électoral. Il faut toutefois que nous fassions attention, car en l’état actuel du pays, on ne peut pas faire comme si de rien n’était. Les forces armées n’ont pas les moyens de leurs politiques.

Donc la sécurité du pays est de la responsabilité des forces internationales pour garantir la pérennité de l’élection. Ce ne serait pas honnête de la part des Centrafricains de ne pas reconnaître l’action des forces internationales présentes dans le pays. Sans elles, ce serait pire, ce serait le chaos ! Il faut aussi reconnaître leur sacrifice et tous ceux qui sont tombés dans l’exercice de leur fonction. Pas plus tard qu’hier, un élément burundais a été tué dans le pays.

Ce n’est un secret pour personne, le pays va mal. Les récentes violences ont fait plus de 61 morts. Des Centrafricains sont même descendus dans les rues de Bangui pour exiger la démission de la présidente de Transition Catherine Samba-Panza. Face à une telle situation peut-on affirmer que la Transition a échoué ?

Ce serait aussi injuste et pas honnête de dire que la Transition a échoué. Donc non, on ne peut pas dire cela parce que lorsque Catherine Samba-Panza a été élue, nous étions dans un chaos sécuritaire. Depuis, on a avancé sur le chantier de la sécurité bien qu’il y ait encore beaucoup à faire. Mais on ne peut pas régler le problème sécuritaire en Centrafrique sans une armée forte. Il faut comprendre que nous n’avons plus d’armée, elle a disparu. Heureusement que la MINUSCA et les forces internationales sont venues appuyer le pays.

Jusqu’à présent, tous les chefs d’Etat de Centrafrique, du premier au dernier, ont tous échoué à redresser ce pays. D’autant qu’en Afrique, on constate que lorsque les opposants arrivent au pouvoir ils déçoivent souvent leur peuple. Qu’est-ce qui garantit aux Centrafricains que si vous arrivez au pouvoir ? Vous tiendrez vos engagements et que vous aurez la capacité de développer le pays ?

Tout simplement pour deux bonnes raisons. La première est que je suis arrivé à faire tenir ce pays durant deux ans sans budget extérieur, sachant que c’est la seule fois que ça nous était arrivé. Donc, si on me fait confiance, je pourrai faire ce travail. Deuxièmement, je ne me présente pas aux élections pour la première fois. Depuis l’âge de 22 ans, je milite en politique. Près de 40 d’expérience, ce n’est pas rien. D’autre part, je suis le seul candidat aux élections qui ait parcouru toute la Centrafrique de fond en comble, village par village.

Je connais le terrain et l’ensemble des villes et des localités du pays. En fait, je vois le malade, je peux donc apporter ce qu’il faut pour le guérir. Qu’on ne se trompe pas, ce pays a plein d’opportunités car tout est à faire. Si les Centrafricains me font confiance, j’élargirai l’entrepreneuriat privé, national, et international pour faire en sorte, rapidement, que le pays puisse s’en sortir.

Pensez-vous que le pays soit actuellement prêt pour l’organisation d’élections ?

Le pays doit aller aux élections. Mais la question sécuritaire ne doit pas être banalisée non plus. Ces groupes armés doivent absolument être désarmés. Et les forces internationales ont les moyens de les désarmer et de désarmer leurs chefs. Ce sont les élections qui nous permettront de sortir de cette crise.

On sait aussi que les forces internationales sont uniquement déployées dans Bangui mais pas dans l’arrière-pays où là aussi des groupes armés sèment la terreur chez des populations et mènent de nombreuses exactions dans l’impunité totale. Que faire pour mettre fin à cette situation ?

C’est exact. Si je suis élu, je construirai une armée avec des éléments à la hauteur de leur fonction. L’objectif est de recréer une armée républicaine, qui pourra travailler en coopération avec la MINUSCA pour sécuriser le pays.

Même 12 000 hommes des Nations Unies déployés ne suffiront pas à garantir la sécurité de la totalité du territoire centrafricain, qui est immense. Ceux qui commandent ces groupes armés savent bien qu’en l’état actuel, on ne peut pas contrôler tout le territoire du pays. Raison pour laquelle, il faut une véritable politique sécuritaire qui soit efficace et permette le rétablissement de l’ordre.

Comment expliquez-vous que depuis son indépendance la Centrafrique soit toujours dans cet état et peine à décoller pour ne serait-ce qu’atteindre le niveau des autres pays africains. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné pour ce pays ?

Cela remonte, il me semble, aux origines historiques du pays. À mon avis, c’est en partie lié au fait que le père de l’indépendance de la Centrafrique qui devait naturellement prendre les rênes du pays est mort dans un accident d’avion six mois avant son accès à l’indépendance.

D’autre part, le manque de qualité de nos leaders nous a fait aussi du mal. Nous n’avons pas eu la chance d’avoir des dirigeants comme Houphouët Boigny, Senghor, Bourguiba… Je pense que nous avons raté ce tournant. Depuis, les Centrafricains ont toujours été dans l’attente d’un homme providentiel, mais en vain.

Nous avons eu des hommes forts mais pas des bâtisseurs d’institutions fortes. Comme je le dis toujours, il n’y a de richesses que d’hommes. Je connais bien ce pays. Je me suis rendu partout, de l’est à l’ouest, du nord au sud.

La faiblesse de l’Etat, de l’administration, l’abandon de l’arrière-pays ainsi que des filières agricoles, alors qu’on dispose de beaucoup d’eau provenant de la pluie, nous ont menés à cela. Mais on peut y mettre fin par une politique volontariste pour transformer le pays. C’est la tâche a laquelle que je vais m’atteler, si les Centrafricains me font confiance.

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