Manifestations de la “danse afro” en Argentine


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A la fin des années 80, lorsque j’ai découvert cette danse, je me suis demandé plus d’une fois ce qu’était cette “chose” qu’on dansait. Pendant plusieurs de ces premières années, j’avais du mal à répondre clairement. Comment peut-on définir avec des mots ce qu’une personne fait avec le cœur ?

Peu de recherches ont véritablement été faites pour trouver une définition qui couvre cette danse dans sa complexité. Les premiers professeurs, pionniers dans son enseignement furent afrobrésiliens et afrocubains. Des hommes et des femmes, qui, dans leur majorité sont encore vivants et continuent de l’enseigner en Argentine. Alors, c’est quoi la danse afro? Est-ce une danse brésilienne, afrobrésilienne, afrocubaine ou afroargentine ? Est ce un mode d’expression et de communication, un langage intérieur ou une technique de danse ? Commençons par le commencement.

En fait, il est possible de trouver une forte relation entre ce qu’on appelle en Argentine tout simplement “danza afro” et la région occidentale de l’Afrique subsaharienne, dans le fond celle dans laquelle vit le peuple Yoruba et qui a eu une très forte influence au Brésil et à Cuba à partir de la traite des esclaves. Cependant, il y a également des expressions de cette danse liées à d’autres peuples africains, mis en esclavage dans la région actuelle du Pérou, de la Bolivie, de la Colombie ou des États-Unis et qui ont donné lieu à d’autres divertissements et formes de danse afro que l’on pratique également dans notre pays. En Uruguay et en Argentine, l’expression culturelle qui en découla fut le candombe, une célébration qui ne fait pas partie du passage en revue de ces pages.

Dans ce document, nous nous référerons à ces expressions du mouvement très enracinées en Argentine à partir de la renaissance démocratique des années 80, qui sont intimement liées au peuple africain yoruba et qui sont arrivées dans notre pays à partir du Brésil et de Cuba. Cette précision faite, revenons à notre parcours historique.

La danse, pour les yorubas, n’est pas séparée du reste de la vie. Les yorubas apprennent à danser comme ils apprennent à manger. L’art, la religion, la création, le travail, etc., sont des catégories modernes et occidentales, produit du besoin, de la nécessité de classer ou de nommer les choses. Cependant, ces noms qui nous servent à nous approcher de la compréhension du monde nous gênent en même temps lorsqu’il faut aller en profondeur dans ce qui constitue la cosmogonie des cultures originaires.

La première catégorie sur laquelle nous devons réfléchir est celle qui nous amène à penser chaque acte vital comme une partie d’un tout indivisible. Ainsi, l’acte religieux ou créatif, ou le travail s’intègrent de nouveau dans une même manifestation. Manifestation pour sa part exprimée de multiples façons qui cohabitent dans le même temps et le même espace. Regardez n’importe quel documentaire sur les cultures originaires africaines, et vous constaterez immédiatement que la même scène regroupe des disciplines et des activités différentes. Que font-ils en fin de compte? Il serait difficile de prioriser une des activités par rapport aux autres : la danse par rapport au chant, le chant par rapport au joueur de tambour, le jeu de tambour par rapport aux bras de la femme qui, en plus de chanter et de danser est en train de réaliser un travail quelconque (elle pile des graines dans le mortier, travaille la terre, lave des vêtements, etc.). La scène multifacétique, ne perd pas son intégrité et ne se scinde pas en classifications divisoires.

On pourrait retrouver cette même scène dans une maison de candomblé, expression afroaméricaine qui est le fruit du métissage et de l’adaptation interculturelle, nécessité d’un temps historique qui a marqué le destin de l’Amérique , qui n’est plus la même depuis lors et qui cohabite avec une éternelle et douloureuse contradiction en son sein : celle d’une part de perpétuer positivement des croyances qui n’ont pas succombé à l’ “acculturation” et au déracinement, qui ont résisté et survécu de nos jours et qui façonnent également les identités latinoaméricaines actuelles et d’autre part, celle d’avoir été la cause de l’exploitation, du supplice et de l’agonie de leurs ancêtres, dont les descendants de nos jours se comptent en millions.

Le candomblé est une expression religieuse afroaméricaine qui a pris forme au Brésil, particulièrement dans la région de San Salvador de Bahía et Rio de Janeiro. Il est arrivé en Argentine grâce à ce pays frère. À Cuba s’est développée une expression religieuse afroaméricaine dénommée Santería. Sa pratique et ses caractéristiques sont très similaires au candomblé.

Les maisons de candomblé sont de véritables réservoirs de culture. Au delà du fait que leur expression a pris la forme religieuse, produit des inévitables classifications et typologies dont nous les occidentaux avons besoin pour comprendre le monde , les maisons de candomblé et les santerías conservent cette essence intégrée du mouvement de la vie comme un tout inséparable et interrelié dans ses formes intérieures. Dans le candomblé, la danse occupe une place aussi importante que l’alimentation ou la musique. Elle est de plus complètement fonctionnelle, une caractéristique de la danse afro que nous traiterons plus loin. Ce sont ces danses, qui sorties du contexte sacré du candomblé ou de la santería, constituent le fondement de la danse afro argentine et qui trouvent en chaque professeur de nouvelles modalités. Cependant, ce fondement est difficile à trouver à l’état pur. Si toutes les formes de danse afro que j’ai vu jusqu’à présent le conservent effectivement, le divertissement et le croisement avec d’autres langages du mouvement (comme la danse jazz, la danse classique, la danse contemporaine, l’acrobatie, la danse- contact, le théâtre, l’improvisation, etc.) sont des caractéristiques distinctives de la danse afro. Ainsi, la danse afro est un langage qui, en principe retire des mouvements déterminés du cadre sacré et les combine avec d’autres formes expressives.

Nous verrons, dans de nouveaux chapitres, de nombreuses autres caractéristiques historiques de cette danse et de ses formes.

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Aujourd’hui, elle se consacre à la diffusion des ces danses et d’autres pratiques très ancrées dans son pays. Elle est également journaliste et communicatrice, organisatrice d’événements de promotion, de naturalisation et permettant de rendre visible la culture afroaméricaine dans son pays. Elle est en train d’écrire un livre sur l’histoire de la danse afro à Buenos Aires qu’elle publiera bientôt.

Mini Bio de Paula Inés Picarel : De nationalité argentine, elle fait des recherche sur la culture afroaméricaine et le patrimoine culturel vivant de l’Afrique dans ce continent . Dans les années 80 , elle a également étudié en Argentine des styles de danses avec les professeurs venus du Brésil, qui ont grandemeent contribué à la revalorisation de la culture noire de l’Argentine, présente depuis les temps de l’esclavage

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