Les Palestiniens retiennent leur souffle


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Historique. Le terme de « territoires palestiniens » pourrait, d’ici quelques heures, disparaître des annales. Le président palestinien, Mahmoud Abbas, va faire voter ce jeudi par l’Assemblée générale une résolution afin que la Palestine devienne un Etat observateur à L’ONU. La reconnaissance de l’Etat palestinien deviendrait 65 ans après officiel. Quels changements fondamentaux ce statut apportera-t-il aux Palestiniens ?

Mahmoud Abbas est sur le point de gagner une seconde victoire symbolique. Après l’admission, en octobre 2011, de la Palestine à l’Unesco, le président palestinien va faire voter ce jeudi une résolution qui donne à la Palestine son ticket en tant qu’Etat observateur à l’ONU. La majorité des 193 Etats membres de l’Assemblée générale ont d’ores et déjà annoncé qu’ils voteraient en faveur de la résolution présentée. Soixante-cinq ans après, jour pour jour, après le plan de partage, voté le 29 novembre 1947, la Palestine pourrait devenir un Etat à part entière. « Depuis 1947, les Palestiniens sont victimes d’un déni de droit, dénonce Thomas Vescovi, membre du bureau national de l’Association France Palestine Solidarité. La Palestine pourrait désormais sortir de son statut quo et récupérer une place légitime au sein de la communauté internationale ».

La reconnaissance de la Palestine en tant qu’observateur à l’ONU, permettrait au pays de ramener le conflit sur les devants de la scène politique après avoir été, pendant quelques temps, dans l’ombre du « Printemps arabe ». Il aura fallu un nouveau et énième raid israélien sur la bande de Gaza pour que la Palestine ressurgisse à la Une des journaux. Le pays pourra contraindre les Etats membres d’intervenir pour qu’Israël respecte les décisions de l’ONU relatives au conflit israélo-palestinien. Mais l’un des changements les plus fondamentaux serait la possibilité pour la Palestine de saisir la Cour pénale internationale (CPI), et ce, même si les dirigeants israéliens ont toujours marqué une certaine indifférence face aux décisions internationales, pour traduire l’Etat hébreux en justice.

Une reconnaissance parsemée d’embuches

Mais une telle adhésion à des risques. L’entrée de la Palestine à l’Unesco lui a valu diverses menaces de la part de Tel-Aviv, comme la rupture des accords d’Oslo, et autres mesures de rétorsion, notamment l’accélération du processus de colonisation ou encore la confiscation des droits de douane palestiniens. Des mesures cela dit déjà infligés aux Palestiniens à de nombreuses reprises. Quant aux accords d’Oslo, sans terrain de négociations pour la paix, ont-ils encore un sens aujourd’hui ?

Les Etats-Unis, farouche allié d’Israël, ont évoqué des représailles financières en cas de vote favorable. En ligne de mire, les 200 millions de dollars (155 millions d’euros) d’aide promis par Washington à la Palestine, mais aussi le retrait des financements des agences onusiennes. La législation américaine interdit le financement d’agences spécialisées des Nations Unies qui acceptent la Palestine comme membre à part entière. L’Unesco en a fait les frais lorsqu’elle a accepté à son bord la Palestine. Pas d’inquiétude, « la Ligue arabe a promis d’aider financièrement la Palestine si ces mesures de rétorsion ont lieu, rassure Thomas Vescovi. De plus, il y a un réel dynamisme qui se joue actuellement dans le monde arabe et tout particulièrement en Palestine ».

Plus grave encore, la Palestine pourrait laisser sur le bas-côté près de 5 millions de Palestiniens réfugiés en Jordanie, au Liban, en Syrie et ailleurs encore. Ceux-là risquent de ne plus être représentés par cette « nouvelle Palestine ». « En tant que palestinien, je ne me sens pas concerné », confie Taymour, responsable des relations externes de l’Union générale des étudiants de Palestine (GUPS). « Dans leur démarche, le Fatah et le Hamas excluent de facto le reste des palestiniens. Cette adhésion ne concernera que les palestiniens qui vivent en Palestine », regrette Taymour qui accuse Mahmoud Abbas d’avoir « dénigré le droit de retour aux réfugiés et les un million de Palestiniens qui vivent en Israël. Je suis, comme beaucoup de Palestiniens, exclu. »

Mais d’après Thomas Vescovi, « la question des réfugiés est au centre des négociations. D’autant plus que les Palestiniens sont attachés à la résolution 194 relative aux réfugiés ». « Il est à noter que près de 80% des villages palestiniens rasés par Tel-Aviv en 1948 sont encore en ruine, affirme le militant palestinien. A l’heure actuelle, ces réfugiés ont la possibilités de revenir sur leur terre ». France Palestine plaide pour qu’Israël indemnise les réfugiés palestiniens.

Pour ou contre ?

Sans surprise, les Etats-Unis, allié historique d’Israël, voteront contre l’adhésion de la Palestine. Plus courageuse, la France, dirigée par François Hollande, se prononcera en faveur de son admission. Un signal fort lancé à Mahmoud Abbas qui a respecté scrupuleusement les différentes requêtes du Quartette. De plus, le leader du Fatah mène une politique pacifique à la différence du Hamas qui n’hésite pas à répliquer aux attaques de Tsahal. Une réaction qui plaît à la présidence française. La position de la France pourrait encourager d’autres pays européens encore hésitant. La Chine a annoncé son soutien à la Palestine la semaine dernière.

D’autres Etats, une dizaine, s’abstiendront, à l’instar de la Grande-Bretagne. L’argument relayait par ces pays (Israël, Etats-Unis, Allemagne, Italie, Canada, etc) est de ne pas créer de « multilatéralisme ». Ils estiment que les négociations doivent se faire uniquement entre Palestiniens et Israéliens.

L’Afrique sera-t-elle homogène dans son vote ?

La puissante Afrique du Sud, membre non permanent du Conseil de Sécurité, apportera un soutien inconditionnel. L’année dernière déjà, le président Jacob Zuma avait soutenu Mahmoud Abbas. D’autres pays, comme le Maghreb, ne réserveront aucune surprise. Toutefois, le scrutin de novembre 2011 a laissé quelques surprises. Huit pays africains s’étaient abstenus : Le Burundi, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Cap Vert, le Togo, l’Ouganda, le Rwanda et la Zambie. Les pressions diplomatiques de la part de pays comme les Etats-Unis, peuvent être une explication. L’Ouganda, et depuis quelques temps le Rwanda et le Burundi, sont de grands amis de Washington. De plus, Kampala entretient des relations économiques et diplomatiques étroites avec Tel-Aviv. Par contre, il est difficile de comprendre pourquoi des pays comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou encore le Togo se sont abstenus en novembre 2011. Quels seront les pays africains qui s’afficheront, sans complexes, au côté de la Palestine.

Adhésion ou non, pour Taymour, ce vote ne changera rien à la situation palestinienne. « Sur le terrain, les choses ne changeront pas si ce n’est le statut de la Palestine », déplore l’étudiant palestinien. Sur ce point-là, Thomas Vescovi partage la même opinion. Certes, la Cisjordanie continue d’être occupé, Jérusalem-est fait toujours l’objet d’une politique de « judaïsation », Gaza est toujours sous blocus, mais cette adhésion en tant que membre observateur à l’ONU est un « réel tremplin pour récupérer les droits que les Palestiniens ont perdu », estime le responsable de GUPS France. « De plus, l’Etat d’Israël et de Palestine vont avoir des frontières reconnues par la communauté internationale et les Palestiniens pourront saisir la Cour pénale internationale. Tout un symbole », conclut Thomas Vescovi.

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