Le bal des DG ne fera pas décoller la Camair-co


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La compagnie aérienne camerounaise Camair-Co est plus que malade, elle est agonisante. Rien d’étonnant à cette déliquescence…

Dans son article, Louis-Marie Kakdeu, explique les raisons de la mauvaise gestion de la Camair-Co. Les DG défilent au gré des caprices de l’Etat : pas de passation de pouvoir, pas de publication des comptes, renouvellement injustifié du personnel, flotte aérienne mal utilisée et parfois vétuste… La liste est longue. Ce qui est certain, selon l’auteur, c’est que la compagnie devrait sortir du carcan de l’Etat et être cédée au secteur privé qui ne pourrait que mieux la gérer.

Le 22 août 2016, Ernest Dikoum avait été nommé 6ème Directeur général (DG) de la compagnie aérienne camerounaise (Camair-Co) en 9 ans d’existence. Depuis 16 ans, la Camair puis la Camair-co a connu 10 DG sans succès. L’entreprise surendettée (35 milliards de FCFA de dette) est passée par la faillite pour renaître mais, toujours en vain. La question est de savoir si le changement de DG est suffisant pour faire décoller une entreprise.

Cette question se pose au moment où un rapport d’audit avait été commandé à Boeing. Mais, que vaut un plan d’audit proposé par une partie prenante (fournisseur) ? Le principal problème de la Camair-Co est l’interventionnisme accru de l’Etat. Le principe même de la nomination des DG en lieu et place du Conseil d’administration est une approche clientéliste inadéquate dans un secteur compétitif comme celui de l’aéronautique. De même, la nomination des PCA fonctionnaires et indisponibles est néfaste sur la gestion quotidienne de l’entreprise. Pourtant, le Chef de l’Etat s’entête à les nommer par clientélisme, en violation de l’article 21 de la loi n°99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic.

Sur le plan de la gestion des ressources humaines, les recrutements sont aussi clientélistes à des postes techniques. C’est le cas du limogeage des pilotes expérimentés de la défunte Camair au profit du recrutement de 14 nouveaux jeunes pilotes nécessitant un recyclage sur l’unique Boeing 767-300 au frais de l’entreprise (jusqu’à 18 millions de FCFA par jeune pilote). Selon le Syndicat des Travailleurs des Transporteurs Aériens, un commandant de bord instructeur de la défunte Camair gagnait autour de 2.500.000FCFA, alors qu’un jeune expatrié recruté gagnait 5.248.000 FCFA sans plus-value. Cela engendrait un manque à gagner pour l’entreprise de 333.946.800 FCFA dans un contexte d’arriérés de salaire et d’effectif jugé pléthorique (750 employés). Pis, les dirigeants sont virés depuis 15 ans par la force des réseaux et non par manque de résultats. C’est le cas d’un technocrate expérimenté comme Thomas Dakayi Kamga que l’on a préféré virer comme Directeur Général chargé du redressement de l’entreprise et maintenir comme consultant externe dans de multiples dossiers publics.

Sur le plan comptable, l’Etat entretient la non-transparence au sein de l’entreprise. On note l’absence de présentation de bilan depuis les années 2000. Les DGs sont débarqués en cours d’exercice rendant difficile l’établissement des bilans comptables. Par exemple, Mbotto Edimo n’a pas transmis à Nana Sandjo un bilan comptable qu’il n’a pas lui-même reçu en moins d’un an de fonction. Dans les années 2000, M. Fotso n’en avait pas reçu de M. Etoundi. M. Dakayi n’avait pas le bilan de l’exercice 2003 de M. Fotso et n’avait donc pas pu transmettre à son départ le bilan de 2004 à M. Ngamo, etc. Cette situation de non-transparence empêche la reddition des comptes, et donc entretient l’irresponsabilité et l’indiscipline budgétaire.

D’autre part, l’Etat est le plus gros débiteur de l’entreprise et fait des DG des boucs-émissaires. Cette compagnie a souffert des voyages gratuits des fonctionnaires et des immobilisations des avions du Chef de l’Etat. En effet, lorsqu’il s’agit de la compagnie nationale, les membres du gouvernement voyagent à crédit alors qu’ils paient au comptant lorsqu’il s’agit des compagnies concurrentes. Par exemple, le Chef de l’Etat camerounais paie environ 78 millions de FCFA par jour d’immobilisation d’avion de location. Selon le journaliste Otric Ngon, il aurait dépensé la bagatelle somme de 1,846 milliards de FCFA pour six immobilisations d’avion seulement au moment où la compagnie avait besoin de recapitalisation.

Sur le plan managérial, au nom de la protection des secteurs de souveraineté, l’Etat semble préférer la faillite à la privatisation. Il garde la petitesse et la vétusté de la flotte au lieu de faire appel aux fonds privés. Pourtant, dans un contexte où les ressources publiques sont limitées et insuffisantes pour couvrir l’ensemble des services publics, l’économie réalisée dans un secteur grâce à l’introduction des fonds privés permettrait à l’Etat de réserver son peu de ressources aux autres services vitaux. Des compagnies comme Ethiopians Airlines doivent leur meilleur fonctionnement à l’introduction des investisseurs privés qui font librement des choix managériaux rationnels indépendamment des changements de régimes politiques.

L’inadaptation des avions aux lignes commerciales choisies plombe la commercialisation. Par exemple, les charges d’exploitation d’un avion Boeing 757 conçu pour des vols de l’ordre de 2000 kilomètres sont élevées lorsqu’on l’affecte à des vols internes. C’est aussi le cas des M60 nouvellement acquis qui ne sont pas adéquats pour les vols internationaux et qui ont fait l’objet d’une vive polémique d’exploitation. On se rappelle l’interpellation à l’Assemblée nationale du Ministre des transports à la fois pour ces avions jugés non-fiables et pour sa préférence pour Air France à bord de laquelle il avait créé un incident le 23 novembre 2015 pour des raisons d’insuffisance de confort. L’on reproche ainsi aux autorités de faire voler des « cercueils volants » parce qu’ils ne les utilisent plus eux-mêmes. Ce cliché néfaste sur le plan commercial explique en partie le taux de remplissage de moins de 50% des avions qui compromet les recettes de l’entreprise. Au lieu de travailler à l’effacement des stigmates de cette mauvaise gestion auprès des clients, les DG nommés depuis les années 2000 travaillent plutôt à rompre les contrats de prestation signés par leurs prédécesseurs et d’en signer de nouveaux. Cela signifie que l’on transfère le jus du business d’un clan à l’autre sans résoudre le problème de rentabilité.

Depuis la fin du monopole, Camair-co peine à garder ses parts de marché sur des lignes devenues hautement compétitives. Elle veut exister sur le marché sans se mettre au diapason de la concurrence. En conséquence, elle est dans l’obligation de mettre fin à la gestion (néo)patrimoniale et d’introduire des investisseurs privés qui permettront de recapitaliser l’entreprise, et surtout de responsabiliser ses dirigeants par le mécanise des pertes et profits.

Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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