La profonde crise des partis politiques marocains


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Que faire quand les partis politiques d’un pays sont des gardiens du pouvoir en place au lieu de jouer leur rôle de contre-pouvoir ? C’est le cas que connaît le Maroc actuellement.

Dans son article, Hafid Belhassani, s’insurge contre la capacité des partis politiques marocains à prêter allégeance au pouvoir en place. Leur rôle de parti politique est totalement néant : aucune formation des militants, aucun activisme, aucun débat. Le vide ! Ils ne se souviennent des populations qu’en période d’élection. Cette environnement n’est pas du tout propice à la démocratie.

Huit longs mois de contestations pacifiques (Hirak) dans la région du Rif ont permis de dévoiler plusieurs dysfonctionnements au sein de l’appareil administratif et politique marocain. Malgré les revendications claires et majoritairement à caractère social des Rifains, les partis politiques marocains n’ont pas pu proposer de solutions concrètes pour apaiser les tensions. Cette crise soulève la question de la représentativité et de la légitimité des partis politiques marocains.

Pour comprendre ce déficit de légitimité, il faudrait remonter au règne de feu Hassan II en 1962. A l’époque, le souverain avait mis en place une stratégie afin d’affaiblir les principaux partis existants, en constitutionnalisant la fragmentation du champ politique. Ainsi, pour pouvoir soumettre la chambre des représentants à sa volonté, Hassan II créa plusieurs partis administratifs, à l’image du Rassemblement national des indépendants (RNI) et de l’Union constitutionnelle (UC) et plus récemment le Parti Authenticité et Modernité (PAM). Ce qui fait qu’aujourd’hui les Marocains, hors période électorale, sont ignorés et snobés par des partis politiques qui excellent dans allégeance au palais.

A côté du déficit de légitimité, s’ajoute le manque de compétence et de transparence. En effet, beaucoup de partis marocains ne prennent pas en compte le critère de l’expérience et de la compétence pour la distribution des postes à responsabilité et préfèrent les déléguer aux gens les plus proches ou les plus influents financièrement. La logique sous-jacente est l’allégeance et non pas le mérite. Sacrifier la compétence sur l’autel de calculs politiciens purs, explique le manque d’idées, de propositions constructives, de compétence dans la gestion quand ils accèdent à des postes ministériels ou lorsqu’ils gèrent les affaires locales. Pis, ce mode de gouvernance fondé sur la cooptation et le patronage nuit à la démocratie interne des partis, ce qui justifie la perception populaire selon laquelle il s’agit plus d’officines politiques que de partis politiques.

La réputation des partis marocains est également ternie par le manque d’investissement dans l’encadrement des citoyens. Malgré qu’il soit une prérogative dictée par la Constitution de 2011 et la loi organique relative aux partis politiques, l’encadrement n’est malheureusement une priorité pour les instances décisionnelles des partis. D’ailleurs, la majorité d’entre eux ne s’animent que pendant les élections, alors que leur rôle devrait être assuré pendant toute l’année. Ceci pourrait être expliqué, d’une part, à cause d’une absence cruciale de motivation, puisque la priorité de la majorité des partis est de servir le Palais et non pas le peuple. D’autre part, le manque de compétence dominant les instances décisionnelles. D’ailleurs, si ces derniers accomplissaient leur mission d’encadrement, des personnes comme Nasser Zefzafi, leader du mouvement populaire « Hirak », n’auraient jamais émergé sur le devant de la scène comme porte-parole des revendications des citoyens.

Ce manque de confiance du peuple en leurs élus n’est pas prêt de se résorber quand on pense à l’implication des partis politiques dans la corruption. Critiqués pour leur opacité, les formations politiques évitent de dévoiler les dessous de leur fonctionnement, ainsi que du financement de leurs campagnes électorales. Dans une enquête réalisée par Transparency Maroc en 2016, les partis marocains enregistrent plusieurs anomalies, dont l’absence de comptes de campagne et d’échéancier des dépenses, ce qui contribue à maintenir l’opacité de l’usage des fonds et donc, l’accumulation des effets de rentes néfastes au sein des formations.

Et pour couronner le tout, les partis marocains brillent par l’absence de proximité et de communication. Surnommées les «boutiques politiques » par les Rifains, les partis se sont montrés totalement dépassés par les événements et se sont limités à des communiqués écrits en langue de bois au lieu de déclencher le débat. Pis encore, ces partis n’ont jamais osé dépasser leur périmètre d’action et ont toujours préféré attendre le feu vert du Palais pour agir, surtout dans les affaires sensibles.

Certes, la faillite des partis politiques marocains est en partie due à leurs dysfonctionnements internes. Néanmoins, la nature bicéphale du régime politique marocain y est aussi pour quelque chose. En effet, le Maroc fonctionne selon un système hybride avec, d’un côté une monarchie exécutive, et de l’autre côté, un gouvernement élu mais qui joue plus le rôle de fusible que de vrai décideur, et ce en dépit de la Constitution de 2011. D’ailleurs, parmi les leçons à retenir des dernières élections, c’est que le pouvoir central au Maroc garde toujours le contrôle de la vie politique marocaine. D’une part, il le fait via ses conseillers ou à travers ses ministres technocrates. Par ailleurs, ces derniers se sont vus affecter aux ministères régaliens « ministères de souveraineté », et se sont arrogés les pôles économiques, affaires étrangères, intérieur. Alors que les islamistes du PJD (arrivés en tête des élections avec 125 sièges sur 395), se sont vus attribuer des ministères sans véritable enjeu stratégique. Cette influence indirecte, souvent justifiée par le fait que les partis politiques ne disposent pas de bons profils pour gérer le pays et réussir dans une politique de croissance et de développement, renforce bien indirectement la position du pouvoir central lors de la prise des décisions stratégiques et conforte les citoyens dans leur perception que seul le Palais peut prendre les décisions. A cela s’ajoute bien évidemment la constitution de 2011, qui n’a fait que renforcer la domination de la monarchie par rapport aux partis politiques. On s’attendait en effet à une délégation de pouvoir du Palais au profit des formations politiques. Selon la Constitution de 2011, c’est toujours le roi qui nomme et démet souverainement les ministres. C’est le cas également lors de la nomination des gouverneurs et de la dissolution du Parlement. D’autre part, le Palais a toujours confirmé son intention de marginaliser les partis et le gouvernement via la prise des décisions stratégiques mais aussi lors de la conception des réformes et des politiques publiques.

Après l’échec des partis politiques dans la gestion du cas du Rif, il est temps de réformer le champ politique. Pour s’y faire, une réelle volonté devra principalement émaner du palais royal, qui devra donner plus de liberté aux formations politiques et de les considérer surtout comme étant égaux. Les partis devraient se remettre en cause pour revoir leur modèle de gouvernance, leur idéologie, leur finalités, mais surtout ne pas oublier que leur mission est d’être au service du peuple et non pas l’inverse.

Hafid Belhassani, écrivain marocain.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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