L’iconographie africaine dans l’art visuel contemporain afrocubain


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La rareté des études empiriques relatives à l’art visuel Afro-Cubain contemporain a gêné la compréhension de l’ampleur avec laquelle les contributions Africaines ont modelé la vie contemporaine dans la Diaspora. La Santería et l’Abakuá sont deux institutions Afro-Cubaines ayant des racines dans la tradition Africaine indigène. Elles proviennent respectivement des anciennes nations Yoruba et Efik dans le pays qu’on connaît aujourd’hui sous le nom de Nigeria.

Appelés Lucumi à Cuba, les esclaves Yoruba ont conçu une stratégie de survie pour la vénération de leur propres déités (orishas) tout en semblant vénérer les saints Catholiques de leurs propriétaires Espagnols. Cette pratique tel que perçue fut appelée Santería (vénération des saints) par les Espagnols. La Santería a évolué en une pratique religieuse suprêmement magique et a pénétré le cœur de la société Cubaine.

Les esclaves Efik qui avaient jusqu’alors souscrit à la société Ekpe ont fondé l’Abakuá à Cuba. Ekpe était et reste une maçonnerie indigène, exclusivement réservée aux hommes auxquels on avait fait jurer le secret. Sa progéniture Cubaine opéra comme un système d’aide mutuel indépendant et stratifié. Et parce que sa fonction principale était de racheter des esclaves, l’Abakuá est devenu une force de libération mystérieuse et puissante. Son orthodoxie stricte et son réseau de chapelles secrètes lui ont permis d’exercer un contrôle considérable de la moralité collective.

Ces deux traditions ont eu et continuent d’avoir – d’exercer une influence indéniable sur l’art à Cuba.

Roberto Amate, conservateur de l’art Cubain Contemporain du Musée National des Beaux Arts à la Havane reconnaît Wilfredo Lam (1902-1982) comme étant le premier artiste Afro Cubain à avoir délibérément imprégné son travail des symbolismes religieux de la Santería pendant la période du début des années 40. Les efforts et l’influence de Lam sur l’enseignement de l’art Cubain ont créé une nouvelle génération d’artistes visuels dans une expression des symboles et des mythologies des pratiques de la Santería. L’éminent critique d’art Cubain Gerardo Mosquera ajoute que Lam, qui avait été exposé aux masques et à la géométrie indigènes Africains à l’École de Paris est rentré à Cuba et s’est “tourné vers l’invention avec l’objectif de communiquer plutôt que de strictement représenter une mythologie” de la région.

Corina Matamoros, conservatrice de l’Art cubain contemporain au Musée National des Beaux Arts reconnaît Wilfredo Lam comme “le grand paradigme de l’esprit Africain” mais explique que ce sont les conditions historiques changeantes qui ont fait naître une nouvelle génération d’artistes visuels qui intègrent une appartenance palpable à la Santería ou l’Abakuá à l’imaginaire visuel. Santiago Olazábal dont les installations reconstruisent les traditions, les légendes et les rites africains est un bon exemple de ce phénomène.

Dans La Caja del Tambor (La Boite à Tambour) par exemple, Olazábal place quatre carapaces de tortues sur des îlots de terre noire, puis positionne une immense poutre de bois sur les carapaces. Dans un texte accompagnant l’œuvre, il explique la ruse de l’omniprésente tortue dans le folklore Africain. Olazábal n’est pas Noir, mais il est réceptif au même courant qui motive l’esthétique Afro Cubaine.

L’historien de l’art, philosophe, et grand prêtre de la Santería (babalawo) Orlando Pascual, qui n’est pas non plus Noir soutient que l’adhésion à la Santería a toujours transcendé les affinités raciales. Dans une nation où les personnes ayant des ancêtres Africains représentent la majorité de la population —au moins 60% selon une étude récente—la présence de la Santería serait omniprésente.

Au deuxième niveau du Musée National des Beaux Arts, Matamoros m’a montré des travaux figuratifs hautement symboliques réalisées par Belkis Ayón, une artiste mulâtresse qui avait réussi à être initié à Abakuá, mais qui se suicida mystérieusement.

De telles histoires accentuent la palpabilité de la peur associée à l’Abakuå, comme avec l’Ekpe, son ancêtre. Par exemple, alors que je vivais au Nigeria, je possédais une poupée masquée grandeur nature installée dans mon patio. Les domestiques et les visiteurs ne se plaçaient jamais à moins de six pieds de la poupée de peur d’un incident mystérieux ou d’une mort soudaine. La pièce échappa mystérieusement à un passage des voleurs.

Ma rencontre avec l’artiste Noir Juan Picasso a été instructive. Également connu sous le nom de “el Picasso negro” (le Picasso Noir) à cause de son ascendance commune avec Pablo Picasso, le travail de Juan illustre une déconstruction des symboles de la Santería dans une narration visuelle exaltant les orishas. Une palette limitée de couleurs sombres et lumineuses juxtaposés est obtenue grâce à des conceptions géométriques déformées. Certains de ces travaux linéaires rappellent des aspects de Nsibidi—un ancien système calligraphique développé par la société Ekpe.

Les conversations qui précèdent ont été documentées en Octobre 2007, pendant mon séjour d’une semaine à la Havane en tant qu’observateur invité de la 22ème Assemblée Générale du Conseil International des Associations du Design et en qualité d’ancien vice président de ladite organisation. Je suis actuellement à la recherche de fonds pour financer des voyages d’études plus approfondies à Cuba pour poursuivre ces conversations au-delà de la Havane. Un livre s’en suivra qui contribuera à une compréhension beaucoup plus profonde de l’impact de la Santería et de l’Abakuá sur l’art visuel contemporain Afro-Cubain.

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