L’Afrique est-elle condamnée au « diesel sale »?


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Le niveau de la teneur en soufre du carburant vendu en Afrique est 378 fois plus élevé que celui vendu en Europe. C’est l’une des informations que donne le rapport « Dirty diesel » publié par Public Eye après trois ans d’enquêtes dans la filière du pétrole. Aussi, selon ce rapport, cette qualité de carburant très nuisible pour l’environnement, aurait inéluctablement des conséquences sur la santé des personnes vivantes où il est utilisé. En dépit des dangers qu’il représente, ce carburant continue d’être importé en Afrique, pour consommation. A qui la faute ?

De la responsabilité des firmes pétrolières

Naturellement les firmes pétrolières sont les premières à être pointées du doigt sans hésitation. Il est clair que l’affairisme et l’opportunisme de certaines d’entre elles les poussent à agir au détriment de toute éthique, les conduisant à ignorer l’impact de leurs actes sur des vies humaines. Les contrôles et standards de qualité africains étant faibles dans ce domaine, elles se livrent à cœur joie, à un exercice dangereux : lésiner sur la qualité, produire plus et à moindre coût, afin de faire le maximum de profit possible. La recherche de profit n’est pas condamnable en soi, mais c’est le non respect des droits des consommateurs, surtout quand leur santé est en jeu.

En produisant et en vendant ce diesel toxique, ces firmes font subir au consommateur africain de gros risques de développer, en plus du cancer des voies respiratoires, des maladies et affections graves tels que : l’asthme, les bronchites, la baisse de la fertilité, l’augmentation de la mortalité intra-utérine, etc.

D’ailleurs, selon certaines prévisions, en 2030, il y aura jusqu’à trois fois plus de décès prématurés dus à la pollution de l’air (à cause du carburant) en Afrique, qu’en Europe. On est en donc droit de s’étonner de cette sorte de deux poids deux mesures que ces firmes pratiquent selon qu’elles exercent en Europe, ou en Afrique. Trafigura, Vitol et Addax & Oryx (puisque c’est d’elles qu’il s’agit), fabriquent ces substances estampillées « qualité africaine », à dessein, en combinant des produits chimiques (benzène, soufre) à des doses qu’ils savent nocives pour la santé, puisque interdites en Europe où les organes de régulation jouent pleinement leurs rôles.

D’où le caractère illégitime du business de ces firmes qui se targuent cependant, de « ne pas violer la loi » des pays dans lesquels elles commercialisent leurs produits. Mais, rappelons à ces firmes que tout ce qui est légal n’est pas légitime. Le problème en Afrique est que la loi est souvent en décalage par rapport à ce qui est légitime, moral et éthique selon les standards de la société. Dès lors, se cacher derrière l’« infériorité » des standards africains est très opportuniste. Et le cas du dirty diesel n’est pas le seul, puisque les exemples en la matière sont tellement nombreux (déversements de déchets toxiques en Côte d’Ivoire par Trafigura, fûts radioactifs déversés en Somalie, stockage illicites de déchets dangereux au Nigeria, etc.)

De la responsabilité des Etats Africains

Cela dit, et tout en reconnaissant la responsabilité des firmes pétrolières, il faudrait se poser la question : avec la bénédiction de qui ? Pourquoi ces mêmes firmes ne peuvent se permettre de pratiquer un tel négoce chez eux ou dans les autres pays développés ? Tout simplement parce que dans ces pays il existe un véritable état de droit, et une régulation protégeant la santé des usagers. En réalité, une révision des standards de qualité de carburants acceptables sur nos territoires, inciterait ces fabricants et négociants du secteur, à revoir leurs copies.

En conséquence, si cette situation qui met en péril la vie des populations africaines perdure, c’est bel et bien parce qu’il y a un aussi et surtout un manque de volonté politique de nos dirigeants, de la négligence et peut-être une certaine complicité. Et pour cause, ce sont nos gouvernants eux-mêmes qui, par le biais des médias, ont volé au secours de ces négociants en se disant « non concernés » par cette affaire en ce qui concerne la Côte d’Ivoire ; le contestant pour le Congo ; et le jugeant « erroné et exagéré » en ce qui concerne le Secrétaire exécutif de l’Association Producteurs de Pétrole Africains (APPA).

Jeter un coup d’œil aux places qu’occupent les Etats concernés dans le classement de l’indice de perception de la corruption, nous fait déduire clairement le pourquoi de telles réactions. A y regarder de plus près, rien ne peut justifier cette manière d’agir si ce n’est la corruption et la rente profondément ancrée dans les échanges officieux entre ces groupes et nos gouvernants. Un des multiples exemples, c’est l’affairisme au sommet de l’Etat angolais révélé par Public Eye, parlant du deal conclu entre Trafigura et un proche du Président Angolais pour sécuriser ses acquis dans la distribution de carburant. Si l’on s’y réfère, les négociants suisses continueront de s’en mettre plein les poches au détriment de la santé des Africains car le carburant estampillé « qualité africaine », a de beaux jours devant lui.

L’inertie des organisations de la société civile et le silence des médias

Le moins que l’on puisse dire avec l’éclatement de cette affaire de carburants toxiques, c’est que ces organisations sont déconnectées des réalités sociales. Puisque directement concernées par cette affaire, elles n’ont pas été à même de tirer la sonnette d’alarme. En effet, ce scandale n’a été révélé que de la volonté d’une ONG Suisse.

Cette inertie conforte les Occidentaux qui soutiennent qu’il ne faut pas s’émouvoir ou être choqué du fait qu’il existe un standard de qualité moins exigeant pour les africains, quand les Africains eux-mêmes s’en contentent. D’autre part, il faut aussi noter que la majeure partie des médias africains vu leurs caractères extrêmement politisés, n’ont accordé que très peu, voire aucun égard à cette affaire sur laquelle il est pourtant nécessaire d’informer le peuple.

En l’état actuel des choses, il est évident qu’il faut que les firmes pétrolières soient contraintes par une révision des normes et standards africains de qualité du carburant, à respecter le droit à la vie et à la santé des populations africaines. Car si la liberté de commercer est garantie, il y a tout de même nécessité de poser une balise primordiale comme cela se fait partout ailleurs : l’état de droit.

par Césaire Regis ESSIS, Activiste-citoyen.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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