L’affaire Arche de Zoé : « On ne s’improvise pas humanitaire »


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Le procès de l’Arche de Zoé s’est ouvert lundi devant le tribunal correctionnel de Paris. L’association humanitaire est accusée d’enlèvement d’enfants. Le 27 octobre 2007, ses responsables avaient tenté d’embarquer, à partir du Tchad vers la France, 103 enfants présentés comme des orphelins du Darfour. Ils avaient été arrêtés alors qu’ils s’apprêtaient à décoller. C’est le président Idriss Déby qui les a, finalement, gracié le 31 mars 2008. Nous avons voulu en savoir plus. Philippe Ryfman, professeur et chercheur au Centre des recherches politiques de la Sorbonne, explique à Afrik.com que l’humanitaire est un métier qui laisse peu de place à de l’amateurisme. Entretien.

Afrik.com : Pour commencer, de quoi porte votre livre Une histoire de l’humanitaire ?

Philippe Ryfman : C’est un essai de mise en perspective des principales questions humanitaires : comment elles évoluent et se posent. Une mise en perspective historique pour éclairer le présent. Comme on peut le croire, l’humanitaire n’est pas né en France dans les années 70, avec les « french doctors » de Médecins sans frontières. Il a débuté avec le Comité international de la Croix-Rouge dans le 19e siècle. Il faut savoir que tous les dix ans, l’humanitaire connait une mutation assez profonde, ce qui est le cas dans cette seconde décennie du 21e siècle. En ce qui concerne l’Affaire l’Arche de Zoé : les mutations de l’humanitaire ne sont pas prises en compte par les médias ni par la population qui croient toujours que ce sont des médecins remplis de bonnes volontés qui vont sauver les malheureux enfants africains.

Transporter des enfants d’un pays à un autre, ce n’est pas une réponse humanitaire

Afrik.com : Quelles sont les raisons de l’échec de l’Arche de Zoé en Afrique ?

Philippe Ryfman : Une des caractéristiques de cette affaire c’est que l’on ne s’improvise pas humanitaire. Il s’agit d’une activité qui n’est pas propre aux organisations européennes, c’est de plus en plus mondial, il y a des humanitaires brésiliens, qataris, africains … C’est beaucoup plus un système international de l’aide qui se met en place -comme on a pu le constater pour le Tsunami en Haïti- avec des ONG, La Croix-Rouge ainsi que l’Etat. Cela requiert une haute exigence professionnelle, des compétences techniques et des connaissances du terrain, le tout sans négliger les questions géopolitiques.

« Jamais une ONG n’aurait tenté l’action comme celle menée par l’Arche de Zoé
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Jamais une ONG n’aurait tenté une action comme celle menée par l’Arche de Zoé. Cette irresponsabilité des créateurs de cette organisation s’exprime aujourd’hui par l’absence de ses responsables au procès. C’est la démonstration qu’on ne s’improvise pas humanitaire. Une activité qui requiert un grand professionnalisme, un sens de responsabilité. Le mélange des genres, la confusion entre les questions comme celles de l’adoption, celles de catégories de victimes, dans ce cas les enfants du Darfour, sans prendre en compte les différents éléments d’une crise, cela finit par aboutir par ce résultat emblématique de ce qui ne faut pas faire en matière de l’humanitaire. Médecins sans frontières, par exemple, ne va jamais mélanger les questions de l’adoption avec l’humanitaire. Dans cette affaire, il y avait des familles qui étaient en attente d’accueillir des enfants. Ce n’est pas comme ça que travaille une organisation humanitaire. C’était à l’Arche de Zoé de vérifier que ces enfants étaient tchadiens et non du Darfour. Transporter des enfants d’un pays à un autre, ce n’est pas une réponse humanitaire.

« Il y a beaucoup de populisme humanitaire »

Il y a une inadéquation entre la représentation qu’une partie des médias et de l’opinion se font de l’humanitaire et sa réalité d’incarnation. Un exemple : les organisations humanitaires qui travaillent contre la faim, leurs programmes comprennent aussi bien la lutte contre la malnutrition infantile, l’assainissement de l’eau mais également les problèmes d’accès à l’alimentaire, mais très peu de distribution de nourriture.

« Il y a une inadéquation entre la représentation qu’une partie des médias et de l’opinion se font de l’humanitaire et sa réalité »

Afrik.com : Comment lutter contre ce genre de dérives ?

Philippe Ryfman : C’est quand même une situation exceptionnelle. Il faut mettre l’accent sur les bonnes pratiques, le respect de l’éthique, de la déontologie -impartialité, neutralité, pas de discrimination- et le respect de la population. L’aide ne doit pas nuire, représenter une nuisance pour une population. Les médias doivent mieux expliquer quelles sont les pratiques humanitaires actuelles. Les citoyens doivent, eux-mêmes, exercer leur esprit critique. Dans le cas de l’Arche de Zoé, la justice doit faire son travail. Cinq ans après le jugement au Tchad, un jugement en France doit être perçu comme un fait positif, car les dérives comme celles-ci sont critiquables et condamnables. Il ne faut pas non plus faire de l’Arche de Zoé une affaire symbolique, car elle ne représente pas ce qu’est l’humanitaire. C’est plutôt ce qu’il n’est pas.

Philippe Ryfman : Il y a beaucoup de populisme humanitaire, par exemple la théorie « des petits contre les gros ». Ce qui peut expliquer que, dans l’affaire de l’Arche de Zoé, des bénévoles s’engagent de bonne foi. Et que des familles d’accueil soient sensibles au message de cette association : « Les organisations humanitaires au Darfour ne s’occupent pas des enfants en danger, et nous on s’en occupe ». Les dirigeants de l’Arche de Zoé ne se sont mêmes pas adressés aux ONG sur place. Il faut lutter contre cette idée du tout euro donné par un citoyen, doit aller sur le terrain. Ce qui est faux : il faut avoir un minimum de frais de structure et de fonctionnement.

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