Guinée : un an après le meurtre du journaliste Mohamed Diallo, toujours pas de justice


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Déjà un an que le journaliste El Hadj Mohamed Diallo, correspondant d’Afrik.com en Guinée, est décédé, à Conakry. Il a reçu une balle en plein cœur, le 5 février 2016, lors d’affrontements entre militants du même parti d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). Depuis, la justice se fait toujours attendre pour faire connaître l’auteur du meurtre.

Il n’aurait sans doute jamais imaginé qu’il rendrait son dernier souffle ce jour-là. Le 5 février 2016, alors qu’il couvre un affrontement entre les militants du même parti d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), El Hadj Mohamed Diallo est tué d’une balle en plein cœur après un coup de feu. Le drame s’est déroulé devant le QG du parti suite à un différend entre ses deux leaders, Cellou Dalein Diallo et Bah Oury.
Selon un témoin, « c’est au moment où tout le monde fuyait qu’il a remarqué une personne allongée par terre ». Il s’agissait de Mohamed Diallo, le corps inerte. Toujours selon ce témoin, le journaliste est décédé bien avant d’arriver à l’hôpital. Selon le récit du témoin, le journaliste voulait se rendre tôt à la manifestation. « Un journaliste doit toujours arriver en avance pour percevoir ce qui va se passer », lui avait précisément déclaré Mohamed Diallo.

Le premier journaliste qui a évoqué Ebola

Une déclaration révélatrice du journaliste assidu et très professionnel qu’il était. La preuve est qu’il a été le tout premier à avoir parlé du virus Ebola, évoquant dans ses premiers écrits sur le sujet pour Afrik.com : « Une mystérieuse maladie qui avait fait plusieurs morts en Guinée ».

Depuis la mort du journaliste, qui laisse derrière lui une veuve, Binta Diallo, et une petite fille de cinq ans, la justice se fait toujours attendre pour faire connaître l’auteur de son meurtre…. Le 23 mai 2016, le procureur de la République, Sidy Souleymane N’diaye, avait affirmé que le traitement de ce dossier avait été achevé au niveau du parquet et que seul « le juge d’instruction ne se serait pas à ce jour prononcé ». « Dans quelques jours, ce dossier sera clos par une ordonnance que le juge d’instruction va rendre souverainement », avait déclaré Sidy Souleymane N’diaye. Une ordonnance qui se fait toujours attendre.

Journaliste à Guinéenews, Alhassane Bah ne mâche pas ses mots à l’égard de la justice de son pays. Pour lui, tout cela est « de la poudre aux yeux », estimant que « tout s’est arrêté là et que personne n’est aujourd’hui inquiété dans cette affaire, sans compter que même les médias n’en parlent pratiquement plus ».

La justice pointée du doigt

Rappelons que peu de temps après la mort de Mohamed Diallo, face à la pression des journalistes qui ont massivement manifesté le 8 février 2016 pour réclamer justice, les autorités guinéennes avaient annoncé l’ouverture d’une information judiciaire contre X pour homicide volontaire. Le ministre guinéen de la Justice, Maître Cheick Sacko, avait évoqué, sans donner trop de détails, des auditions concernant les deux responsables de l’UFDG, Cellou Dalein Dialllo et Bah Oury. Il avait également fait cas de la mise en garde à vue d’au moins 17 militants de la principale formation politique de l’opposition guinéenne.

« Il y a une commercialisation de l’affaire par certains médias »

Il n’y a pas que la justice qui est pointée du doigt dans cette affaire. La mort de Mohamed Diallo a également mis à nu certaines pratiques de la presse guinéenne que des journalistes du pays dénoncent. Si elle avait réussi, tant bien que mal, à organiser la marche pacifique et l’organisation d’une journée sans presse l’année dernière, cette année les choses ne semblent pas aussi aisées. Des journalistes vont même plus loin, évoquant « un changement de règle du jeu ». A l’instar d’Elie Ougna Camara, journaliste au journal Kaloumpresse, qui dénonce « une commercialisation » de l’affaire « en confiant notamment la commémoration de son décès à un but lucratif par une agence de communication qui n’a pas bonne réputation dans le pays. Ça fait désordre et ça décourage dans le combat que nous menons depuis l’année dernière ». Selon lui, « on aurait dû laisser toutes les associations de presse prendre les devants et mener le combat de bout en bout pour obtenir justice ».

« Une partie de la presse a pris parti sans attendre les résultats de l’enquête »

Sous couvert de l’anonymat, ce journaliste âgé de 70 ans, qui suit de près l’évolution de cette affaire, évoque aussi un manque de déontologie et un comportement « scandaleux » de certains médias du pays. « Une partie de la presse a parlé de manière quasi spontanée d’assassinat. Elle a pris parti avant même les résultats de toute enquête », regrette-t-il, soulignant que « dans les affaires criminelles, on ne peut poursuivre une personne que s’il existe un élément légal, matériel et intentionnel ». Il estime aussi que « les déclarations évoquées par Bah Oury et le Camp de Cellou Dalein, le premier affirmant que Mohamed Diallo a été touché indirectement, le second soutenant que Bah Oury serait venu avec une arme pour tuer, sont tout simplement ridicules et relèvent plus de la communication que de la vraisemblance ».

Visiblement tout montre, un an après la mort de Mohamed Diallo, que son meurtre n’est pas prêt d’être élucidé. Une affaire révélatrice des rudes conditions d’exercice des journalistes en Afrique, qui travaillent parfois au péril de leur vie.

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