Guillaume Soro et l’esprit des lois


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Par les temps qui courent, avoir l’occasion de voir agir au quotidien une personnalité politique de premier plan est une aubaine épistémologique pour qui veut penser la démocratie en Afrique et panser l’Afrique des dictatures. Pourquoi donc ?

On ne peut bien expliquer que ce qu’on a bien compris, tout comme on ne peut bien soigner sans un bon diagnostic. La théorie politique a besoin d’une sérieuse observation de sa pratique. Parce qu’on touche ainsi du doigt ce dont on parle, d’une part ; mais aussi parce qu’on mesure alors toute la gravité et la pesanteur des fonctions publiques, toutes choses qui affinent la connaissance des affaires humaines. Car que constate-t-on hélas au quotidien des analyses politiques que nous servent certains possesseurs d’écritoires ? Trop de plumitifs sous les tropiques s’imposent davantage dans le domaine de l’écriture du politique en faisant surenchère de leur ignorance de la vie politique qu’en s’imposant l’ascèse intellectuelle que nécessite son décryptage rigoureux. C’est ce dont me convainc l’extraordinaire silence d’une certaine presse africaine sur le style de management du jeune président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Kigbafori Soro. Abonnée aux cancans et aux quolibets, la presse politique quotidienne se partage souvent entre les seules fonctions informatives et propagandistes, faisant peu de cas de la saisie du nécessaire essentiel à la valeur de l’événementiel. Comment comprendre en effet que le nouveau député de Ferkéssédougou, élu récemment en outre au perchoir de la seconde institution de son pays ait réussi à faire bouger les lignes de la structure politique plus que centenaire de la Côte d’Ivoire, en amenant son parlement à voter courageusement en un temps record, mais avec maturité et responsabilité, des lois révolutionnaires en matière de droit de la famille, et de planification du développement ? L’extraordinaire alchimie qui se tisse en Côte d’Ivoire entre les propositions de lois de l’exécutif et la disponibilité permanente du législatif au débat et aux décisions audacieuses qui reconfigureront l’avenir des Ivoiriennes, des Ivoiriens et des Africains, cette alchimie, dis-je, mérite d’être saisie du point de vue de ce que le philosophe français Montesquieu a si heureusement nommé « L’esprit des lois ». Dans la présente tribune, il est question de saisir ce par quoi Guillaume Soro et l’Assemblée Nationale Ivoirienne illustrent à merveille ce thème de « l’esprit des lois », d’abord à travers leur conception audacieuse du débat politique en situation de majorité parlementaire ; ensuite à travers la force de conviction mobilisée dans la mise en place des dynamiques de consensus autour du projet du Président Alassane Ouattara ; enfin à travers une diplomatie parlementaire tous azimuts qui inaugure une conception du parlement que seules les grandes parlements des démocraties occidentales nous avaient accoutumé à voir. Essayons de camper ces trois moments.

L’esprit des lois chez Montesquieu et la méthode Soro: excursus philosophico-politique

Qu’est-ce donc que l’esprit des lois chez Montesquieu ? « C’est ce qui les fait être ce qu’elles sont, ce qui les anime, leur donne sens et intentionnalité. C’est leur essence, obtenue comme l’ « esprit de vin », ou l’ « esprit de sel », par une patiente distillation. C’est aussi ce qui leur donne leur style, leur « ton »[1], nous dit le contemporain Alain Pons, commentant le penseur français du 18ème siècle. Bien comprendre le propos qui précède, c’est saisir précisément le contenu substantiel de la méthode Soro. Les lois, bien cernées en leur vocation de promotion de l’humain, disent donc la manière dont une communauté se voit et se prévoit, se vit et se veut orienter. Elles tracent dans le burin des débats et des votes, les enracinements des gens du peuple dans le passé, le présent et l’avenir. Saveur suprême du vivre-ensemble que symbolise la convivialité du vin, la loi rassemble l’épars, concilie les contraires dans un ternaire supérieur. Outil majeur de consolidation du lien social, la loi est comme le sel conservant les aliments, ce qui pérennise l’âme d’un peuple. Les lois, bien saisies en leur esprit, expriment objectivement ce que les citoyens attendent subjectivement, traduisant le duel des intérêts particuliers en unité de l’intérêt général. Comment ne pas dès lors supposer que pour présider à la plus importante des chambres populaires de Côte d’Ivoire, il a fallu en son âme et conscience que Guillaume Soro s’interroge sur les attentes de ses compatriotes en ce début de 21ème siècle, d’une part, mais aussi, d’autre part, sur les capacités réelles des politiques de la nouvelle majorité à répondre de façon probante et efficace à ces attentes ? Or s’interroger sur l’espérance des Ivoiriennes et des Ivoiriens, n’est-ce pas comme de juste tomber au cœur des préoccupations politiques les plus profondes du premier de leurs députés ? Point de besoin d’aller chercher ailleurs que dans les dires de l’homme lui-même. La méthode Soro, « l’esprit des lois » de Guilaume Soro donc, pouvait déjà se lire dans Pourquoi je suis devenu un rebelle où Guillaume Soro formule de façon claire le projet politique pour lequel il a sacrifié de longues années de sa jeunesse: « La situation politique ne cessait de se dégrader. Contre l’ivoirité, face aux kalachnikovs et aux milices de Gbagbo, alors que les citoyens se voyaient dans l’impossibilité de s’exprimer librement et de manifester les mains nues dans les rues, l’insurrection armée devenait inévitable. J’ai décidé de quitter mon pays, de rejoindre ceux qui voulaient lutter contre la démocratie et de leur apporter mon savoir-faire politique et ma détermination. »[2] L’extrait ci-dessus nous indique donc l’axe principal de la législature Soro, à savoir la révolte – violente au besoin en guise de légitime défense – contre l’injustice et la violence des puissants du jour, la revendication d’une politique citoyenne inclusive intransigeante sur le chapitre des libertés fondamentales, et la volonté d’instaurer une république de prospérité et de sérénité pour tous, sans discrimination aucune. Quelle autre pédagogie invoquer ici, outre celle des exemples eux-mêmes ou des faits eux-mêmes ?

Deux lois illustratives de l’esprit des lois chez Guillaume Soro

Il y a un Accord historique qui a sauvé toutes les lois ivoiriennes actuelles. Cet Accord, bien que Gbagbo l’ait en partie trahi, a toujours force de loi en Côte d’Ivoire car c’est lui qui a déterminé les modalités de la concurrence pacifique en vue de l’exercice du pouvoir politique dans ce pays. Pour cette raison essentielle, il faudra souvent revisiter cet Accord pour en méditer profondément le sens, car il constitue avec la Constitution de Côte d’Ivoire, l’un des leviers juridiques les plus puissants de ce pays. On n’en parle malheureusement plus assez, car sa lumière brille sur la situation ivoirienne présente comme celle de ces étoiles depuis longtemps mortes, mais dont l’éclat persiste dans l’espace intergalactique. Encore un gâchis du boulanger de Mama, bousillant la photo-finish d’un processus consensuel amorcé pour sauver la Côte d’Ivoire des errances la de lutte successorale de l’après Houphouët-Boigny ! En réalité, la séquence politique qui a conduit à l’élection présidentielle 2010 commence décisivement avec l’Accord de Paix de Ouagadougou(2007), courageusement signé alors par un Guillaume Kigbafori qu’une bonne partie de l’opinion de sa propre mouvance politique qualifie alors de traître. Flairant la portée historique d’une réconciliation des principales forces politiques ivoiriennes autour de l’accès, de l’exercice, de la conservation et de la transmission démocratiques du pouvoir, Guillaume Soro fait le pas décisif du dialogue direct vers un Laurent Gbagbo qui y voit – un peu trop vite, on le saura – malheureusement aussi un aveu de faiblesse. Traître pour certains des siens, broyable et corvéable à merci pour le clan Gbagbo, c’est pourtant ce Guillaume Soro qui conduit les trois grands candidats de l’élection présidentielle 2010 à la vérité de leur temps, le choix des urnes. Qui peut encore douter qu’au fond, Guillaume Soro en signant cet Accord, se révolta – au risque de sa propre vie – contre les lâches de son camp, contre la roublardise du camp Gbagbo et contre ses propres hésitations à faire résolument l’histoire de son pays ? Acte de transcendance, l’Accord de Paix de Ouagadougou (APO) était en fait le dernier rempart contre l’apocalypse en Côte d’Ivoire.

La seconde loi, illustrative de l’esprit des lois chez Guillaume Soro, c’est bel et bien l’acte d’inclusion original des femmes ivoiriennes dans le plein exercice égalitaire de la citoyenneté dont les hommes s’étaient réservé la primeur régalienne au mépris de la Constitution ivoirienne elle-même et des traités et conventions internationaux engageant la parole d’honneur et la crédibilité de l’Etat de Côte d’Ivoire. Il faut avoir été à l’écoute de la féminité du féminin pour dire comme Guillaume Soro : « Messieurs les Députés,
Vous ne devriez pas craindre la question du genre, ni vous inquiéter de la parité. En réalité, avouons-le : même quand nous traitions jadis les femmes de Sexe Faible, elles avaient pourtant le Pouvoir! Elles nous commandaient déjà la nuit! Alors soyons honnêtes, soyons plus vrais et donnons leur franchement du pouvoir et assurément nous serons bien traités. »[3]Que signifie en effet pour Guillaume Soro la faiblesse du Sexe Faible ? La force de cette douceur, de cette pudeur et de cette attention à la fragilité humaine qui font la marque déposée du féminin, qualités sans lesquelles l’humanité de toute l’humanité serait à jamais menacée de disparition tragique. La faiblesse de la femme n’est pas dans sa vulnérabilité, car la ruse rend tous les humains quasiment égaux en nuisibilité. On connaît tant d’histoires de David qui vainquirent des Goliath, tel ce grand chef de guerre biblique, Abimélech, qui se fit pourtant assommer mortellement par une meule lancée du haut d’une muraille par une femme…La faiblesse assumée de la femme est dans son acceptation compassionnelle de porter et d’accueillir tous les humains au propre comme au figuré, en elle et parfois malgré elle, par simple dévotion pour l’humain. Faiblesse qui est la force éthique de l’hospitalité humaine, la femme est le passé, le présent et l’avenir de l’humanité de l’homme. Sa présence se révèle comme celle qui, étant d’un moi différent, est le rappel de la richesse de l’altérité et de l’importance en toute humanité d’accueillir l’Autre et d’être accueilli par lui. Et Emmanuel Lévinas, le philosophe français de l’altérité, d’écrire : « La Femme est la condition du recueillement, de l’intériorité de la maison et de l’habitation. »[4] Qui doutera, maintenant que l’esprit des lois de la législature de Guillaume Soro s’est diffusé dans les foyers ivoiriens, qu’il y avait à l’origine dans cette affaire un profond désir de mutation civilisationnelle ? L’exploration de notre dernier argument sur la conception des relations internationales impulsée par le nouveau chef du parlement ivoirien devraient désarmer les sceptiques sincères.

La diplomatie parlementaire et le dauphin de l’Universel

On a fait à Guillaume Soro le procès malin de surfer sur twitter, facebook et consorts. Maintenant que le Pape Benoît XVI l’y a rejoint, il est certain que beaucoup rangeront leur crachoir. Pis encore, certaines langues bien pendues et non moins fourchues s’évertuent à voir dans les nombreux déplacements à l’étranger du président de l’Assemblée Nationale Ivoirienne, une manière de s’offrir force villégiatures ou de fuir une scène nationale réputée pauvre ou trop étouffante pour le député de Ferkéssédougou. On a même lu dans une certaine presse des poncifs qui s’escrimaient dans l’inutile comparaison des voyages du Chef de l’Etat et du chef du Parlement ivoiriens, comme si l’un et l’autre ne s’entendaient pas mieux que l’écorce et l’arbre. De quel fil sont en réalité tissés les voyages de Guillaume Soro à l’étranger depuis son élection en mars 2012 à la tête de la seconde institution de son pays ? J’en parlerai ici pour les avoir tous suivis dans la presse, mais aussi pour avoir pu participer effectivement à l’un des plus significatifs d’entre eux, au mois de novembre 2012 passé, à Bruxelles, aux côtés de la délégation de parlementaires ivoiriens que Guillaume Soro conduisait à la Chambre des représentants et au Sénat Belge, mais aussi à l’Union Européenne et au secrétariat des ACP-CEE. Les voyages de Guillaume Soro à l’étranger sont à n’en point douter marqués par le souci de l’émergence ivoirienne qui anime l’esprit des lois de son Parlement. La diplomatie parlementaire, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, consiste précisément à esquisser les bases durables de cette « démocratie locale-mondiale » qui rapprochera les élus de tous pays que l’espace et le temps séparaient par le passé, autour de problématiques qui de fait, font de la terre des hommes d’aujourd’hui, un véritable village planétaire.

Complémentaire de la diplomatie gouvernementale qu’elle enrichit de l’imprégnation par les élus des articulations concrètes de la coopération internationale, la diplomatie parlementaire fait tomber les barrières liées aux ignorances mutuelles des peuples, aux disparités de pratiques institutionnelles, aux conflits d’intérêts liés à l’imbrication des réseaux de l’économie-monde. De fait, la pratique de la diplomatie parlementaire permet à la législature Soro d’entrer en phase avec l’âme du monde, conscience universelle dont les voyageurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité sont les agents vibratoires. Ame indispensable du monde sans laquelle « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (Rabelais). Conscience vivante de la terre qui doit infuser le cosmopolitisme des temps nouveaux que notre époque requiert comme le désert réclame la pluie et la verdure ! C’est dans cette longueur d’onde subtile que Guillaume Soro, tel un dauphin de l’Universel, rame avec souplesse et dextérité. Car il a appris dans les arcanes du pouvoir que sans la parfaite entente de l’acteur politique de tout temps avec cette âme du monde, aucune transformation profonde n’est envisageable. Sans elle, les problèmes planétaires transversaux liés à la crise financière mondiale, à la crise démographique, à la crise écologique, à la crise géostratégique de la prolifération nucléaire et du terrorisme, à la crise politique qu’entretiennent les poches de despotisme dont le monde subit encore les affres, aux crises sociales et culturelles semées par l’abandon des jeunes adultes au désespoir rampant, tous ces problèmes sans délai dis-je, conduiraient le monde à sa perte. Pour toutes ces raisons, l’esprit des lois est bien l’entente profonde de l’âme du monde. Que celui qui a des oreilles entende donc le fil subtil dont la révolution parlementaire de Guillaume Soro est cousue !

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