France, Guyane : les 4 vérités de Mikaël Mancée


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Mikaël Mancée s’est fait connaître –par le grand public- au début de l’année 2017 lors de la crise sociale en Guyane française. Leader au visage découvert parmi les hommes encagoulés des « 500 frères », luttant de manière virile contre la délinquance et pour plus d’implication de la part de l’Etat afin de répondre à la situation difficile des Guyanais. Las de l’insécurité, du chômage, de l’indifférence de Paris, des difficultés dans tous les secteurs, il a porté le message d’une protestation qui a fini par devenir globale et lui échapper. Rencontre avec cet ancien policier, amoureux de sa terre, à la carrure imposante, au regard décidé et au discours tranché. Propos recueillis par Renaud Artoux.

Mikaël Mancée  : « Là où nos parents ont courbé le dos, nous ne plierons pas !  » 

AFRIK.COM : Monsieur Mancée, pouvez-vous nous parler de vous et de votre parcours ?

Mikaël Mancée : Je suis né à Cayenne en 1984. J’ai vécu toute ma vie en Guyane, où j’ai vu évoluer la délinquance. Alors que j’étais encore au collège, j’ai subi un vol à main armée. Je me trouvais en compagnie de voisins qui avaient un scooter. Le voleur avait alors sorti une arme de poing qu’il avait pointée vers ma tête en exigeant de lui remettre le deux-roues. J’étais très jeune mais déjà je ne supportais pas le vol et l’injustice.  

Puis au lycée, une jeune fille de mon établissement qui attendait l’ouverture des portes s’est fait braquer. Comme elle n’avait rien à donner à son agresseur, ce dernier lui a tiré dessus au niveau de la poitrine. Heureusement, elle a survécu.

En parallèle, j’ai cultivé le rejet de l’autorité parce que j’ai évolué dans une cité et qu’on y est éduqués dans la haine des forces de l’ordre, mais surtout parce que je les voyais faire les gros bras avec les jeunes des quartiers mais pas avec les vrais délinquants qui nous agressaient. Face à cela, nous nous organisions en équipes pour aller chercher les voleurs dans leurs ghettos quand l’un de nous ou nos proches étaient victimes de vols ou braquages.

Finalement ce sont des policiers qui nous ont encouragés à passer le concours de police pour combattre les délinquants et aider notre pays, sans être dans l’illégalité. Je suis donc devenu policier parce que c’est la seule option que nous donne le système français pour tenter de sécuriser nos rues.

Après un an de formation à Nantes, puis dix années de carrière dans la police à Cayenne, j’ai compris que ce système ne pourra jamais, en l’état, combattre efficacement la délinquance. Sachant qu’en en faisant partie, il est impossible de parler, par rapport à l’obligation de réserve, j’ai préféré en sortir pour alerter les autorités.

AFRIK.COM : En dehors de l’insécurité grandissante, que pouvez-vous nous dire de manière synthétique sur la situation de la Guyane ?

Mikaël Mancée : En Guyane, nous sommes en retard à tous les niveaux. Aucun autre département français n’est traité comme le nôtre que ce soit en matière d’éducation, de santé, de sécurité etc.

La Guyane se trouve en Amérique du Sud, notre quotidien, nos réalités, notre environnement, ne sont pas ceux des métropolitains. Mais les autorités françaises n’en sont pas conscientes puisque les décisions sont prises en Europe, très loin de nous et sans nous. Tout ce qui intéresse les autorités en
Guyane ce sont les intérêts économiques. La vie du peuple leur importe peu. Cette situation est inadmissible et nous voulons les mettre face à leurs responsabilités.

AFRIK.COM : La France entière a découvert votre visage suite aux opérations menées par le collectif des 500 frères, alors que vous étiez le seul membre à retirer sa cagoule devant les caméras. Est-ce possible de revenir, pour nos lecteurs, sur l’historique de ce mouvement et son évolution ?

Mikaël Mancée : Les 500 frères sont des enfants de la Guyane, toutes origines confondues, qui en ont assez de souffrir chez eux pendant que l’Etat prend à la légère leur souffrance et continue de gérer son business.

L’insécurité et les graves faits divers étaient devenus trop lourds à supporter. Il nous fallait envoyer un message fort aux délinquants mais aussi à l’Etat : faites votre travail ou nous nous débrouillerons sans vous.

Des marches contre la délinquance, il y en a eu énormément depuis que je suis très jeune. Nous avons vu plusieurs délégations rencontrer les représentants l’Etat français ici, pourtant notre Guyane va de mal en pis. Aucune autorité, aussi loin que l’on se souvienne, n’a été en mesure de combattre efficacement la délinquance. Il nous fallait les faire réagir…

Il y a un contrat entre l’Etat français et la population française : nous suivons les règles du système et en échange, il assure la sécurité, l’accès à des soins de qualité, à une éducation et une formation de qualité pour nos enfants etc. Aujourd’hui nous remplissons notre part du contrat mais pas lui. Il est hors de question qu’on nous mette la pression et nous fasse la guerre, nous qui avons choisi de suivre les règles du système, quand il n’est pas en mesure de gérer ceux qui n’en suivent pas les règles et qui nous pourrissent la vie.

AFRIK.COM : Vos méthodes ont été critiquées par certains. Comment vous est venue l’idée de vous masquer et d’intervenir de manière si virile ?

Mikaël Mancée : Comme je vous l’ai dit, il fallait faire passer un message fort. Nous avons donc fait une marche sans femmes, sans enfants. Que des hommes déterminés à assumer leur rôle : défendre leur famille.

 Nous sommes allés les voir encagoulés et vêtus de noir, tels une section d’intervention, pour que le message soit clair. Si nous n’avions pas mis de cagoules, la France n’aurait pas eu connaissance de notre existence.

AFRIK.COM : Vous avez finalement quitté la police et ce collectif. N’allez-vous pas moins contribuer au règlement des problèmes de sécurité en ayant fait ces choix radicaux ?

Mikaël Mancée : J’ai quitté la police parce que ça ne marche pas. Tant que ceux qui prennent les décisions en matière de droit pénal et de sécurité ne seront pas au fait de la réalité du travail sur le terrain, ne consulteront pas ceux qui la vivent au quotidien, les forces de l’ordre resteront inefficaces ou peu efficaces. Ceux qui, dans la police, vivent cela au quotidien ont clairement l’impression de travailler pour rien et sont bridés par l’obligation de réserve. Je ne peux plus faire partie d’un système qui ne fonctionne pas et dans lequel on ne doit pas dire comment faire pour l’améliorer, j’en serais complice.

Quant au collectif, il faut recadrer les choses. Les 500 frères se sont lancés dans un combat contre la délinquance. Puis il y a eu d’autres mouvements de protestation dans d’autres domaines (économie, éducation, santé, etc.). Tous les domaines se sont réunis pour parler d’une même voix mais ce mouvement général n’était pas prévu. Nous avons donc dû composer avec des personnes qui se présentaient comme des représentant de chaque domaine, mais nous (les 500 frères) n’avions pas désigné telle ou telle personne comme référent dans les différents pôles de revendications. Il a fallu travailler dans l’urgence, avec des personnes que nous ne connaissions pas, parfois sur des questions que nous ne connaissions pas. Or, ce genre de travail demande de l’organisation, une structuration, de la préparation…

Par ailleurs nous voulions présenter nos revendications à de hauts fonctionnaires. Nous devions parler leur langage et pour cela nous entourer d’experts. De plus, l’appui de nos élus aurait été un atout, mais ils ont été écartés, comme pour les punir de ne pas avoir été à la hauteur. A mon sens,
même si certains d’entre eux ont sûrement des torts, nous aurions dû travailler avec eux, les appuyer, et nous aurions réglé nos désaccords avec eux après.  Le linge sale se lave en famille. Nous n’arrivions pas à nous entendre à ce sujet, alors je n’avais plus ma place dans ce collectif.

J’ai donc quitté la police et le collectif sans regrets, et aujourd’hui je ferai tout pour améliorer les choses dans mon pays. Je ne serai pas moins fort. Je n’ai jamais attendu d’avoir du monde à mes côtés pour me battre. Aujourd’hui le peuple guyanais est conscient de sa situation alors plus jamais nous n’accepterons d’être traités comme des Français de seconde zone.

AFRIK.COM : Du coup, quels sont vos projets pour les prochains mois ?

Mikaël Mancée : Professionnellement je travaille à ma reconversion et dans une boîte de sécurité privée car je suis titulaire d’un BAC dans les métiers de la sécurité.

En ce qui concerne la situation de la Guyane, nous mettrons l’Etat face à ses responsabilités. Il y a eu une séparation au sein des 500 frères, due à une vision différente des choses. Nous avons donc créé l’association « Les Grands Frères » et nous comptons continuer le combat contre la délinquance en collaboration avec les autorités, nos élus et tous ceux qui nous permettront d’avancer vers nos objectifs. Nous l’avons dit et répété, les autorités ne sont pas nos ennemies mais nos partenaires. Elles ont tout autant intérêt que nous à ce que nous puissions travailler ensemble pour une Guyane plus agréable à vivre.

AFRIK.COM : Peut-être pensez-vous secrètement à vous engager réellement en politique…

Mikaël Mancée : Le monde politique ne m’intéresse pas. Aucun de ces hommes politiques ne pourra améliorer les conditions de vie ici parce qu’ils sont tous déconnectés de la réalité. Comment pourraient-ils plaider en faveur du peuple puisqu’ils ne connaissent pas ses intérêts? Notre objectif c’est de connecter les autorités et les élus à la réalité de la rue. Et quand bien même nous y arriverions, nos élus vont devoir aller présenter nos revendications à l’Assemblée nationale, à des personnes elles-mêmes déconnectés de la vie des gens de la métropole, alors de la vie en Guyane…

Je ne crois pas en ce système, je ne l’ai pas choisi et ne l’aurais pas choisi s’il m’avait été présenté. Tout comme pour la police, je ne veux pas faire partie d’un système politique qui ne fonctionne pas et que l’on ne peut pas changer puisque nous ne sommes pas entendus pour le moment.

Certains ont accédé à des postes à responsabilité comme Madame Taubira par exemple, puisque nous parlons de sécurité et de justice. Est-ce que le pays va mieux? Vivons-nous en sécurité? La réponse est non.

AFRIK.COM : Des négociations ont eu lieu entre les protestataires et les autorités. On a parlé d’un milliard d’euros d’aide d’urgence en faveur de l’éducation, de la sécurité, des entreprises et de la santé. Croyez-vous que ces engagements de l’Etat suffiront à améliorer le quotidien des Guyanais ?

Mikaël Mancée : D’abord, il nous faut travailler avec l’aide d’experts dans les différents domaines de manière à savoir précisément ce dont nous avons besoin pour rattraper notre retard pour de bon. Cela n’a pas encore été fait. D’ailleurs, si cela avait été fait, nous aurions peut-être découvert que nous avions en fait besoin de beaucoup plus d’argent !

Ensuite, pour améliorer le quotidien du peuple guyanais, il faut que les autorités prennent des mesures efficaces à court et moyen terme. Les fonds à débloquer concernent essentiellement des infrastructures qui prendront des années à sortir de terre. Qu’allons-nous faire en attendant de les avoir, qu’elles soient fonctionnelles et que nous en ressentions les effets au quotidien? Subir la vie?

Hors de question!  

AFRIK.COM : Et si la situation n’évolue pas positivement en Guyane, quelle solution préconisez-vous ?

Mikaël Mancée : Nous ne faisons qu’avertir l’Etat. Si les choses n’évoluent pas dans le bon sens, nous écrirons l’histoire de notre pays. Nous avons été clairs, nous ne souhaitons pas faire la guerre à l’Etat, il est censé être notre partenaire. Toutefois s’il faut faire la guerre à ceux qui n’hésitent pas à tuer nos enfants pour une chaîne en or, nous ferons la guerre !

AFRIK.COM : J’ai parfois l’impression que vous envisagez l’indépendance de la Guyane…

Mikaël Mancée : L’indépendance? Elle serait envisageable. Si nous exploitions les richesses de notre pays nous n’aurions pas besoin de la France pour bien vivre. Mais inutile de développer sur ce sujet car ce que l’on demande aujourd’hui c’est que l’Etat prenne ses responsabilités et tienne ses engagements…

AFRIK.COM : 2017 est une année de grand chambardement. Pensez-vous que le nouveau président de la République française, Emmanuel Macron, sera plus attentif aux difficultés que traversent les DOM-TOM ?

Mikaël Mancée : Il vaut mieux que Monsieur Macron, son gouvernement et tous les autres présidents et gouvernements qui suivront soient très attentifs à notre situation. Nous ne sommes plus disposés à être traités de la sorte, nous sommes la génération du changement. Là où nos parents ont courbé le dos, nous ne plierons pas. Des millions de Français ont été avertis pendant le mouvement de mars et avril 2017, des millions de personnes à travers le monde aussi. Nous privilégierons le dialogue avec la République française jusqu’à ce que ce ne soit plus possible…   

AFRIK.COM : Notre entretien touche à sa fin. Avez-vous une dernière chose à dire à nos lecteurs ?

Mikaël Mancée : Nous avons montré au monde entier que nous voulons privilégier le dialogue avec l’Etat pour améliorer les conditions de vie chez nous. Nous essayerons tout pour éviter un bain de sang en Guyane. Mais vous devez quand même savoir que nous vivons sur une poudrière et que nous regardons les autorités jouer avec le feu.

Si nous ne parvenons pas à trouver de vraies solutions, notre Guyane va exploser. Nos parents nous ont toujours dit que l’on ne brûle pas sa maison pour tuer des rats, c’était leur éducation. Notre génération est déterminée à brûler la maison, quitte à en reconstruire une autre sur les ruines, plus belle et plus agréable à vivre.

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