Eva Coll Seck : « pourquoi le Sénégal a fermé ses frontières » face à Ebola


Lecture 9 min.
arton43458

La maladie hémorragique Ebola poursuit sa tournée meurtrière. Après avoir frappé en Afrique de l’Ouest, notamment la Guinée, la Sierra Leone, le Liberia, voilà qu’elle se déclare en Europe et aux Etats Unis. C’est dans ce contexte qu’Afrik.com a interpellé la ministre sénégalaise de la Santé, Eva Marie Coll Seck.

A Dakar,

Ebola est au cœur de toutes les discussions à travers le monde, tellement la maladie fait peur. C’est d’ailleurs cette peur qui a poussé le Sénégal à fermer ses frontières avec les pays touchés par cette maladie. Pourquoi cette décision de fermer les frontières ? Eva Marie Coll Seck, ministre sénégalaise de la Santé, répond à cette question, entre autres interrogations, dans cette seconde et dernière partie de l’entretien réalisé dans son bureau, à Dakar.

Afrik.com : Quelles sont les personnes que vous avez le plus ciblées dans votre campagne de communication visant à contrer Ebola lorsqu’un cas s’est signalé au Sénégal ?

Eva Marie Coll Seck : Pendant cette période de crise où les commissions se réunissaient tout le temps, nous avons ciblé certains corps, notamment les religieux. Mon directeur de Cabinet a fait le tour des chefs religieux, chrétiens et musulmans, pour leur parler de la maladie et leur demander d’en parler au moment des prêches. On leur a aussi demandé de prier pour le Sénégal. On a été voir tout le monde, les imams, les tradi-praticiens, et on est en train de travailler avec eux sur la formation. Pourquoi, parce qu’on a vu que dans les pays où la maladie sévit, beaucoup de tradi-praticiens sont morts. Car les populations vont souvent voir d’abord le tradi-praticien du village. Il en est de même des imams qui, dans ces villages, ferment les yeux des personnes mortes et qui peuvent être des malades d’Ebola. On a, depuis qu’on a eu le cas, essayé de parler à toutes ces personnes. Il a fallu faire vite.

Afrik.com : Quels enseignements tirer de l’unique cas d’Ebola au Sénégal qui a été guéri ?

Eva Marie Coll Seck : Il faut reconnaître qu’Ebola nécessite des moyens pour penser faire face à cette maladie. Car il faut déjà penser à équiper le personnel de santé, les doter de gants, de masques, pour qu’ils soient rassurés. Il faut nourrir et équiper les forces de sécurité censées veiller à la fermeture des frontières. Ebola a des coûts. Par exemple, l’hôpital Fann où a été admis le Guinéen qui avait Ebola a perdu des dizaines de millions de recettes, car les gens commençaient à fuir cet établissement. Pour les citoyens, se rendre à l’hôpital Fann équivaut à aller choper Ebola. Alors que ces recettes servent à rémunérer du personnel. Ce sont des coûts indirects que l’Etat du Sénégal ne prend certes pas en charge, mais doit gérer. En outre, il y avait 34 personnes dans cette concession où vivait le Guinéen, il fallait les confiner à domicile et les prendre intégralement en charge. On a dû tout leur payer, notamment leur alimentation, pour qu’il vivent convenablement. Raison pour laquelle on avait demandé au ministère des Finances de s’occuper de la commission finances. Bref, il ne fallait, dans aucun cas, que la maladie se répande au Sénégal, et le Président Macky Sall avait donné des instructions dans ce sens.

Afrik.com : Pourquoi avoir opté pour la fermeture des frontières ?

Eva Marie Coll Seck : En réalité, pendant cette même période, on a eu à prendre des décisions, comme la fermeture des frontières. Il y a énormément de choses qui ont été faites. La première fois qu’on a fermé les frontières, il fallait le comprendre. Ce n’était pas contre la Guinée, ou un autre pays. Il ne fallait pas percevoir les choses ainsi. Quand on ferme une frontière, ce n’est pas forcément contre le pays. Lorsqu’on a fermé les frontières la première fois, en mars, on s’est rendu compte qu’on n’était pas prêt pour la maladie. Une maladie censée concerner la forêt est arrivée jusqu’à la capitale. On s’est dit « avec le trafic et les échanges, notamment les marchés de Diaobé, le pèlerinage de Médina Gounass, on ne pourra jamais contrôler la maladie ». C’est ainsi que le ministre des Affaires étrangères a appelé son homologue en Guinée pour lui expliquer la gravité de la situation. J’en ai fait autant avec le ministre guinéen de la Santé. C’était pour leur expliquer les raisons de ce que nous allions décider de faire. Cela n’a pas été bien pris. On leur a dit que la maladie prend de nouvelles dimensions, et nous n’avions pas la capacité de la gérer. C’est par la suite, quand on a formé le personnel qu’on a doté d’équipements, on a rouvert les frontières.

Afrik.com : Il y a eu une nouvelle fermeture des frontières. Est-ce lié au cas du jeune Guinéen ?

Eva Marie Coll Seck : Avant même qu’on ne sache qu’on a un malade, il était déjà au Sénégal. Sans même savoir qu’il y avait quelqu’un qui était rentré (avec la maladie Ebola, ndlr), la décision avait été prise de fermer à nouveau les frontières. Car, à cette période, Médecin sans frontières, Organisation mondiale de la Santé, l’ONU, tout le monde disait que la maladie était out of controle (hors de contrôle, ndlr). On ne pouvait pas se permettre de laisser nos frontières ainsi. On ne pouvait pas attendre que la maladie nous tombe dessus. Cette fermeture des frontières n’est pas faite de bon cœur, mais elle a été fustigée par beaucoup d’organismes. Mais objectivement, on sait ce qu’on vit. Les populations ont été rassurées par la fermeture de la frontière. Il fallait prendre une décision, sachant que quand Ebola entre dans un pays, c’est la catastrophe. Que l’on soit en Guinée, en Sierra Leone, au Liberia, on vit une situation de catastrophe. Pourquoi prendre le risque de vivre la même situation ?

Afrik.com : On a entendu parler d’un corridor. Qu’en est-il exactement ?

Eva Marie Coll Seck : Nous avons certes fermé nos frontières, mais nous sommes conscients que nous devons aider les autres, notamment nos voisins de la Guinée, du Liberia et de la Sierra Leone. Dakar étant une sorte de hub, le Sénégal a ouvert un corridor pour permettre de faire passer les équipements, les médicaments, le personnel qui va dans ces pays. On veut tout de même sécuriser tout ça. Il n’est pas dit que nous allons ouvrir ce corridor pour que les gens entrent et sortent du Sénégal comme ils veulent. On ne va quand-même pas faire tout ce travail sur Ebola et le gâcher d’une autre manière. Ce travail bien organisé nous permet aussi d’être solidaire avec les pays affectés par la maladie Ebola. Par exemple, s’agissant du corridor, Médecins sans frontières a du personnel qui vient par Air France ou par Brussel, descend à Dakar, part en Guinée. Et le personnel qui était sur le terrain vient pour prendre Air France ou Brussel et part en Belgique ou en France. C’est ce qui se fait à Dakar, c’est une sorte de transit. Mais il est hors de question de venir de ces pays, entrer au Sénégal et aller là où on veut.

Afrik.com : En tant que spécialiste des maladies infectieuses, comment expliquez-vous qu’Ebola, une maladie vieille de près de 40 ans, n’ait toujours pas de vaccin ?

Eva Marie Coll Seck : A mon avis, c’est quelque chose de très simple. Cela s’explique par le fait que, nous-mêmes Africains, qui n’étions pas au Congo, n’étions pas intéressés par cette maladie. Alors pourquoi les gens du Nord se seraient intéressés à cette maladie qui était très lointaine, et penser trouver un vaccin ? Même quand ils allaient au Congo, la maladie ne les concernait pas, parce qu’elle se limitait à la forêt. Je pense que c’est l’un des facteurs qui ont fait que les choses n’ont pas bougé. Il y a tout de même des recherches qui étaient faites tout doucement, sans beaucoup d’argent. Je sais qu’il y’aura un bon extraordinaire dans le monde s’agissant des recherches sur comment soigner Ebola, car les gens se disent maintenant « on n’est pas épargné ». Les choses vont bouger et ça va se faire après qu’il y ait cette crise, à mon avis. Vous voyez vous-mêmes qu’il y a énormément de choses qui bougent en ce moment, et qui n’ont pas bougé depuis 30 ans. Il y aura beaucoup de moyens et ils vont trouver quelque chose.

Afrik.com : Maintenant que toute l’Afrique est menacée par Ebola, ne pensez-vous pas qu’il faudrait une synergie des actions des différents Etats pour parvenir à endiguer cette maladie ?

Eva Marie Coll Seck : Bien sûr ! Je devais être présente au Ghana pour une rencontre, mais je n’y suis pas allée, j’ai délégué un de mes techniciens, car il y a beaucoup de travail à faire ici. Aujourd’hui, il faut éviter les rencontres lourdes, qui nécessitent de déplacer tout le monde pour des débats et échanges. Ce qu’il faut, c’est une coordination légère, avec des instructions et des prises de décisions, car l’heure est à l’action. C’est dommage, la CEDEAO s’est réveillée, l’Union africaine aussi, mais il faut simplement se dire « allons ensemble, faisons ceci, menons telle action… ». C’est ce que j’attends comme coordination, et apporter aussi les moyens de faire face à Ebola. On n’a plus besoin des réunions qui s’étalent. Là, il nous faut au moins deux milliards FCFA pour faire face à Ebola, et dans ce budget, nous venons de recevoir une lettre de l’UEMOA qui va nous donner 60 millions FCFA. Ce sont de petites sommes, qui peuvent certes aider, mais qui ne règlent pas le problème. J’espère que ça va aller plus vite et plus loin. Sinon, on risque de voir surtout les pays du Nord venir nous aider encore une fois.

Afrik.com : Le ministre guinéen de la Santé déplorait le manque de solidarité entre les pays de la sous-région dans le gestion de cette crise Ebola…

Eva Marie Coll Seck : Lui, son problème, c’est plus la fermeture des frontières. Je pense qu’il a le droit de s’offusquer, mais je dis toujours que le Sénégal a beaucoup aidé la Guinée. C’est grâce à l’Institut Pasteur de Dakar que les prélèvements faits sur des malades guinéens sont étudiés. Et pendant des mois, cela a été le rôle de cet institut qui est une fondation sénégalaise actuellement présente en Guinée, avec des Sénégalais qui sont sur place. C’est par la suite que d’autres sont arrivés. Mais l’Institut Pasteur était en Guinée bien avant les autres. Et ces Sénégalais de l’Institut Pasteur qui sont là-bas se sont impliqués. D’ailleurs, il y a un d’entre eux qui était infecté par Ebola, et qui, Dieu merci, est guéri. Mais les Sénégalais se sont impliqués dans cette crise qui frappe la Guinée voisine. Les réunions de la CEDEAO, au début de la crise, vers le mois de juin, ont servi pour qu’il y ait cette solidarité. Mais à mon avis, la Guinée a un gros problème; ils se disent pourquoi les gens ferment leurs frontières. Je les comprends, car ils sont en interne et ils doivent se dire « on a besoin d’ouverture ». Et c’est pour cela que nous avons accepté de faire ce corridor. Il faut qu’on se parle plus qu’autre chose, et qu’on comprenne que chaque pays doit d’abord faire son travail en interne, et après parler de ce que les autres vont lui apporter ou pas.

Afrik.com : On reproche au Sénégal de ne pas envoyer de médecin en Guinée, en Sierra Leone ou au Liberia…

Eva Marie Coll Seck : Oui, certains nous reprochent de ne pas envoyer de médecins en Guinée, alors que nous n’avons pas assez de médecins au Sénégal pour penser en envoyer en Guinée. D’autres nous disent de recruter des chômeurs, mais je leur dis qu’il faut des moyens pour en recruter. Si la communauté internationale met des moyens et demande, suite à une formation bien adaptée, à des médecins sénégalais de s’engager comme dans l’armée, ils vont le faire. Le Sénégal va s’engager. Mais il faut les moyens, notamment la formation, les primes. On ne voit pas vraiment ce que le Sénégal aurait pu faire de plus pour aide les voisins dans la crise Ebola.

Suivez Afrik.com sur Google News Newsletter