Encore une leçon de démocratie du Ghana à son voisin de l’Est, le Togo


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Le Ghana vient d’ajouter une pierre de plus à l’édifice politique qu’il a déjà construit ces vingt dernières années. Sa démocratie est vivante et marche. Tout n’est pas parfait, mais l’alternance, depuis lors, n’a pas cessé de répondre, tous les quatre ans, au rendez-vous. Ce pays peut se targuer d’être un pôle de stabilité dans la région, avec une société civile active, des instituts de réflexion citoyens, une diaspora dynamique, une armée républicaine, une justice indépendante, des juges bien formés et respectés, une croissance économique soutenue (14% l’an dernier), une vraie classe moyenne. Le Ghana est en passe de devenir un pays émergeant à revenu intermédiaire. A côté, le Togo est à la peine, régi par des lois exclusives, par un système de type monarchique aux raclures totalitaires.

Pourquoi pas chez nous ? Cette question, forcément, va tarauder dans la tête des Togolais à cause de la bonne leçon de démocratie que vient d’appliquer le Ghana. Tous ou presque sont admiratifs, même si certains feignent, du mouvement pacifique des personnes à la tête de l’Etat ghanéen, dans un ordre impeccable, enviable. En regardant leurs voisins de l’ouest, les Togolais ont de quoi s’apitoyer sur l’état de leur démocratie, si c’en est une. Là où, au Togo, les machines électorales sont délibérément mises en panne, au nez et à la barbe des observateurs, les officiels ghanéens, sans calculs et dans le souci d’éloigner le venin de la suspicion qui détruit la confiance, n’ont pas eu peur d’innover en introduisant – une première en Afrique – des machines biométriques d’authentification, un bon moyen d’empêcher le bourrage des urnes, les votes multiples et le vote des morts.

Ces machines, bien qu’ayant, dans certaines localités, connu de petits ennuis techniques et joué de mauvais tour à la commission électorale présidée par Dr. Kwadwo Afari-Gyan, sont le témoignage d’une avancée significative du Ghana sur le chemin de la démocratie. Du processus, J.J. Rawlings dira que « l’esprit et la détermination républicains » de ses concitoyens « sont admirables ». Même son de cloche chez John Kufuor, le prédécesseur de John Atta-Mills, qui s’est montré fier de son pays : « la démocratie ghanéenne se consolide jour après jour et je n’accepterai jamais que des interférences négatives viennent l’envenimer ».

Il n’ y a l’ombre d’aucun doute qu’au Ghana, il existe en bonne et due forme, un cadre électoral consensuel fondé sur des bases claires qui inspirent confiance. « The Electoral commission of Ghana » n’a rien de semblable à la broyeuse électorale qui berne, depuis des années, la terre togolaise et ses habitants. Les hommes qui sont à la tête de l’institution ghanéenne, malgré quelques poches isolées de contestation, ont la côte dans le public. Pour ce qu’ils sont, mus par le sens aigu de l’intérêt général et l’esprit de responsabilité devant la nation et devant l’histoire. La pierre angulaire de cette belle expérience démocratique qui a lieu au Ghana, tant à la succession de John Atta-Mills qu’à travers les élections du 7 décembre, doit sa solidité à un paramètre fondamental : l’unanimité presque parfaite autour de la constitution du pays et, ensuite, la crédibilité des organes de régulation du processus électoral qui en sont issus.

Ce sera faire preuve d’une foi totalement corrompue que de tenir des propos similaires au sujet du Togo, un pays où la majorité de ses enfants ne voient, d’un pôle à l’autre, que des dirigeants abusifs et des citoyens opprimés, et rien au milieu. Un pays qui couve et se nourrit de ses incertitudes, de sorte que parfois, le président, conscient de son impopularité, est obligé de faire semblant de mourir, pour tenter de grignoter un petit capital de sympathie. Quels résultats satisfaisants pour le public général peut obtenir un tel pouvoir lorsqu’il veut, impavide, organiser des législatives sans chercher à résoudre en priorité les points de litige pendants. Au Ghana, les lois fonctionnent pour le peuple. On pourrait dire qu’au Togo, elles sont en rébellion ouverte contre le peuple. D’où, à titre d’exemple, cette assemblée nationale automate et fantôme qui vient (ouf !) de finir son mandat, après une législature à la fois creuse et angoissante. Comme si cela ne suffisait pas, le président qui avait promis, en 2010, le modèle ghanéen, non content de s’être goinfré des pouvoirs exécutif et judiciaire dont il abuse avec inouïe maladresse, veut en plus engloutir le prochain législatif pour donner libre cours à son autocratie déprimante. Abordez avec les Ghanéens le psychodrame que vivent leurs cousins du Togo, et ils vous le diront : « Le pays des Gnassingbé est une monarchie aux raclures totalitaires dont ne peut filtrer rien de ragoûtant »

Les réformes devant déboucher sur un système électoral incontestable se font toujours attendre, jamais mises en œuvre ou rafistolées dans les angles pour seoir à la triche. On est à une bonne distance derrière l’exemple de chez les Kufuor, au regard de notre CENI, arbitrairement truffée de pique-assiettes et de personnalités proches de la mouvance RPT/UNIR/UFC. On a vu venir le pharaon togolais : avant le coup de force de sa CENI militante, la nomination au ministère de l’administration territoriale du bucolique Gilbert Bawara, un véritable moulin à mensonges, était déjà un signe indiscutable que le chef de l’Etat, ne fait aucun mystère de ses intentions réelles : faire patauger, de plus belle, le Togo dans le clafoutis des mêmes criminels qu’on voit déambuler dans Lomé, vautrés sous leurs lambris de luxe sale. Faure Gnassingbé n’a pas peur parce que l’opposition et l’opinion publique ne lui font pas peur ! Et pourtant, s’il croit avoir été vraiment élu en 2010, il devrait aussi savoir qu’il ne l’a pas été pour se placer au-dessus du peuple. C’est, au bas mot, une haute trahison ! De quoi débouter les neuneus qui avaient cru que l’arrivée de ce rigolo venu glisser ses desseins méchants dans notre démocratie déjà balbutiante au temps de son père, allait permettre à la nation altérée de mettre de l’ordre dans ses tissues et d’entamer sa propre régénération. Peine perdue !

Le fossé, des deux côtés de la frontière, est profond et large. Tellement que toute tentative de comparaison entre le Ghana et le Togo devient un exercice compliqué. Le premier, contrairement au second qui en manque cruellement, possède des forces morales, tels les sages du pays, le roi des Ashantis, les chefs communautaires, les leaders religieux, les anciens chefs d’Etat … des personnalités de bonne réputation qui sont, pour la jeunesse et la société entière, de vrais repères. Leurs opinions comptent et sont prises en considération. La culture de la justice pour tous, « the law is the law » commence à prendre place dans les pratiques au Ghana. Là-bas, aucun individu, quel que soit son rang, aucun groupe d’individus ne peut organiser une campagne de lever de fonds au profit d’un parti qui n’a pas fini de satisfaire les conditions de son existence légale et dont, en plus, la dénomination chevauche avec celle d’un parti déjà existant. UNIR, le nouveau parti du chef de l’état n’a toujours pas tenu son congrès constitutif mais ses affiches géantes sont installées partout dans le pays et ses militantes lèvent des fonds. Ça conduit, à Accra, tout droit devant le juge. S’il arrive que les auteurs tombent sous le coup de la justice pour escroquerie ou financement de mouvement politique illégal, ils sont interdits d’exercer et renvoyés à la procédure réglementaire en vigueur, mais jamais autorisés à faire campagne, comme cela a été vu ces derniers temps au Togo avec la Convention des Femmes pour UNIR (CFU), sur les plateaux de la télévision nationale. C’est ce à quoi ressemble une démocratie.

Les Togolais se battent pour avoir leur démocratie. Il est naturel que des périodes de confusions la précèdent, que les erreurs de parcours la retardent. Mais ce qui est inacceptable, c’est quand le parti gouvernant, sans cesse, développe des subterfuges pour empêcher son avènement. John Dramani Mahama, sous les couleurs du NDC, vient d’être réélus à la tête du Ghana pour un second et dernier mandat de quatre ans. Sans avoir eu besoin, comme c’est le cas chaque fois au Togo, des spectacles obscènes de miliciens armés en pleine capitale, sans intrusion de militaires courant dans la brouissaille, des sacs de bulletins de vote dérobés en bandoulière, sans mort d’hommes. Ainsi va un pays quand ses institutions fonctionnent, quand tous les citoyens, gouvernants et gouvernés, se sentent en sécurité sous une Loi qui les protège, quand tous, logés à la même enseigne vis-à-vis du Droit, n’ont rien à craindre pour leur avenir.

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Kodjo Epou est journaliste et chroniqueur pour différents médias, spécialisé sur l'Afrique et/où d'investigation. Il est aussi spécialiste de Relations Publiques
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