Discrimination des femmes en Côte d’Ivoire


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L’Etat de Côte d’Ivoire a ratifié, depuis 1995, l’ensemble des dispositions et conventions internationales relatives à l’élimination des discriminations à l’égard des femmes. Deux décennies plus tard, le constat est peu reluisant : les conditions de vie de la femme ivoirienne ne se sont guère améliorées. Bien au contraire, elles se sont dégradées. Selon un rapport de la Banque mondiale de 2013, 75% des Ivoiriennes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Comment expliquer cette situation déplorable ?

Plusieurs facteurs (culturel, politique et socio-économique) expliquent les inégalités. Très souvent, le facteur culturel est mis en avant comme cause principale des discriminations et des inégalités dont sont victimes les femmes ivoiriennes. En effet, la nature précaire et informelle du travail des femmes s’explique par le système patriarcal véhiculant une division sexuelle du travail reposant sur deux principes : le principe de séparation et le principe de hiérarchie. Le premier assigne prioritairement les hommes à la sphère productive et les femmes à la sphère reproductive. Selon le second, un travail d’homme vaut plus qu’un travail de femme. Par conséquent, on comprend mieux pourquoi malgré l’existence d’opportunités d’emplois, les femmes s’en trouvent exclues ou réduites à des emplois précaires ou marginaux. Pire, dans l’éducation des enfants, ce sont ces mêmes femmes victimes qui transmettent à leurs progénitures cette culture de la division sexuelle du travail et la domination des garçons par rapport aux filles, entretenant le système de discrimination. Un véritable cercle vicieux.

Cette subordination de la femme est aussi le résultat d’autres facteurs. Ainsi, sur le plan politique, la Côte d’Ivoire manque d’une véritable volonté politique pour donner à la femme le statut « d’égal de l’homme ». A ce jour, on note dans le gouvernement 9 femmes sur les 35 ministres, seulement 6 députés femmes sur les 252 qui siègent à l’Assemblée nationale. Ce nombre insignifiant d’élues révèle l’absence de voix féminines pour défendre les droits des femmes ivoiriennes et lutter contre les discriminations et les abus dont elles souffrent, ce qui entretient la subordination de la femme ivoirienne.

La femme de ce fait devient « chef de famille »

A cela, il faudrait ajouter l’absence de véritables lois organiques avec force d’application. Et quand bien même, il y des propositions de lois, allant dans ce sens, elle ont du mal à être appliquées. En 2012, le parlement ivoirien a voté une série de lois sur le mariage visant à réduire les inégalités dans le couple. Ces lois autorisent la femme mariée ivoirienne à bénéficier d’une réduction d’impôts sur le revenu et à être associée à toutes les décisions prises dans la gestion du foyer. La femme de ce fait devient « chef de famille » au même titre que l’homme. Mais grande fut la surprise du gouvernement ivoirien quand plusieurs voix, notamment celles de certains guides religieux et chefs coutumiers, se sont levées pour dénoncer et rejeter la décision. Les arguments évoqués étaient qu’en Afrique, aucune tradition n’accepterait que la femme soit l’égal de l’homme, surtout pas dans la gestion du foyer. Ainsi, comme nous le constatons, l’inégalité entre l’homme et la femme se répand aussi par l’incompatibilité entre le droit positif et le droit coutumier. La non prise en compte de ce dualisme explique souvent le rejet populaire de certaines lois qui restent lettres mortes.

Sur le plan socio-économique, les femmes ivoiriennes ne bénéficient encore pas d’un traitement égal quant à l’accès à l’éducation. Plusieurs jeunes filles ivoiriennes quittent malheureusement l’école très tôt pour le mariage. Une étude de l’Unesco montre que 71% des analphabètes en Côte d’Ivoire sont des femmes, ce qui les handicape dans leur accès aux opportunités d’emplois. Par ailleurs, les stéréotypes sexistes issus du patriarcat les confinent dans des filières dites féminines peu qualifiantes et peu rémunérées. La majeure partie de ces femmes analphabètes vivent en milieu rural. Elles disposent de peu de terre. En effet, les traditions de certains peuples ivoiriens, notamment chez les Dan dans l’ouest ivoirien, ne permettent pas aux femmes d’hériter et d’avoir droit à une propriété foncière. Une seule femme à ce jour, dans toute l’histoire de la Côte d’Ivoire, fut désignée chef de terre. Il s’agit de dame Zou Agnès du village de Glégouiné, dans la sous-préfecture de Bogouiné.

Prédominance de l’homme sur la femme accentuée

De plus, les femmes ivoiriennes rencontrent de nombreuses difficultés dans le commerce et dans l’entrepreneuriat. A peine 15% des entreprises ivoiriennes sont dirigées par des femmes selon la Confédération Générale des Entreprises de Côte d’Ivoire. Les Ivoiriennes sont confrontées à des problèmes inhérents à leur condition de femme, au difficile accès au financement et à un manque de crédibilité.

Enfin, à diplôme égal, les femmes ivoiriennes ne perçoivent toujours pas les mêmes rémunérations que leurs collègues hommes. L’inégalité salariale entre homme et femme demeure très importante. Selon une étude de l’observatoire mondial des inégalités, au niveau mondial, les femmes gagneraient en moyenne un salaire inférieur de 25% à celui des hommes. En Côte d’Ivoire, le revenu moyen de la femme ivoirienne est de 59% inférieur à celui de l’homme. Bien évidemment, cette situation accentue la prédominance de l’homme sur la femme. Ainsi, nous constatons que la subordination de la femme ivoirienne à l’égard de l’homme s’est institutionnalisée du fait de son exclusion de la sphère politique, du déni de ses droits à la propriété et à l’éducation, ainsi que sa non protection par le gouvernement contre les abus.

Bref, si la discrimination de la femme ivoirienne n’est pas traitée, cela risque de nourrir le cercle vicieux de la pauvreté intergénérationnelle dans le sens où les femmes discriminées et pauvres enfanteront et élèveront des nouvelles générations de pauvres qui reproduiront.

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