Detroit : l’histoire d’une chute


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Scott Fitzgerald a pu écrire « j’ai pensé un jour qu’il n’y avait pas de deuxième acte dans les vies américaines, mais qu’il y devait certainement y avoir un deuxième acte aux jours heureux de New York ». Heureusement qu’il ne parlait pas de Detroit.

La faillite de Detroit, la plus importante dans son genre aux USA, constitue une leçon pour le monde entier. Quiconque pense que les décideurs publics peuvent micro-manager un système aussi complexe que l’économie urbaine doit étudier de près l’histoire de Detroit. Cette ville américaine anciennement prospère cherche aujourd’hui à se protéger de ses créanciers. Sa dette cumulée s’élève à 20 milliards de dollars et le système de retraite de ses employés accuse un déficit de 3,5 milliards de dollars. Voilà qui permet de chiffrer la capacité de l’homme à planifier l’ordre économique et social, qui ne peut en réalité prospérer que s’il lui est permis de se développer spontanément dans un contexte de droits de la personne et de la propriété sécurisés.

Quicken Loans devenu le fer de lance

Plus précisément, tant que les politiciens de la ville ne traiteront pas ses humbles entrepreneurs avec le même respect qu’ils témoignent aux grands investisseurs, le « deuxième acte » de Motown se fera attendre. Beaucoup espèrent que la faillite donnera à Detroit une deuxième chance. Mais cela restera un vœu pieux si Detroit ne fait pas machine arrière sur sa stratégie économique périmée. Ses problèmes ne viennent pas de la mondialisation et du libre-échange, ou du « manque d’État ». Au contraire, Detroit souffre de « trop d’État », en quelque sorte, et de la conviction que les politiciens sont capables de gérer la vie économique mieux que les gens ne le peuvent par l’entrepreneuriat et l’échange volontaire.

Ces deux dernières décennies, chaque maire a tenté de relancer Detroit en ranimant son centre-ville en ruine. Dans les années 1990, Dennis Archer faisait construire des stades et des casinos. Son successeur, Kwame Kilpatrick (aujourd’hui en prison pour extorsion de fonds fédéraux et pour racket) a pour sa part organisé des événements gigantesques. Le maire actuel, Dave Bing, s’est retrouvé bien trop enlisé dans le bourbier financier de Detroit pour proposer quoi que ce soit de grandiose. Mais un groupe de riches investisseurs dirigé par Dan Gilbert, propriétaire de Quicken Loans, est devenu le fer de lance d’un effort massif pour attirer entreprises, hôtels et résidences dans la ville.

Des « pousses » comme du gazon synthétique

Gilbert a injecté près de 1 milliard de dollars pour déménager son siège à Detroit et récupérer de l’immobilier pour des magasins, des hôtels et des immeubles d’habitation. Whole Foods, une chaîne de supermarchés nationale, lui a récemment emboîté le pas, tout comme Moosejaw, un détaillant de vêtements de plein air.

Mais ces entreprises ont été en réalité attirées par les énormes subventions publiques. Le partenaire local de Whole Foods a reçu 5,8 millions de dollars en subventions de l’état et en subventions locales ainsi que des crédits d’impôt non négligeables. Pourtant, l’éditorialiste Business de Forbes déclarait il y a deux ans que grâce à Gilbert, des pousses vertes commençaient à germer à Detroit. Depuis lors, cependant, les choses n’ont fait qu’empirer, alors que toujours davantage d’habitants quittent la ville et que les services municipaux se sont détériorés. Pourquoi ? Parce que ces « pousses » s’apparentaient à du gazon synthétique, et n’étaient pas une réaction spontanée à un besoin réel. Pire encore, elles constituaient un transfert de richesse des contribuables ordinaires vers les riches qui fréquentent ces magasins haut de gamme.

Fermer les 1500 entreprises « illégales » de Detroit

En effet, alors même que Forbes faisait l’éloge de ces pousses vertes artificielles de Detroit, les réglementations de la ville étouffaient les « vraies pousses » comme Pink Flamingo, un vendeur de nourriture latino-fusion, répondant à une demande réelle du marché. Ces règlementations interdisaient aux vendeurs ambulants de vendre des plats chauds à l’exception des hot-dogs (mais sans la choucroute) et encore seulement dans 16 endroits approuvés. Pink Flamingo a bâti un business en or en ignorant ces règles – jusqu’à ce que la ville le fasse fermer. Le scandale a contraint la ville à ensuite réformer ses réglementations. Même aujourd’hui, cependant, les camions de vente à emporter doivent maintenir une distance de 150 mètres des restaurants et fermer avant 11h du soir. Mais cette année, Bing a fait du harcèlement du type PinkFlamInGo sa politique officielle en lançant l’Opération Conformité.

Le programme vise à stopper la dégradation de la ville en fermant les 1500 entreprises « illégales » de Detroit (des magasins de pneus dans des arrière-cours, des magasins d’appareils d’occasion situés dans des entrepôts abandonnés) si elles ne parviennent pas à se conformer aux règlements de la ville. Mais se soucier de ce type de dégradation dans une ville retournant à l’état sauvage à grande vitesse est pure folie.
En outre, comme l’a rappelé Henry Louis Taylor, professeur en études urbaines, à Black Detroit, un magazine local, ces établissements pourraient constituer seulement environ 10% des entreprises de la ville, mais ils servent environ 70% des résidents.

Un maire qui ne peut pas collecter les ordures…

Quelques-uns pourraient effectivement poser de réels problèmes de santé publique. Mais la grande majorité sont poursuivis pour violations techniques comme l’absence d’autorisations de zonage spécifique ou de licence, ou pour des retards d’impôts. Ainsi, un maire qui explique qu’il n’a pas les moyens de fournir des lampadaires à la moitié de la ville ou d’organiser la collecte des ordures en temps opportun, ou encore de stopper la flambée du taux d’assassinats dans Detroit a néanmoins assez d’inspecteurs à envoyer ennuyer les résidents pauvres qui essaient de gagner leur vie.
« Ils sont tous préoccupés par ce qui se passe à l’avant de nos magasins », fulmine un propriétaire d’entreprise qui a trouvé des rats de la taille de chiots dans sa ruelle. « Mais la ville a besoin, pour maintenir son business, de tenir les voies publiques sûres et propres ».

Une ville qui arrose de subventions les entreprises bien connectées politiquement tout en étouffant les entrepreneurs individuels et en ignorant les services municipaux, écrit sa nécrologie, certainement pas son deuxième acte.

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