Déclaration de patrimoine au Bénin : arrêtons les slogans !


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Comme dans de nombreux pays, les dirigeants politiques du Bénin sont censés déclarer leur patrimoine lors de leur prise de fonction et à la fin. Cette règle est pourtant bien peu suivie.

Dans son article, AHOUANGANSI Mauriac, dénonce la fuite des dirigeants béninois qui mettent une mauvaise volonté manifeste à la déclaration de leur patrimoine malgré les exigences constitutionnelles… Et ceux qui le font peuvent facilement tricher car il n’existe aucun mécanisme de contrôle des sommes déclarées. L’auteur propose alors un cadre crédible et sérieux de contrôle du patrimoine des dirigeants et incite aussi les médias et la société civile à accentuer leur contrôle pour ainsi réduire les risques de corruption.

La lutte contre la corruption passe par le suivi et la traçabilité des patrimoines des dirigeants. Cette prescription est d’ailleurs actée dans l’article 52 de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 aux termes duquel : « …Ils sont tenus, lors de leur entrée en fonction et à la fin de celle-ci de faire sur l’honneur une déclaration écrite de tous leurs biens et patrimoine adressée à la chambre des Comptes de la Cour Suprême.…». Mais cette noble prescription souffre d’une chronique inobservation. Comment y remédier ?

Les différents gouvernements qui se sont succédés depuis dix ans ont connu leurs lots de désertion. Certains responsables ont attendu le milieu de leur mandat pour déclarer leurs patrimoines, d’autres ont négligé de le faire en fin de mandat alors que d’autres n’ont fait qu’une déclaration en fin de mandat ce qui est totalement ahurissant. D’autres s’abstiennent simplement de s’y conformer.

D’aucuns rétorqueront que les choses commencent à changer puisque la Cour constitutionnelle a récemment épinglé onze ministres de l’ancien président Boni Yayi pour violation de la Constitution. Leur faute : ils n’ont pas déclaré leur patrimoine. Cependant, pour que cela ne ressemble pas à un règlement de compte, il faudrait épingler tout le monde. D’autant que, selon le dernier rapport de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption (ANCL), à cette date, le président Patrice Talon n’a toujours pas déclaré son patrimoine et sur le 21 ministres, seuls quatre l’ont fait. Les dirigeants aspirant à la réforme, pour être crédibles, devraient commencer par donner le bon exemple.

Si les politiques rechignent à faire preuve de bonne volonté, il faudrait qu’il existe des règles qui les incitent à respecter les dispositions constitutionnelles. Malheureusement, la déclaration du patrimoine qui devrait être un point d’honneur, reste épistolaire et une simple formalité. Des colonnes et rubriques de feuillets à remplir, une signature qui fait foi et un simple dépôt au secrétariat de la Chambre des comptes de la Cour Suprême. Aucune enquête n’est réalisée pour vérifier les informations fournies. Pis, les déclarations de patrimoine ne sont pas rendues publiques. L’absence de cette transparence rend le contrôle et le suivi compliqués pour les citoyens.

Et quand bien même certaines affaires sont portées à la connaissance de la Cour Constitutionnelle ou la Cour Suprême, celles-ci n’ont pas véritablement les moyens de contraindre le Chef de l’Etat et ses ministres à respecter scrupuleusement l’article 52 de la loi fondamentale. Cela encourage malheureusement l’impunité laquelle affaiblit fatalement l’état de droit et encourage la corruption. En effet, quand une autorité ne déclare pas son patrimoine à son entrée en fonction, à sa sortie une certaine fraction des ressources du pays est susceptible de devenir son patrimoine.

Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il sera plausible de subordonner l’entrée en fonction des autorités à la présentation officielle (solennelle) et publique (médias) de l’attestation de dépôt de la déclaration de patrimoine. Cette attestation doit être délivrée par l’Autorité Nationale de Lutte contre la Corruption (ANLC) après avis cumulés (avis liés) de la Chambre des comptes et d’une Commission parlementaire ad hoc. Cette démarche permettrait une certaine transparence du fait de la consultation simultanée du politique (députés de la mouvance et ceux de l’opposition), du juridique (Chambre des Comptes) et du technique (ANLC). Il est indispensable de confier à l’ANLC la responsabilité de la déclaration du patrimoine ; de renforcer son indépendance et de veiller à sa souveraineté dans la prise de décisions. Bref, la doter de moyens juridiques coercitifs et d’un budget conséquent. Le premier responsable de l’ANLC ne doit pas être issu de la classe politique et ne doit pas être désigné par le Président de la République. Cette institution se chargerait du contrôle a priori et a posteriori (ensemble avec la Chambre des comptes et la Commission parlementaire ad hoc, organiser des visites d’inspection des patrimoines déclarés, si possible commettre des experts) après réception des déclarations. Cela permettrait d’établir un inventaire comparatif et authentifié du patrimoine déclaré en début et en fin de fonction.

Par ailleurs, dans la loi 2011-20 du 12 octobre 2011, portant lutte contre la corruption et les autres infractions connexes en République du Bénin, il faut réduire, dans un premier temps, la liste des assujettis à la déclaration en la limitant aux personnalités politiques et hauts fonctionnaires les plus stratégiques pour que le contrôle soit plus efficace. Une fois, le système maîtrisé et rodé, il pourrait être élargi graduellement. En fait, en l’état, l’application de cette loi revient à contrôler tout le monde au même moment. Ce qui est impossible.

Quant aux médias, ils doivent intensifier la dénonciation du non-respect des dispositions légales, notamment celles de la déclaration du patrimoine et de la lutte contre la corruption en générale. La dénonciation des scandales et des abus, loin des règlements de comptes, est indispensable pour établir la culture de la transparence. La société civile est appelée à faire sienne les études et rapports de l’ANLC et à agir en conséquence.

Mais au-delà, médias et société civile sont appelés à user de tous les moyens démocratiques de pression et à rester vigilants pour que le pillage des biens publics par les dirigeants au pouvoir ne soit plus un moyen d’existence. Car, comme nous avertit Frédéric Bastiat : « Quand le pillage devient un moyen d’existence pour un groupe d’hommes qui vit au sein de la société, ce groupe finit par créer pour lui-même tout un système juridique qui autorise le pillage et un code moral qui le glorifie. »

AHOUANGANSI Mauriac, étudiant-chercheur.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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