Débat autour d’un éventuel retour de la peine de mort au Sénégal


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Le débat sur le retour éventuel de la peine de mort au Sénégal continue de faire son chemin du fait de la recrudescence de la violence et surtout des meurtres crapuleux. Ces homicides poussent beaucoup de citoyens sénégalais à prôner le retour de la peine capitale dans le code pénal. Pourtant, le président Wade, en 2004 avait fait voter une loi sur l’abolition de la peine de mort au Sénégal.

Le Président de la République M. Macky Sall, qui était Premier Ministre à l’époque avait cosigné la loi n° 2004-38 du 28 décembre 2004, portant abolition de la peine capitale dont l’exposé des motifs dit clairement : «Le Sénégal est reconnu dans le monde entier comme une terre de paix et de tolérance. Le sens du pardon y est une vertu essentielle. C’est ainsi que la peine de mort, sanction suprême, est abolie de facto depuis plusieurs décennies». Le rétablissement de la peine de mort permettra-t-il vraiment de réduire la criminalité au Sénégal?

La loi du talion

Rappelons d’abord que l’origine de la peine de mort, telle que l’appliquent actuellement certains États, est certainement la vengeance, la vengeance sans mesure ou la vengeance réglée par une sorte de justice sommaire, c’est-à-dire la loi du talion : « Dent pour dent, œil pour œil, tête pour tête ». La peine de mort s’inscrirait uniquement dans une logique de supplice et de vengeance or, la justice sénégalaise ne doit pas être une justice qui tue sous risque également d’erreurs judiciaires exposant des innocents à l’exécution. La justice humaine est toujours faillible. La peine de mort de part son caractère irréversible pose problème du point de vue libéral. En ce sens, condamner à mort revient à se réclamer de la justice divine à un double titre: prendre la place de Dieu pour décider de la culpabilité absolue et non-relative du criminel et faire appel à Dieu pour corriger un mauvais jugement éventuel.

Levée de boucliers générale

Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que le châtiment soit de même nature que le crime (les violeurs ne sont pas condamnés à être violés, les tortionnaires à être torturés, etc). Il est contradictoire de punir un crime par un crime. Dans l’histoire du Sénégal indépendant, la peine de mort n’a été appliquée qu’à deux reprises : une première fois, le 11-04-1967, sur la personne d’Abdou Ndaffa Faye qui, le 03-02 de la même année, avait tué le député Demba Diop ; une deuxième et dernière fois, le 15-06-1967, sur Moustapha Lô qui, le 22-03 de cette même année, avait tenté d’assassiner le président de la République d’alors, M. Léopold Sédar Senghor. Ces exécutions avaient créé un tollé de plus d’un. Pas plus loin, l’arrestation de Mbayang Diop, qui aurait tué son employeur en Arabie Saoudite où elle risque d’être décapitée, avait provoqué elle aussi une série de réactions indignées qui ont poussé le ministre des Affaires étrangères saoudien à venir à Dakar rencontrer le Président Sall à cet effet. Certains ont initié une pétition pour essayer de la sortir des geôles saoudiennes. En 2012, on a frôlé de justesse une crise diplomatique avec la Gambie après l’exécution de Tabara Seydi à Banjul pour meurtre…

Un jugement responsable avant tout

Aujourd’hui, la plupart de ceux qui réclament le rétablissement de la peine de mort ont enseveli comme, on met sous terre un mort, leurs convictions d’hier en mettant en relief la sacralité de la vie humaine. Dans le cas du Sénégal, la peine de mort serait une pratique totalitaire dans une société démocratique qui n’applique pas bien sûr la Charia. Si on décidait d’appliquer la loi islamique, on déciderait de renoncer à notre laïcité et ses composantes socio-juridiques. Rétablir la peine de mort ne ferait donc, aujourd’hui, que consacrer une régression de notre pays dans le domaine des droits et des libertés.

En outre, la sanction, proportionnellement au crime commis suppose la responsabilité proportionnelle aussi. Est-ce que quelqu’un qui tue d’autres personnes est à 100% responsable si l’on tient compte des facteurs psychologues, sociaux, économiques, culturels. La responsabilité de l’Etat, de la société est aussi engagée même à un degré moindre. En effet, quand un individu se venge isolément, il peut considérer son adversaire comme responsable, mais la société, prise dans son ensemble, doit comprendre le lien de solidarité qui la rattache à tous ses membres, vertueux ou criminels, et reconnaître que dans chaque crime elle a aussi sa part. A-t-elle pris soin de l’enfance du criminel ? Lui a-t-elle donné une éducation complète ? Lui a-t-elle facilité les chemins de la vie ? A-t-elle veillé à ce qu’il ait bien toutes les chances de rester honnête ou de le redevenir après une première chute. Et si elle ne l’a pas fait, le criminel ne peut-il pas la taxer d’injustice ? Parce que la différence entre être acteur d’un acte et en être responsable devrait être reconnue par le Droit qui devrait logiquement exclure une sanction aussi radicale et inconditionnelle.

Un possible instrument de vengeance !

L’autre crainte est que peine de mort pourrait être un moyen pour les gouvernements répressifs d’éliminer des opposants, des activistes, des minorités qui dérangent. Elle serait alors un instrument de pouvoir destiné à terroriser plutôt qu’à rendre justice. Cette justice sommaire nourrirait ainsi la haine et la vengeance. En monopolisant le pouvoir de coercition, il n’y a pas de garantie que l’Etat détourne la peine de mort pour l’élargir à l’apostasie, à l’homosexualité, à l’opposition politique, etc. Autant de situations qui n’ont rien à voir avec l’intention initiale. L’expérience dans plusieurs pays dans le monde a finalement prouvé que la peine de mort n’était pas la réponse la plus pertinente pour juguler la criminalité.

En somme, il s’agit, pour la société, non pas de se débarrasser de ses membres qui, à un moment déterminé de leur vie, se sont écartés de ses rangs, mais de les récupérer et de tenter de les réintégrer. Tout le contraire de la peine capitale qui enferme le criminel dans son crime et ne distingue pas la personne de son acte et donc l’asservit à son passé d’une manière définitive par le fait qu’elle est absolue, incorrigible et ne lui laisse aucune chance de se choisir non-criminel.

Ibrahima Fall, étudiant-chercheur, Université Cheick Anta Diop, Sénégal

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