Croissance et corruption sont-elles compatibles ?


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arton35859

Il n’est pas hasardeux de trouver des arguments qui soutiennent que les effets de la corruption diffèrent selon que l’on se trouve à tel ou tel autre coin de la planète. Cet argument poussé à l’extrême a donné naissance au fameux « paradoxe asiatique » : en simplifiant, il signifierait une compatibilité entre croissance et corruption. Ce paradoxe est-il vrai ?

Pour y répondre, examinions le cas d’un pays très souvent mis en avant : la Chine. D’abord, il est vrai et argumenté que les effets de la corruption tiennent compte de spécificités locales. C’est dans ce cadre là d’ailleurs que certains ont mis en exergue le fameux problème de la corruption comme moyen « d’huiler la machine », freinée par une bureaucratie inutile, lente ou trop encombrante. Le raisonnement part du constat selon lequel la corruption serait un symptôme des défaillances institutionnelles. Par ailleurs, la corruption présente des effets différents selon qu’elle est décentralisée (où tout le monde peut prélever des pots-de-vin sans coordination aucune) ou centralisée.

Le cas chinois est intéressant à plus d’un titre. Aujourd’hui, on dispose de plus en plus d’études pour nous permettre de tenter de formuler un avis à ce sujet.
Considérons les résultats des études de Bin Dong et Benno Torgler d’une part et ceux de Abe et Wilson d’autre part. Les deux premiers auteurs, dans leur étude sur les causes de la corruption en Chine, constatent notamment, à partir des données régionales (provinces et villes), que dans les régions où les efforts de lutte contre la corruption sont présents, on trouve une plus grande ouverture d’esprit, davantage de moyens de contrôle ou de surveillance de la part des citoyens (notamment l’accès aux médias) et des salaires relativement élevés (un salaire élevé étant une incitation positive pouvant réduire la tentation à la corruption), sont nettement moins corrompues que celles où il y a davantage de réglementation, d’abondance des ressources (naturelles ou financières) et des entreprises étatiques.

Abe et Wilson constatent de leur côté, à partir d’un modèle d’équilibre général calculable, un gain potentiel énorme du commerce et du bien-être pour les membres de l’Asie-Pacifique dans le cadre d’une coopération économique, avec en toile de fond une amélioration de la transparence, mais aussi la réduction de la corruption. En effet, leurs résultats suggèrent que le commerce dans la région augmenterait de 11 pour cent et le bien-être général de l’équivalent de 406 milliards de dollars, si on renforçait la transparence dans la région. Les pays comme le Vietnam, la Thaïlande, la Russie et les Philippines pourraient voir augmenter d’environ 20 pour cent leur PIB. Les avantages pour la Malaisie et la Chine ne sont pas non plus insignifiants.

Dans une étude consacrée uniquement à la Chine, Bin Dong et Benno Torgler trouvent que la corruption augmente considérablement l’inégalité des revenus et réduit fortement les recettes fiscales. En regardant les choses d’un point de vue des dépenses, nous observons que la corruption diminue de manière significative les dépenses de l’État en matière d’éducation, de R&D et de santé publique en Chine. En outre, la corruption régionale réduit de manière significative l’investissement direct étranger dans les régions chinoises. Enfin, ces auteurs notent que la corruption aggrave sensiblement la pollution.

Que faut-il conclure ? Au regard de résultats des études évoquées ici, il est clair qu’en situation de faible corruption, la Chine aurait pu réaliser beaucoup plus qu’elle ne réalise maintenant. Et les économistes de manière générale reconnaissent qu’il est de plus en plus difficile de soutenir l’idée d’une corruption « bénéfique » qui huilerait les rouages économiques.

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