Corruption au Nigeria : complicité des entreprises


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Selon les experts des finances publiques, les recettes perçues par le gouvernement fédéral nigérian, de 1999 à 2014, ont atteint 690 milliards de dollars. On se demande alors pourquoi le développement du Nigeria stagne ? Comment la croissance économique peut-elle chuter ainsi que les réserves de change alors que la dette augmente après avoir recueilli en moyenne 9,2 milliards naira de revenus chaque année depuis 15 ans ? La cause est indiscutablement le poison de la corruption. On estime en effet que 400 milliards dollars des revenus pétroliers du Nigeria ont été volés ou mal dépensés depuis l’indépendance en 1960.

Le ministre de l’Information au Nigeria a récemment révélé que 55 personnes -ministres du gouvernement, gouverneurs d’Etat, fonctionnaires, banquiers et hommes d’affaires- ont volé 6,8 milliards de dollars (1,34 milliard de naira) de fonds publics au Nigeria, entre 2006 et 2013. Pourquoi la corruption et le vol sont-ils omniprésents au Nigeria ? Pourquoi un tel comportement dans la fonction publique ? La corruption a atteint un tel niveau qu’elle peut être considérée comme culturelle. Une culture bien rodée qui organise à tous les niveaux une totale impunité, notamment dans la sphère politique. Le cycle de la corruption commence par la cupidité de la part de ceux qui ont accès aux recettes publiques pour s’étendre ensuite au niveau des fonctionnaires, des ministres, des législateurs, et des gouverneurs. Cette chaîne infernale est huilée par des facilitateurs : banques, entrepreneurs, entreprises de construction et diverses multinationales. Il ne faut pas oublier ces facilitateurs qui sont rarement pointés du doigt alors qu’ils jouent un rôle essentiel.

Le scandale de Halliburton

Le scandale de Halliburton illustre parfaitement la complicité des responsables gouvernementaux et les corporations pour spolier le peuple du Nigeria. Il a fallu une dizaine d’années pour faire la lumière sur cette affaire obscure de 182 millions dollars de pots-de-vin payés par Halliburton, et impliquant plusieurs multinationales et des responsables gouvernementaux nigérians. KBR, filiale de Halliburton, a utilisé un réseau de banques secrètes et de paradis fiscaux pour payer 182 millions dollars de pots-de-vin à des fonctionnaires nigérians en échange d’un contrat clé en main de 6 milliards dollars pour le projet de gaz naturel liquéfié du Nigeria (NLNG) à Bonny. Il a même déclaré avoir déposé un sac d’1 million de dollars pour un fonctionnaire dans un hôtel de luxe d’Abuja.

L’affaire Scam Malabu Oil

L’escroquerie de 1,1 milliard de dollars via la compagnie Malabu Oil and Gas est aussi un excellent exemple de la connivence qui existe entre les entreprises et la classe politique corrompue du Nigeria. Rappelons les faits : en 2011, les géants pétroliers, Shell et ENI, ont payé 1,1 milliard de dollars au gouvernement nigérian pour obtenir le bloc pétrolier OPL 245, dans ce qui semblait être une opération correcte. La somme a été ensuite transférée à une société écran (fictive), Malabu Oil and Gas, créée par l’ancien ministre des Hydrocarbures. Shell et ENI ont affirmé qu’elles ne savaient pas que l’argent serait finalement détourné de cette manière. Toutefois, une fuite des échanges de courriels entre les responsables de Shell et ENI, obtenus et publiés par le journaliste italien Claudio Gatti, a montré que les deux sociétés avaient clairement connaissance de l’opération de détournement.

La culture de la corruption d’entreprise

La corruption au Nigeria revêt certes plusieurs formes mais la corruption politique ne peut pas prospérer sans la complicité du monde des affaires. Quand des fonctionnaires ou des politiciens détournent des milliards de fonds publics, ce sont des hommes en costume et cravate qui les aident à se cacher et à blanchir ces fonds sales. Le schéma est toujours le même : toute trace disparait dès que les fonds quittent les coffres du gouvernement. Des milliards de dollars qui auraient dû être investis dans des projets de développement ont ainsi disparu. Il y a presque toujours une entreprise facilitatrice impliquée, utilisée comme bouclier pour couvrir l’illégalité.

Un rapport publié en 2009 par Transparency International a révélé le montant des pots-de-vin payés par les entreprises aux politiciens et autres agents publics dans les économies en développement : 40 milliards dollars chaque année ! Entre 2006 et 2013, 147 milliards de naira ont été volés par 15 anciens gouverneurs d’Etat, 524 milliards par des banquiers et 7 milliards par quatre anciens ministres.

L e système est tellement bien organisé, grâce à « l’expertise » des entreprises, que les politiciens, à l’abri de toutes représailles, n’ont aucune envie de rompre avec un système qui devient de plus en plus sophistiqué. Selon l’ancien procureur adjoint américain et professeur à l’Université Notre Dame, Jimmy Gurule, « si une banque a des raisons de croire que des fonds sont liés à des activités criminelles, elle doit signaler tous les transferts au sein et hors du compte. Les banques ne devraient pas permettre à leurs clients de blanchir de l’argent sale ».

Dans la lutte contre la corruption, ce monstre à tête d’hydre, le Nigeria ne peut ignorer la culture de connivence résultant du manque d’éthique dans les milieux d’affaires. Sans représailles drastiques à tous les niveaux de la chaîne, toute tentative de lutte se révélera vaine.

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