Cheick Tidiane Seck, l’ovni musical


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De Paris à Calcutta, tout le monde connait Cheick Tidiane Seck. Le Malien à la fois chanteur, guitariste, choriste, pianiste… prend une fois de plus tout le monde de court avec la sortie d’un quatrième opus « Guerrier », qu’il a réalisé entièrement seul. Un artiste au dessus de la mêlée, qui semble tout droit sorti d’une autre planète.

Même lorsqu’il vient de faire votre connaissance, il s’adresse à vous comme si vous étiez son meilleur ami. Le vouvoiement ? Cheick Tidiane Seck ne connait pas. Pour mettre à l’aise ses hôtes, il les tutoie systématiquement. La générosité qui émane du colosse robuste, aux os durs, à la voix grave et mélodieuse, ne passe pas inaperçue.

C’est dans l’une de ses brasseries phares, à Paris, où il vit depuis les années 80, que le rendez-vous est fixé. Il accueille tous ses hôtes avec des poignées de mains chaleureuses, proposant un café, thé. Hospitalité oblige quand on est originaire de l’Afrique de l’ouest.

Sa simplicité déconcerte. Surprend même. Quand on sait que cette grande voix du Mali, respectée, adulée, a travaillé avec les plus grands, parcouru le monde entier, arrangé les albums des artistes d’une multitude d’horizons : Steve Wonder, Salif Keita, Carlos Santana, Hank Jones, Black eyes Peyes, Oxmo Puccino, Youssou Ndour, Oumou Sangaré…. A 59 ans, le natif de Ségou est toujours incapable de citer tous les artistes avec lesquels il a collaboré : « C’est impossible. Il y en a trop. Sinon on n’y passera la journée ».

Cheick Tidiane Seck n’est pas un artiste comme un autre. Intemporel, inclassable, inimitable, il est à la fois chanteur, choriste, guitariste, bassiste, pianiste… C’est à se demander si celui qui mime sans cesse les instruments de musique lors de ses conversations n’est pas né avec le rythme dans la peau. En effet, même ses gestes sont musicaux. Son regard pénétrant est rieur, reflétant l’âme d’un homme paisible, posé, serein.

Guerrier atypique

Un état d’esprit qui se reflète dans son quatrième album, Guerrier. Atypique, il a été enregistré entre Londres, Paris et Bamako. Il y mêle sonorités traditionnelles mandingues et modernes : jazz, groove, soul, blues, pop. Il y parle d’amour, du respect des anciens, tout en dénonçant la corruption en Afrique, rendant hommage au combat de Stéphane Hessel et Myriam Makeba, à laquelle il voue une grande admiration.

Il surprend, lorsqu’il affirme avoir entièrement réaliser seul cet opus. En clair, « tous les instruments de musiques sont joués par moi, du balafon à la calebasse, de la Kora à la guitare, ou encore le piano ». Et les voix féminines en cœur ? « C’est moi ». Les voix graves ? « Toujours moi ». Déroutant. Mais il est bien seul dans cet album, assure-t-il. « J’insiste, toutes les voix dans l’album sont les miennes. Je peux passer des aigus aux graves sans problèmes ! Je suis un musicien qui peut passer d’une simple mélodie folklorique à des harmonies modernes et sophistiquées. Je peux tout faire en musique ! ». Alors pourquoi avoir démarré aussi tard en solo? « Parce que ça n’a jamais été mon ambition d’être sur le devant de la scène », répond-t-il.

L’ouverture d’esprit et la curiosité semble une seconde nature chez celui que l’on surnomme « le grand maître du groove mondial ». Il ne connait en effet pas les frontières : « Je peux travailler avec tous les musiciens et chanteurs du monde ! Cela m’a donné l’occasion de voyager partout dans le monde : à Calcutta, Mexico, Londres, Dakar, New York ». Le Malien d’ethnie peul, issu d’une fratrie de 10 enfants, va même plus loin, affirmant avoir eu « plusieurs vies » dans sa vie. « Et tout ça vaut tout l’or du monde plutôt que d’être identifié à une musique pour un public donné ».

« Caméléon musical »

D’ailleurs il n’hésite pas à narrer ses anecdotes de baroudeur musical, qui a sillonné la planète. Une narration toujours rythmé de rires facilement contagieux, dont lui seul a le secret. Un souvenir avec Steve Wonder l’a particulièrement marqué : « Nous étions côte à côte sur un piano, lui jouant ses classiques et moi jouant mes sonorités mandingues, un moment magique ! »

Un véritable « caméléon musical » donc, capable de s’adapter à n’importe quelle mélodie. « J’ai des prédispositions naturelles, une oreille musicale innée. Les instruments de musique me répondent facilement.» Rien d’extraordinaire, ni d’étonnant pour Cheick Tidiane Seck. « Jouer de tous les instruments ? J’ai toujours su faire ça » Cet album « est mon héritage. Tout mon ADN est là-dedans ». Et « des comme ça, je pourrais en faire 100 d’affilés sans me fatiguer ! J’y révèle toute mon expérience de vie. C’est une passion », assure-t-il. Rien que cela. Il n’a en effet jamais fait de la musique « pour la gloire, la célébrité et pis encore être cantonné et enfermé dans un style donné ».

Les femmes. Ce sont elles qui l’inspirent et ont fait de lui ce qu’il est devenu aujourd’hui. « Elles m’ont tout donné ». Surtout celles qui l’ont chéri et donné sa « tétée culturelle ». « Ma tante qui m’a en partie élevé m’a donné la force que j’ai en moi ». Il parle aussi beaucoup de sa mère, née en 1903. Cette dernière, qu’il vénère, était considérée comme « une niegon, une femme qui protège les enfants des sorciers. Elle a bercé toute mon enfance avec ses chants traditionnels entraînants».

L’artiste malien se dit heureux. « Tu ne peux pas savoir à quel point je suis remplie de bonheur ! » Mais attention à l’eau qui dort. C’est à la fois un homme doux et un écorché vif. Et dès lors qu’on aborde la situation du Mali, il bondit. Sa bonne humeur se dissipe. Il devient grave. Il n’arrive en effet toujours pas à digérer le fait que l’armée française soit entrée dans Kidal, une des villes libérée du nord-Mali, sans en avertir les autorités maliennes. Désormais il est sceptique, alors qu’il avait au début applaudi l’intervention militaire ordonné par François Hollande. « La France était bien partie mais elle s’égare ! », rechigne-t-il.

Ecorché vif contre l’injustice

Il admet qu’il est en rogne depuis que Paris a demandé à Bamako de négocier avec les rebelles du mouvement national de l’Azawad (MNLA). « Le Mali est indivisible ! Il est hors de question qu’on donne aux Touaregs l’Azawad ! Jamais ! » s’écrie-t-il. « Je défendrai l’unité de mon pays jusqu’à la mort ! » Il va même plus loin : « Si on leur donne l’indépendance, j’en mourrai ! Tous les Maliens doivent apprendre à vivre ensemble. Toutes les ethnies doivent s’unir », fustige-t-il.

Il faut dire que cette fibre rebelle enfouie au fond de lui, il la trimbale depuis son plus jeune âge. Il se dit d’ailleurs « Che guevariste, résistant, militant, altermondialiste », souhaitant « une meilleure hygiène de vie pour tous ». Il sait que la « fortune dans le monde est/et sera toujours mal redistribué ». Raison pour laquelle, il estime que les « gens ont le droit de migrer librement. Quelle est la peur qui fait que l’immigration est devenue un problème dans le monde ? »

Lui-même n’a pas oublié les souffrances liées à l’immigration qu’il a vécues lorsqu’il a quitté le Mali pour venir s’installer en France, en 1985. « J’en ai beaucoup bavé ! J’étais déjà bien connu en Afrique de l’ouest et là je devenais plus rien. Moi qui suis né soudanais français j’étais considéré comme un étranger. Quelle ironie ! Il m’a fallu attendre dix ans pour obtenir ma carte de séjour », confesse-t-il.

Pour autant, le « guerrier », nom qu’il donne affectueusement à ceux qu’il aime, est fier de son métissage culturel, de ses divers rencontres à travers le monde. « Une richesse » qui l’a forgé et emane de sa musique. C’est d’ailleurs pour défendre ces mariages qu’il porte toujours une tunique en boubou au dessus d’un pantalon assortit d’un sweat. « Avec cet accoutrement, j’ai un pied ici et un autre là-bas. Et je me sens bien comme ça ». Une chose est sûre, clame l’ovni musical : « on pourra me reprocher de ne pas avoir été célèbre mais nul ne pourra me reprocher de ne pas avoir vécu pleinement ma vie ! »

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