Cachez ces écrivains que je ne saurais voir ?


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C’est cette phrase qui peut résumer, à notre sens, la dénégation de nombre d’étoiles montantes de la littérature congolaise qui se trouvent dispersées sur la face de la terre, représentant bien le Congo qui vient vraiment.

On s’étonne, sans voyage, que notre confrère, Alain Mabanckou, pourtant co-directeur d’un Festival auquel Brazzaville a exercé généreusement l’hospitalité (avec un financement du gouvernement congolais et de la Francophonie à hauteur de 328 millions de Francs CFA au moins !), de surcroît l’année de la célébration du 60ème anniversaire de la littérature congolaise (1953-2013), n’ait tout simplement pas associé les nouvelles générations d’écrivains congolais, pire, n’ait fait aucune mention du patriarche de cette littérature, l’illustre Jean Malonga (1907-1985), qui, pour nous, est l’Homme de l’année 2013 au Congo.
Comment croire que l’on soit à même de convaincre les Congolais avec une Afrique qui vient quand eux-mêmes n’ont toujours pas encore fait de vraies retrouvailles avec leur propre littérature ? N’est-ce pas qu’il faille d’abord s’approprier son propre patrimoine, pour avoir de quoi partager à l’autre ? Combien de Congolais connaissent vraiment les auteurs congolais, à ce jour ? Cette littérature est-elle seulement enseignée comme il se devrait dans les écoles ? Autant de questions, qu’on aurait pu mettre au grand jour en amont, si l’organisation de ces rencontres n’avait pas ignoré nos sollicitations…

Or, cette manie de vouloir mettre la charrue avant les bœufs fait partie de contre-sens malheureux dans la recherche véritable de l’épanouissement des peuples ; et c’est ce qui les insupporte en retour et met au jour les mobiles intéressés de telles rencontres. Les réactions d’indignation, à l’instar de la réaction intempestive de l’écrivaine congolaise Gilda Moutsara qui a fondu l’armure, sont plus qu’à redouter dans ces conditions-là.

Alain Mabanckou n’était-il pas simplement en train de négocier sa propre place au Congo, avec sa déclaration prémonitoire, dans le Jeune Afrique n° 2713 du 06 au 12 janvier 2013, comme suit : «Ma place est peut-être au Congo » ?… On semble y comprendre que le Congo ne devient utile que quand on en a besoin, autrement, on peut aller jusqu’à le renier sur les plateaux de télévision du monde, sans que la houle nous rattrape…

La Littérature-Monde : une globalisation malencontreuse

N’assistons-nous pas, avec cette littérature-monde promue par les Etonnants voyageurs, à une manifestation de l’idéologie dominante qui, pour faire état d’un pays africain, préfère, sans se donner de la peine, le nommer Afrique ? Il aurait mieux valu parler du Congo qui vient, avant d’aller embrasser l’Afrique qui vient, ou le monde qui vient.
Qui ne s’est jamais senti offusqué face à des généralisations, des raccourcis ou des conclusions hâtives sur son propos, ses intentions ou l’expression de ses convictions qu’il croit sincères et profondes ? C’est de la même façon que l’on se sent violé dans son identité propre, lorsqu’on veut nous faire passer pour une autre personne, ou nous imposer des choix et des convictions étrangères…

Nous voulons dire par là que l’imaginaire culturel congolais n’est pas forcément celui des Centrafricains (quand bien même ils sont voisins immédiats), celui des Chinois est encore plus éloigné de celui des Congolais, n’empêche qu’ils puissent cohabiter en toute cohésion quand volonté il y a. Cela est aussi valable du point de vue des productions littéraires : il n’y a en ce moment là pas d’affaire de ‘‘grands ou petits écrivains’’ qui tienne ! Sinon, qui qu’est-ce qui les détermine ? Les prix ? Mais quels prix Aimé Césaire avait-il reçu ? Ce sont les écrits qui prévalent, et Alain Mabanckou le savait si bien pourtant, citons-le : « En littérature il n’y a pas de grade pour les anciens tirailleurs ou les vétérans du Vietnam. Les médailles n’apportent rien en la matière. C’est en empruntant les chemins de l’idéologie et de la démagogie que nous autres auteurs avons contribué à anesthésier nos Lettres et à ne plus offrir aux héritiers un projet littéraire digne de ce nom. » (Source : blog Alain Mabanckou, 2005).

Alors, vouloir sous-estimer, avec une nouvelle idéologie dite littérature-monde, des productions littéraires propres à des pays, au nom de la mondialisation, se révèle être un choix plus qu’hasardeux. Et, c’est ce choix qui semble avoir égaré Alain Mabanckou, qui ne serait pas vraiment en phase avec les attentes de son pays d’origine qu’il veut investir d’une manière ou d’une autre, après sa parodie bien réussie du Cahier d’un retour au pays natal.

Il se trouve que l’idéologie, Littérature-monde, s’est accaparée de notre étoile nationale, lui faisant perdre à certains égards le réalisme sur les aspirations profondes congolaises, depuis longtemps, après 23 ans hors du pays… Il faut plutôt croire qu’elle a bien de choses à redécouvrir dans ses terres d’origine, avant de vouloir embrasser tout de suite des grandes choses. Car, de la fiction à la réalité, il faut bien franchir le pas… : être bankable ne suffit pas.

Commencer par des choses simples, étalées sur une période plus ou moins longue, (comme des dons de livres, des émulations littéraires, des concours de nouvelles ou d’orthographe, des tournées dans les écoles…) n’aurait-il pas mieux servi à démontrer les bonnes intentions, la foi désintéressée, du retour d’un fils prodigue, que dis-je, prodige, à sa terre natale. Il se trouve qu’un retour tambour battant n’est jamais sans soulever quelque hostilités, ne serait-ce qu’en considérant la signification des effets d’annonce par tam-tam dans la culture congolaise, avec des relents d’indifférence que les masses semblent accoler au personnage.
En fait, cette aventure brazzavilloise des étonnants voyageurs peut être perçue comme une tentative de saupoudrage du patrimoine littéraire congolais, aux noms d’intérêts nombrilistes, qui se servent des peuples épris de culture comme un marchepied sur la voie de la gloriole. Car, nous sommes sûrs que la plupart des étonnants voyageurs, qui auraient bien voulu découvrir (qui sait ?) la littérature congolaise, sont sortis de cette manifestation en croyant que le Congo n’avait de richesses littéraires que celles qu’on leur a présentées (donc pas grand-chose dans les nouvelles générations). Comment croire que l’échange a vraiment eu lieu, ou que ‘‘la magie’’ a opéré, dans la rencontre entre les Congolais et les étrangers qui ont foulé les pieds sur leur sol ? Sans l’ombre d’un doute, le bénéfice de ces rencontres n’aura été que pour les ‘‘initiés’’ (comme dans la plupart des évènements qui s’organisent au Congo).

Pourquoi dire « Le rôle des écrivains est pousser à la réconciliation » (propos d’Alain Mabanckou à Slate.afrique, 14 février 2013), si l’on ne peut seulement pas commencer déjà par mettre fin soi-même à la ‘‘guerre froide’’ avec les écrivains qui partagent les mêmes racines congolaises que soi ? Avant d’aller balayer l’Afrique, il faille bien commencer par balayer chez soi… Qui ne sait pas reconnaître une supercherie, attend le bateau à l’aéroport.

Célébrer la littérature congolaise, c’est renouer avec soi-même
Si Alain Mabanckou ne voulait pas voir les autres écrivains (comme pour éviter qu’il lui fasse de l’ombre pour un évènement qu’il a emmené, lui, au Congo), cela n’est pas le cas des peuples du Congo, qui le font remarquer d’une manière ou d’une autre sur les réseaux médiatiques et dans le pays même, en manifestant de l’engouement à découvrir les racines littéraires congolaises (qu’ils connaissent peu ou prou), notamment avec l’évènement annoncé des 60 ans de la littérature congolaise (qui ne demande qu’à être soutenu par les Congolais de tous bords, des autorités aux populations).
Nous n’oublions pas, pour notre part, qu’il faut à un Homme des racines, pour qu’il tienne debout ; et qu’un Homme, comme un arbre, ne tient pas sur les racines d’un autre arbre. D’où, miser local pour émerger global est une démarche plutôt respectueuse des différences et de leurs richesses, tout en permettant à l’Homme de prendre soin de ses racines.

Nous pensons qu’il faut déjà commencer par revoir nos classiques, avoir connaissances des bases de la littérature congolaise, de Jean Malonga à Antoine Letembet-Ambilly, en passant par bien d’autres noms historiques comme Martial Sinda (Premier chant du départ, 1955), Maxime Ndébeka (Soleils neufs ou L’oseille, le citron, 1969 et 1975) Dongala Boundzeki (notamment avec Un Fusil dans la main, un poème dans la poche, 1973), Gaimpio Edouard (Le spectacle de l’univers, 1976), Eugène Sama (Poèmes diplomatiques, 1977), … Léopold Congo-Mbemba (Déjà le sol est semé ou Ténors-Mémoires, 1997 et 2002), etc. Et, c’est de là que nous pourrions peut-être comprendre l’âme et la vocation congolaises : ne dit-on pas que la littérature est le miroir d’un peuple?

N’oublions donc pas d’honorer la littérature congolaise, pour ses noces de diamant. L’occasion permettra d’en faire un bilan général ou d’essayer de cerner la mesure de l’impact de cette littérature au Congo et dans le monde. Car, un peuple sans culture est un peuple mort, un peuple sans mémoire est un peuple qui a perdu toutes les batailles d’avance (dont celle de la mondialisation).

Il nous faut renouveler le souvenir, afin de faire mentir l’allégation qui dit « Pour cacher quelque-chose à un Congolais met-le par écrit. » Autrement, on peut nous avilir dans les écrits, si on ne les lit pas, on pourrait même les applaudir sans savoir au fond ce qu’ils disent de nous; de même, on peut dire du bien de nous, si on n’a pas lu, on peut écouter quelqu’un et se mettre à critiquer sans avoir lu ce qu’on a écrit de bien pour nous au fond.
Alors, commençons déjà par éviter que l’ennemi du Congolais soit le Congolais, apprenons la solidarité, apprenons à aimer la patrie, à voir ce qui nous unit plus que ce qui nous divise : et la littérature est bien quelque-chose qui nous unit si bien. Ne nous trompons pas d’adversaire, si on veut être sûrs de le battre facilement, au risque de baisser la garde et de perdre facilement ensuite une bataille qui pourtant était gagnable.
Nous persistons à croire que le feu des origines, le local, demeure à ce jour la conscience de la mondialisation, et la conscience reste la mesure de l’Homme. Alors, une mondialisation sans conscience n’est que ruine de l’Homme.

Il nous semble qu’il serait opportun à quiconque voulant marquer de son empreinte l’Histoire du monde de veiller sur ses racines et de les entretenir, comme pour garder les pieds sur terres, savoir d’où il vient, et réclamer, que dis-je, déclamer, haut et fort son identité avec une plume, ou une voix, du feu de Dieu, comme sut bien le faire cet illustre martiniquais-là, le père de la négritude.

Et, Jean-Jacques Rousseau l’avait dit avant nous en d’autres termes :
« S’il y a des sociétés, c’est que le bien général veut qu’il y en ait (…). Enfin, si tout est bien comme il est, il est bon qu’il y ait des Lapons, des Esquimaux, des Algonquins, des Chicachas, des Caraïbes, qui se passent de notre police, des Hottentots qui s’en moquent, et un Genevois qui les approuve (…) Les hommes différents tellement selon les temps et les lieux qu’avec une pareille logique, on serait sujet à tirer du particulier à l’universel des conséquences contradictoires et fort peu concluants. Il ne faut qu’une erreur de géographie pour bouleverser toute cette prétendue doctrine qui déduit ce qui doit être de ce qu’on voit. » (In Deux lettres sur l’individu, la société et la vertu).

Ainsi, il faut bien que le plan local, le terroir, le pays… continuent à fournir, mais librement, au monde des littératures de tous les goûts, au nom de la diversité.

Comme les travers de la mondialisation appellent au sursaut culturel dans tous les pays, il faille bien que les Congolais se rendent à l’évidence de la menace que peut contenir la notion de Littérature-Monde pour la littérature congolaise, tel un ogre littéraire. Car, Alain Mabanckou n’est pas, à lui tout seul, la littérature congolaise : c’est là où il faut nuancer prouesse individuelle et cause commune.

Dernier ouvrage publié : Briseurs de rêves, suivi de Rêves de Brazzaville (L’Harmattan, 2013)

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