Burkina Faso : le salut par la croissance


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Jean Baptiste LE HEN

«Seule une croissance inclusive et de long terme pourra significativement améliorer le quotidien de tous les burkinabés», apprend-on du représentant résident du FMI, Jean Baptiste LE HEN «Il faudra une croissance soutenue et surtout inclusive pendant au moins cinq à dix ans pour faire du Burkina un pays émergent» Propos recueillis par NEBILBOUE Charles BAKO

Au cours d’un entretien réalisé avec Jean-Baptiste Le Hen, le représentant résident du FMI au Burkina Faso, AFRIK.COM revient sur la bonne croissance économique des dernières années, les attentes qu’elle suscite et son impact sur la pauvreté. Les perspectives économiques à moyen terme et l’impact du secteur minier sont également discutées. Propos recueillis pour AFRIK.COM par NEBILBOUE Charles BAKO

AFRIK.COM : La croissance économique récente ne semble avoir que peu d’impact sur la pauvreté. Quel est l’état des lieux dans ce domaine ?

Jean Baptiste LE HEN « Dans un pays comme le Burkina Faso où on a un fort taux de pauvreté, où on a près de 80% du pays qui n’est pas couvert par l’électricité, où le manque de professeurs nuit à la qualité de l’enseignement, où on manque encore de routes bitumées et d’axes de communication, où une grosse partie de la population manque de beaucoup de choses, évidemment quand on annonce ces fortes croissances observées dans les années récentes, on voudrait que tous les problèmes soient résolus le plus rapidement possible, et c’est bien légitime. Il faut toutefois garder à l’esprit que le Burkina Faso a un niveau de revenu par habitant qui se situe entre 700 et 800 dollars par an : même si, calculé en « parité de pouvoir d’achat » et corrigé de l’inflation, cela représente un quasi-doublement de la richesse par tête en 20 ans, cela reste encore très en dessous de la moyenne mondiale. Par conséquent il faudra plusieurs années de croissance soutenue et surtout inclusive pour faire du Burkina un pays émergent et éradiquer l’extrême pauvreté. »

Jean Baptiste LE HEN

AFRIK.COM : La croissance a été remarquable dans le secteur minier : cela explique-t-il les performances macroéconomiques du pays ?

Jean Baptiste LE HEN :« L’industrie minière et notamment aurifère a quasiment remplacé le coton en termes d’exportation:75% des exportations proviennent désormais de l’or alors que les volumes exportés de coton n’ont pas diminué en valeur absolue, c’est dire à quel point le secteur de l’or prend désormais une place importante. Toutefois, si la part des industries extractives dans les exportations est désormais de premier plan, elle reste faible dans le PIB national (moins de 10%), et la contribution du secteur minier en termes d’emplois directs est également maigre. Le secteur cotonnier reste un secteur clé en termes d’emploi rural et de ce point de vue, il convient de lui conserver une place de premier plan dans l’élaboration des politiques économiques. »

AFRIK.COM : Il est vrai que le secteur minier a connu un boom, mais est ce que cet or profite à la population ?

Jean Baptiste LE HEN : « L’industrie minière est un peu spécifique, et il faut reconnaitre que le métal jaune fait un peu rêver. On attend donc parfois un peu trop de choses de cet or. Ainsi, alors que les recettes totales de l’Etat représentent près de 17% du PIB, les recettes provenant de l’or en représentent moins de 3%. En ce qui concerne les emplois directs, ils ne sont finalement que quelques milliers pour tout le pays. L’impact de la rente minière sur les populations est donc assez limité, et on comprend aisément l’importance capitale de l’Etat qui est finalement le principal canal de redistribution de la richesse minière vers les populations, au travers d’une part des taxes et royalties qu’il prélève, et d’autre part des dépenses qu’il peut réaliser grâce à cet argent ?dépenses sociales et d’investissement.

Cela nous amène directement au cœur de la problématique minière au Burkina : tout d’abord, l’Etat doit être capable de prélever sa juste part dans la rente minière, mais sans pour autant tuer la poule aux œufs d’or, c’est-à-dire sans décourager l’exploration et l’extraction. A ce titre, la problématique du Code Minier est centrale, et des comparaisons avec des pays similaires peuvent aider le Burkina à trouver le juste milieu. Ensuite, l’argent venant de la rente minière doit pouvoir être dépensé efficacement, c’est-à-dire que les projets d’investissements, qu’ils soient en termes d’infrastructures ou de capital humain (éducation, santé), doivent pouvoir se réaliser dans les délais prévus.»

AFRIK.COM : Le FMI dans ses rapports prévoit pour l’année 2014 une croissance de 6,7%, une croissance qui ne se fait pas vraiment sentir

Jean Baptiste LE HEN : « La croissance devrait se situer un peu en dessous des 7%, mais je crois qu’il est inexact de dire que cela ne se fait pas vraiment sentir. En effet, cela dépend de quel point de vue on se situe. A titre d’exemple, on peut dire que la croissance de ces dernières années se fait déjà sentir du point de vue des ressources de l’Etat. En effet, les ressources fiscales ont augmenté de manière très significative au cours des quatre ou cinq dernières années, et si d’importantes réformes structurelles dans la collecte des impôts et taxes expliquent une partie de cette augmentation, la croissance économique en explique aussi une part très large.

Ces ressources permettent d’investir pour l’avenir, de construire des écoles, des centres de santé, des infrastructures. Tout cela bien sûr restera longtemps insuffisant car les besoins sont considérables dès le départ, et c’est probablement ce qui explique en réalité votre impression assez négative sur les effets de la croissance. Pourtant des progrès sont réalisés. Le FMI et les autorités burkinabés travaillent à ce que ces progrès aillent encore plus vite.

Par ailleurs, il faut aussi tenir du compte du fait que le Burkina est un des pays du monde où la croissance de la population est la plus rapide, avec environ 3% l’an. Il faut se rendre compte qu’un burkinabé sur 5 a moins de cinq ans : dans de telles conditions, les progrès et les investissements nécessaires doivent plus que compenser cette croissance démographique pour que les populations puissent commencer à sentir une amélioration. »

AFRIK.COM : Quel est votre dernier mot ?

Jean Baptiste LE HEN : « Pour le FMI, le Burkina Faso reste un pays exemplaire à plusieurs titres. Ainsi, la manière dont il a pris très tôt le problème de la redistribution des fruits de la croissance à travers la SCADD est remarquable, et beaucoup de pays peuvent s’inspirer des efforts du Burkina. (Pour faire du Burkina un pays émergent et améliorer significativement le niveau de vie des populations, le gouvernement Burkinabé a élaboré la SCADD (Stratégie de Croissance Accélérée et de Développement Durable) et identifié un certain nombre de d’axes stratégiques : le développement de moteurs d’une croissance accéléré, le renforcement du capital humain, le renforcement de la bonne gouvernance, et la promotion de la protection sociale. NDLR)
Vous savez, même si on parle beaucoup de l’or blanc (le coton) ou de l’or jaune, la première richesse du Burkina restera toujours sa population, car c’est elle qui transforme en richesses les ressources du pays, c’est elle qui trouvera demain les nouveaux moteurs de croissance. »

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