Burkina Faso : la mort du juge Nébié, homicide volontaire ou involontaire?


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Voilà près de trois semaines que le juge constitutionnel Nébié est décédé. Alors que de nombreux Burkinabè parlent d’assassinat politique et réclament justice, le médecin légiste français dépêché par le pouvoir évoque un accident de circulation. Les interrogations demeurent toujours sur la mort du juge. Son frère Germain Nama, fin observateur de la vie politique burkinabè, à la tête du journal « L’Evènement », a livré à Afrik.com son regard sur cette affaire.

Qui a tué le juge Salifou Nébié ? S’agit-il d’un accident ou d’un homicide volontaire ? Des questions qui demeurent à ce jour sans réponse. Même si selon les conclusions du médecin légiste français, dépêché par le pouvoir, le juge n’a pas été assassiné, mais victime d’un accident de circulation. Pourtant, le procureur général évoquait au début de l’affaire, un homicide volontaire, ordonnant l’ouverture d’une enquête. Tout laissait croire que le juge, retrouvé mort le 24 mai dernier, à 100 mètres de sa voiture sur une route de la Départementale qui donne accès au centre-ville de Saponé, avait été assassiné.

« L’homicide volontaire n’est pas à écarter »

Une version qui a volé en éclats après les conclusions du médecin légiste français. Contacté par Afrik.com, Germain Nama, frère du juge, le dernier à l’avoir vu vivant, indique que les affirmations du médecin légiste « ne sont pas arbitraires. Ces examens reposent sur des analyses dont seuls des spécialistes pourraient juger de la pertinence ». Toutefois, ce fin observateur de la vie politique burkinabè, qui dirige le journal L’Evènement, emprisonné de nombreuses reprises par le pouvoir, affirme « que la thèse de l’homicide volontaire n’est pas à écarter. Tout simplement parqu’un accident de la circulation peut être provoquée ».

Pour Germain Nama, le rapport du médecin légiste français ne répond qu’à une seule question : « la manière dont le juge est mort, c’est-à-dire par percussion violente. C’est important à savoir. Maintenant pour les enquêteurs, il s’agira de retrouver le véhicule et son chauffeur pour répondre à la question de savoir si c’est un homicide volontaire ou involontaire ». Le médecin légiste a également fait état de traces d’alcool dans le corps du juge. Mais Germain Nama note que le juge Nébié était lucide au moment où ils se quittaient : « Nous étions à un anniversaire où nous avons tous les deux bu du vin, mais pas au point de perdre nos repères. Nous avons même continué à échanger pendant qu’il était dans dans sa voiture. Il n’y avait pas d’incohérences dans ses propos. Il était fatigué et pour moi c’était une raison de gagner rapidement son domicile ».

Cette affaire est en effet troublante, selon Germain Nama, qui estime que quelque chose ne colle pas : « Comment le juge Nébié s’est-il retrouvé à 30 km de Ouagadougou ? Que faisait-il au milieu de la chaussée pour y être percuté par un véhicule ? A supposer qu’il soit descendu de son véhicule pour uriner, j’imagine mal qu’il l’ait fait au milieu de la chaussée plutôt que sur le bas côté de la route ».

« Les cadavres sont dans les tiroirs du pouvoir »

De son côté, l’opinion publique burkinabè estime qu’il s’agit d’un énième assassinat politique et réclame que l’enquête en cours livre la vérité sur la mort du juge Nébié. Germain Nama constate qu’il y a en effet une « large opinion qui pense que nous avons en face un pouvoir criminel. Les cadavres sont en effet dans les tiroirs du pouvoir. Et le juge Nébié est effectivement perçu comme une énième victime. Les circonstances de son enterrement le montrent bien. On a frôle l’émeute au cimetière ». Pourtant, selon lui, son frère était « critique sur certains sujets à l’encontre du pouvoir, mais ses points de vue étaient loin de se cristalliser en opposition. C’était un magistrat en activité et il avait une haute conscience de ses obligations. Il est vrai que les gens peuvent lui en vouloir de ne pas ramer dans le sens du courant ».

« Une révolte du peuple n’est pas à exclure »

Cette vive tension sociale au pays des hommes intègres a conduit certains à s’interroger sur l’éclatement d’une éventuelle révolte contre le pouvoir. D’autant que Blaise Compaoré, qui dirige le pays depuis plus d’un quart de siècle, compte se représenter à la Présidentielle de 2015. Il souhaite d’ailleurs une modification de la Constitution qui ne lui permet pas de briguer un nouveau mandat. Germain Nama estime, pour sa part, qu’on ne peut pas exclure une révolte du peuple. Il souligne que « la mort du juge en rajoute bien évidemment au ressentiment général. Les gens veulent le changement et toute manœuvre pour l’empêcher pourrait tourner à la catastrophe. Il y a une radicalisation de part et d’autre qui peut conduire à l’affrontement. Mais il n’y a pas de fatalité, la raison peut gagner les esprits ».

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