Au pays d’Ould Abdel Aziz, plaque tournante du narcotrafic au Sahel


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Le Sahel est traditionnellement une zone affectée par le trafic et la contrebande de cannabis, principalement en provenance du Maroc. Depuis le début du XXIe siècle, la zone est devenue une véritable plaque tournante du trafic de drogues, terrorisme, insurrection et crime organisé. Discrète sur le plan international, la Mauritanie est pourtant un carrefour du trafic de drogue au Sahel.

Le trafic de drogue en Afrique est en bonne santé. L’instabilité au Sahel, la défaillance des Etats, les conflits armés permettent la pérennisation du narcotrafic et le développement d’une criminalité organisée. Le Nord du Mali et la Mauritanie sont des passages obligés. D’ailleurs, il y a quelques mois, le 21 janvier 2013 précisément, Noël Mamère lançait un pavé dans la marre en incriminant le Président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz. Dans l’émission « 28 minutes » sur Arte, le député Europe Ecologie-Les Verts qualifiait le dirigeant mauritanien de « parrain de la drogue ». L’affaire a suscité une levée de boucliers à Nouakchott où les avocats de la présidence se sont emparés de la polémique. Les déclarations du député français ne sont pourtant pas anodines. Comment des « djihadistes » parviendraient-ils à faire du trafic de drogues et d’armes pour ensuite rentrer tranquillement au bercail sans une aide de haut niveau ?

Les soupçons qui pèsent sur le Président Abdel Aziz se sont accrus le jour où il a gracié un important trafiquant de drogue : Sid’Ahmed Ould Taya, officier de police et représentant d’Interpol en Mauritanie. Il avait, selon les procès-verbaux, reconnu les faits qui lui étaient reprochés, à savoir le trafic de drogue et le blanchiment d’argent. Il avait même cité ses complices. Cependant, la grâce concernait aussi Ely Khalifa, cousin de la femme du Président mauritanien, condamné pour possession de biens publics dans une société mauritanienne de gaz : Somagaz.

Des relations au haut niveau

Noël Mamère parle aussi de relations « poussées » avec un consul de Guinée-Bissau, « plaque tournante du trafic de drogue », qui « a pignon à la présidence mauritanienne ». Un spécialiste du Sahel contacté par Afrik.com, qui a l’habitude de se rendre en Mauritanie depuis 15 ans maintenant et qui souhaite donc garder l’anonymat par mesure de sécurité, confirme « l’implication de la Mauritanie dans le trafic de drogue ». « Mais je ne peux pas affirmer de source sûre que le Président Abdel Aziz est directement lié à un quelconque trafic de ce genre », précise notre interlocuteur qui aoute cependant, « je ne serais pas surpris si c’était le cas ».

Un rapport américain qui date de 1992 indique que des « rumeurs font état de l’implication de fonctionnaires de haut niveau dans le trafic ». Notre spécialiste en est convaincu. Même si actuellement rien ne permet textuellement de prouver que le Président Abdel Aziz est mêlé à ces trafics, ce qui est certains, c’est que « le Président est entouré de personnes qui gèrent ce business ». Pour notre interlocuteur, des complicités au plus haut niveau existent au Sahel et tout particulièrement en Mauritanie.

Des réseaux bien implantés

La Mauritanie peine à démanteler les réseaux de trafic de drogue sur son territoire. A l’instar de notre contact, les spécialistes pensent que la Mauritanie, que certains comparent aux pays latino-américains, sera encore et pour longtemps une plaque tournante du narcotrafic. Et « il semble clair que la présidence ne mette pas toute son énergie pour ralentir tout ça. Nous observons quelques arrestations, faites de manières très irrégulières. Mais rien de spectaculaire, qui permettrait en tout cas d’arrêter les barons de la drogue », indique ce spécialiste.

Il faut dire que la position à cheval sur le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, ses frontières avec l’Algérie, le Maroc, le Mali, et le Sénégal, fait de la Mauritanie une parabole de transit alternative des drogues. « Certaines composantes de la diaspora mauritanienne s’activent à travers le monde, afin de faciliter le trafic », ajoute notre contact. Les autorités contribueraient à développer ces réseaux, à l’image « de gros calibres qui achètent leur entrée dans les bureaux des douanes et de la police ». D’anciens policiers se seraient même reconvertis au trafic de drogue.

La proximité de la Mauritanie des îles Canaries est une aubaine pour les trafiquants de cocaïne. Postés au Brésil, ils expédient leurs marchandises vers les îles ou vers le port de Nouadhibou. Le colis est ensuite envoyé en France ou en Espagne. En novembre 2009, un avion, vraisemblablement en provenance du Venezuela, est intercepté à Gao, dans le Nord du Mali. L’avion transportait plusieurs tonnes de cocaïne, il fut surnommé « Air cocaïne » et la Mauritanie s’est retrouvé au centre de l’attention médiatique et des analyses sur le trafic de drogue en Afrique de l’Ouest.

Les djihadistes et l’argent de la drogue

Les djihadistes dans le Sahel, ont vite reniflé la bonne affaire. Une véritable collaboration a été mise en place entre les réseaux des trafiquants de drogue et les différents groupes djihadistes, comme le Mujao ou Ançar Dine et les réseaux du trafic de drogue. Au point où ces derniers sont désormais vus comme des « narcoterroristes » et non plus comme de simples « terroristes ». Sauf que l’intervention française au Mali a perturbé cette organisation et depuis le début de la guerre le trafic organisé au Mali a régressé. Mais la présence militaire française ne sera pas éternelle et les réseaux sont toujours en place.

Sur les côtes africaines, le kilo de cocaïne atteint facilement 10 000 dollars. Aux portes du Sahel, c’est le double. Une fois sur le marché européen, il est estimé à 45 000 dollars. Trois chiffres qui ont attiré les djihadistes dans un circuit déjà bien rodé. Le djihadiste algérien Mokhtar Bel Mokhtar, laissé pour mort par le Tchad, auteur de l’opération de la prise d’otage d’In Amenas en Algérie en janvier dernier, est l’un de ces illustres trafiquants. Celui que l’on surnomme « Mister Marlboro », en raison du trafic de cigarettes dans lequel il évoluait, a entretenu des liens très étroits avec l’un des ténors de la drogue au Sahel : Omar Ould Ahmed. Les narcotrafiquants voient en ces alliances avec les groupes djihadistes « un moyen de protection ».

Cependant, d’après Ahmedou Ould Abdellah, ancien représentant spécial mauritanien du Secrétaire des Nations-unies, les djihadistes ne sont pas eux-mêmes des trafiquants. En effet, leurs principales missions seraient de protéger les convois, sécuriser les pistes d’atterrissage, l’approvisionnement et récupérer une « dime » (taxe) pour le passage.

Le rapport de l’Organe internationale de contrôle des stupéfiants, publié en mars 2013, place la Mauritanie comme l’un des pays prisés par les bandes de narcotrafiquants.

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