La fièvre du Kitoko embrase Libreville


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Mathis Mabaka

Nouveau mouvement musico-culturel, à la fois tribal et urbain, le Kitoko s’est répandu comme une traînée de poudre au Gabon. Basé sur une rythmique pygmée où le tempo est uniquement façonné par l’assistance, il donne lieu à des concours de danse qui fourmillent désormais à Libreville. Concept également moral, le principe du Kitoko est simple : pas besoin d’avoir les moyens pour être beau, la classe étant surtout une question d’attitude et d’état d’esprit. Explications, plus un extrait de Kitoko en exclusivité Internet.

Exit la sape et autres prétentions Gorgio Armaniesque au Gabon. L’habit ne fait désormais plus le moine. Peu importe si vous n’avez pas les moyens de vous habiller avec ostentation pour briller. Car voici le Kitoko ( « beau » ou «élégant», en lingala). Un mouvement musical et culturel devenu un véritable phénomène de société à Libreville. Adopté, depuis plus d’un an, par toute la jeunesse gabonaise qui se l’est complètement approprié, le Kitoko donne lieu à une multitude de concours de rue qui font fureur dans le pays. Basé sur une rythmique pygmée, il offre un groove tribal où les uniques instruments sont les mains, les chœurs, et les percussions plus ou moins improvisées.

Les ambiances Kitoko sont mixtes et opposent les filles aux garçons. Deux « rives » face à face, dans un coin de rue, une cour d’école, un quartier. D’un côté les hommes, de l’autre les femmes. Pas besoin de sono, le tempo est tout simplement construit par l’assistance « Poutoum patam poutoum, poutoum patam poutoum », entonne-t-elle, pendant qu’une section percussion s’organise avec tout ce qui peut être sonore. Au centre, un arbitre. Il anime les débats et appelle successivement une personne de chaque rive à venir se mesurer « Maman Jacqueline hé lakissa bango ! » (« Maman Jacqueline montre leur » en lingala). Et tout le monde reprend en chœur « Kiiiitooko, kitoko-kitoko-kotoko-kitoko, kiiiitooko ». A Jacqueline alors de prouver se qu’elle vaut. Puis à son vis-à-vis. Le verdict se jouant à l’applaudimètre. « C’est génial et cool à vivre, explique Serge un pratiquant assidu, même quand tu es malheur tu es heureux quand le kitoko t’attend ». Il a même du mal à trouver les mots pour traduire l’émotion du Kitoko.

Pour Nady, 22 ans, le Kitoko est « un sport mélangé de danse, car il s’agit de matchs. Et puis c’est toute une ambiance un peu familiale. Tout le monde peut y entrer, car tout le monde est le bienvenu. C’est très convivial ». Convivial avec, il est vrai, une petite dose de séduction, les rencontres opposant les hommes aux femmes. « Le jour de la Saint Valentin, l’ambiance était terrible », confit Martial, 20 ans. Ice, de quatre ans son aîné, considère pour sa part le Kitoko « comme une drogue », et avoue s’y adonner tous les jours, « sauf le dimanche ». « Vraiment l’ambiance est belle. En plus, c’est une danse qui n’a besoin de rien pour exister. Il suffit qu’il y ait du monde et tout est fait sur place. »

Mathis Mabaka, père du Kitoko

Le père du Kitoko s’appelle Mathis Mabaka. L’artiste et auteur de 28 ans a initialement penser son affaire d’un point de vue spirituel et philosophique « Le kitoko est un mouvement conscient pour les gens intègres, explique-t-il. Même si vous avez un t-shirt à 2 euros vous pouvez être ‘kitoko’ dedans. Le Kitoko est une attitude : c’est vivre propre, à l’intérieur comme à l’extérieur. C’est vivre dignement avec humilité et avec ses moyens ». Un pied de nez au Coupé Décalé ? « Avant de ‘couper’ il faut mesurer, répond-il. Le problème ce n’est pas d’avoir de l’argent mais de savoir le gérer. Je n’ai rien contre les Ivoiriens, ce sont mes frères, et je respecte les opinions des autres, mais quand on a envie de partager on fait attention à en garder un peu pour soi-même », estime-t-il.

Mathis, protégé de Patience Dabany, avoue que le succès du Kitoko le dépasse. « C’est une chose incroyable ! Quand j’ai créé la chanson, je l’ai chantée dans un bar du coin. Les gens du lieu ont alors commencé à répéter la chanson après moi et à faire le rythme en tapant des mains. C’est parti tout seul. Mon frère m’a appelé le lendemain, d’une autre banlieue de la capitale, pour me dire qu’il avait entendu mon morceau chanté pendant un match de basket. Je ne l’avais même pas encore enregistré. Aujourd’hui j’ai complètement perdu le contrôle du kitoko, même si l’esprit est toujours là.»

« Musicalement, je me suis basé sur une rythmique pygmée appelée ézébolo. » Pygmées qu’il a côtoyés durant son enfance dans son village natal de Boumango. Et son oreille musicale n’a jamais oublié. S’il chante en lingala, lui le Gabonais, c’est parce que sa grand-mère maternelle était congolaise (Congo Brazzaville) et qu’il allait très souvent lui rendre visite pendant les vacances. Ainsi, lui et ses 8 frères et sœurs parlent-ils tous lingala. « Ma langue maternelle reste le bawounbou, tandis que mon père parle obamba ».

Edgar Yonkeu, un producteur séduit

Ecole contre école, quartier contre quartier, jeunes contre jeunes, de la primaire à l’université, le Kitoko est une véritable lame de fond. Il est devenu un jeu de rue à part entière. Un phénomène qu’a découvert un peu par hasard le producteur camerounais Edgar Yonkeu, qui a décidé de faire rentrer le Kitoko en studio. « Un petit est venu me voir dans la rue pour me demander de venir voir la chose, parce qu’il sait que je suis curieux de tout. Il m’a tanné trois jours avant que j’accepte, se souvient le producteur de Nayanka Bell et de Dis l’heure de zouk. J’ai été ébloui par le phénomène, c’est toute une attraction. J’y suis retourné deux jours de suite. J’aime bien le fond du mouvement, à savoir que même si tu n’es pas habillé cher il te suffit d’être propre pour être beau. Quand à la musique, elle vient vraiment des tripes. C’est un groove brut, du tribal urbain, parce qu’à la fois très actuel mais puisant sa source dans nos racines. Par ailleurs il y a un minimalisme instrumental qui me plait beaucoup. Ils font les instruments avec un rien : une bouteille de soda, une fourchette, une table, un tam-tam… Le Kitoko est un cocktail de rythme et d’ambiance qui est assez contagieux. Il faut le voir pour réaliser. »

Que pense, quant à lui, Mathis de l’explosion du Kitoko ? « Comment voulez-vous que se sente un père qui a mis au monde un fils ? », répond-il. « Un fils qui n’est pas la réplique de ma personne et qui grandit avec son caractère. » Vous êtes sans doute curieux de découvrir cette étrangeté musicale ? A défaut de la voir, on peut désormais l’écouter. L’artiste, comme le producteur, nourrit de grandes ambitions pour le mouvement. Et à l’écoute du morceau, on se dit qu’elles sont bien légitimes. Autrement moins dangereux que celui de la grippe aviaire, le virus Kitoko est, sans mauvais jeu de mot, tout aussi volatile. En attendant qu’il vous saisisse corps et âme, nous vous invitons d’ores et déjà à découvrir ledit virus en audio et en exclusivité Internet. Attention le Kitoko est là.

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