Médecine amère au Bénin


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La couverture du magazine Continental

Dans les gares routières, en bordure des routes, au marché central, sur la place publique, dans les transports interurbains des villes africaines, des tradi-praticiens et autres vendeurs de produits pharmaceutiques proposent des traitements à base de tout et de rien pour soigner toutes les maladies de l’être humain. (…) Ces « docteurs de rues » improvisés (…) prescrivent des produits sans papiers, dont eux seuls ont le secret des origines. Les médicaments sont vendus, sans notice, dans des boîtes quelconques, parfois sans emballage, exposés à la poussière, illicites, contrefaits, sans date de péremption (…) Malgré la bataille rangée menée par les autorités publiques contre la vente de ces médicaments d’origine douteuse, le phénomène persiste…

De notre partenaire Continental

On les trouve sur les étals des marchés, au coin des rues, sur la tête de vendeuses ambulantes, parcourant les maisons des quartiers de villes et de villages. Ils guérissent toutes sortes de maladies : la fatigue, les maux de tête, de ventre, de dents, les courbatures, le paludisme, la fièvre, la grippe, la toux, le rhume, etc. Une liste qui n’est pas exhaustive. « C’est tout près, c’est pas cher, allez à la pharmacie et vous l’achèterez cinq fois le prix du marché. » « Les chances de guérison sont élevées, rapides, sans consultation et sans ordonnance… » Les vendeurs et les consommateurs ne tarissent pas d’éloges sur ces médicaments sans prescription d’un médecin assermenté. « Curieusement, ils ont le don de soulager, on ne sait par quelle magie, mais c’est le cas », s’étonne un médecin biologiste. Une étude menée dans dix localités béninoises dénombre près de 6 000 vendeurs de médicaments (surtout des femmes), dont près de 1 500 opèrent sur les marchés, 3 500 pratiquent le commerce ambulant, tous encourageant l’automédication.

Médicaments trop chers

Selon la Direction nationale de la protection sanitaire (DNPS), 85 % des Béninois s’approvisionnement au marché parallèle. Malgré les efforts déployés pour déconseiller l’utilisation de ces médicaments, médecins et associations n’arrivent pas à freiner le phénomène. La population est consciente du danger qu’ils présentent, mais n’a pas les moyens d’acheter les médicaments en pharmacie. Pharmaciens, délégués médicaux et législateurs essayent, vaille que vaille, de trouver une solution pour endiguer ce fait de société. Tous s’accordent pour interdire ce commerce aux non-professionnels, mais leurs intérêts divergent.

« Nos prix sont élevés certes, mais nous garantissons la qualité et le conditionnement : les médicaments sont en sécurité chez nous. Les gens nous accusent de ne pas accepter de jouer le jeu de la concurrence. C’est vrai, mais c’est leur vie qui est en danger », explique Prosper, pharmacien à Guinkomey. « Il suffit d’aller faire un tour au centre hospitalier et universitaire Hubert K. Maga de Cotonou pour s’en convaincre. Chaque jour, au moins dix personnes viennent en consultation pour insuffisance rénale, dont une, au moins, en meurt quotidiennement. Ces insuffisances sont dues probablement à la prise de médicaments vendus sur les marchés. Le nombre de malades augmente chaque jour. » Les intoxications médicamenteuses peuvent conduire à des insuffisances rénales et hépatiques et à des chocs imprévisibles (crises cardiaques, collapsus, etc.).

De mal en pire

Ces chiffres, sous-évalués, ne prennent pas en compte les décès survenus dans les hôpitaux et autres centres de soins de l’intérieur du pays. Cependant, ils sont suffisamment inquiétants pour alerter les autorités sanitaires nationales, qui ont pris des mesures radicales pour tenter d’enrayer le trafic illicite de médicaments. Plusieurs fois déjà, la Direction des pharmacies et laboratoires (DPHL) a procédé à la saisie de plusieurs tonnes de médicaments sur le marché de Dantokpa et les a brûlés. Cette opération coup de poing, réalisée de concert avec l’armée, la police et la gendarmerie, a causé d’importants remous au sein de la population et des vendeurs de ces produits prohibés.

Les autorités sanitaires ont également lancé une campagne de sensibilisation tous azimuts pour expliquer, aux populations, les dangers des médicaments en général et des médicaments illicites en particulier. « Un médicament sous-dosé est un poison qui entraîne une résistance des germes et fragilise l’organisme pour la vie. Un médicament mal conservé devient toxique, tandis qu’un médicament bien dosé est toujours efficace, lorsqu’il est bien prescrit, bien pris et bien conservé », explique Céline Seignon Kandissounon, ministre de la Santé publique, avant de poursuivre : « Il faut savoir que le médicament effectue un circuit dans l’organisme humain et peut être responsable de nombreux ravages et dégâts, s’il est mal maîtrisé. » L’une des conséquences les plus graves est le blocage des reins, qui conduit à l’insuffisance rénale et l’hémodialyse « sinon, le foie se trouve bloqué et c’est la mort, car rien ne remplace cet organe », ajoute la ministre. Au CNHU de Cotonou, une séance d’hémodialyse est évaluée à 50 000 FCFA, à raison de trois séances par semaine, cela revient à 150 000 FCFA en moyenne dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est à moins de 25 000 FCFA. Le service des urgences est préoccupé par cette situation, car l’unité d’hémodialyse est dépourvue de moyens techniques et de personnels qualifiés pour prendre en charge tous les cas.

Pression sur les ventes

Si ce commerce de faux médicaments perdure, c’est grâce à un vide juridique, à l’absence de politique et de stratégie spécifiques dans la lutte pour l’accessibilité aux médicaments. Certains accusent même les douanes de laisser les frontières devenir des « passoires » pour toutes sortes de marchandises prohibées. L’autre problème est qu’il n’existe presque pas de pharmacies dans les villages, les communes et même certaines villes du Bénin. Les médicaments vendus en pharmacie coûtent excessivement chers. L’absence de laboratoire de contrôle de qualité des médicaments renforce la méconnaissance et la méfiance des populations et surtout de certains agents de santé vis-à-vis des médicaments génériques. Plus inquiétant : la participation active de certains agents du corps médical à la vente illicite des médicaments ou d’échantillons, notamment des sages-femmes, des infirmières et des filles de salle opérant dans les maternités et les centres de santé. Ces « agents-vendeurs », qui n’hésitent pas à proposer ou même imposer leurs médicaments aux patients, sont légion. « Vous résistez à l’achat d’une seringue ou d’un médicament qu’on vous propose et vous êtes négligée… », confie Eléonore A. avec une grossesse presque à terme.

Les génériques sont gérés par la Centrale d’achat des médicaments et consommables médicaux (CAME), qui en assure la commande et la distribution aux centres de santé des secteurs publics et privés. En dehors des saisies de médicaments, les autorités sanitaires ont initié, en collaboration avec l’OMS (Organisation mondiale de la santé), une série de séances d’information et de formation, destinées aux leaders de communautés des grandes villes, sur les dangers des médicaments et leur vente illicite. Des documentaires et des films vidéo, qui montrent l’existence effective des médicaments génériques dans les pharmacies, sont réalisés et diffusés sur les radios et télévisions. De leur côté, les pharmaciens ont été sensibilisés sur les dispositions à prendre pour enrayer la vente illicite.

Aline A. Assankpon

 Article extrait du dossier du numéro du mois d’avril 2005 n°37

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