La lèpre n’est pas une fatalité


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Il y a une vie après la lèpre. Ahmedou, 42 ans, est Mauritanien. Ancien lépreux, il a créé une association pour défendre les droits des personnes handicapées par la lèpre et gère 13 parkings à Nouakchott, surveillés par 46 anciens malades. Quelque 300 familles vivent aujourd’hui grâce à son initiative, soutenue par la Fondation Raoul Follereau.

Il y a d’abord eu cette petite tache. Sur le poignet droit. Ahmedou Abdelkader Ahmed avait 15 ans. A Guadanaga, son village à 50 km de Nouakchott (Mauritanie), on n’avait jamais entendu parler de la lèpre. Et personne ne s’est soucié de cette petite tache qui, au fil des années, est devenue grande. Ahmedou a vécu 10 ans avec la lèpre sans le savoir. Il en porte aujourd’hui les stigmates aux deux mains : elles sont rognées et crispées. Ahmedou fait avec : il est parfaitement autonome dans sa vie quotidienne, conduit sa voiture et écrit de la main gauche, la plus valide.

En 1987, à 25 ans, il rencontre un médecin français à l’hôpital de Nouakchott qui, dans le cadre de la coopération franco-mauritanienne, travaille dans la section dermatologique de l’hôpital. « Il m’a dit que j’avais la lèpre mais je ne savais pas ce que c’était ! J’avais déjà les mains rongées mais je ne m’en souciais pas plus que ça car ma famille me préservait, m’évitait les travaux les plus durs mais sans me traiter comme un handicapé. J’ai grandi entre quatre familles musulmanes très respectables qui ne m’ont jamais discriminé. Je suivais l’école coranique. Mes amis me disaient que mes mains n’étaient pas jolies mais je mangeais avec eux, je faisais du sport… Lors de mon traitement à l’hôpital, j’ai vu plein de gens avec les mêmes infirmités que moi mais qui les cachaient. » Grâce à la PCT (polychimiothérapie), Ahmedou guérit en 6 mois.

Différentes façons d’être lépreux

Ce fils de berger, grandi au sein d’une grande famille de propriétaires, dit aujourd’hui avoir une vision « ouverte sur la vie et l’expérience des autres ». Timide et réservé, il lance dans un sourire gêné : « Je n’ai pas beaucoup de problèmes. Ma famille et mes amis m’aident à avoir une vie normale. Je suis libre, j’ai de l’éducation. » Il explique qu’il y a trois catégories de personnes touchées par la lèpre en Mauritanie. « Les gens éduqués de la haute société qui prennent les médicaments à temps et rentrent chez eux sans handicap. Les gens comme moi, de la classe moyenne, qui ont la possibilité d’accéder au traitement mais souvent un peu tard et ont des séquelles à vie. Et enfin les gens très pauvres et analphabètes, qui représentent la majorité des malades, et vivent avec des handicaps graves. On ne peut pas dire qu’ils sont rejetés à 100% car chez nous ça n’existe pas, mais ils n’ont pas accès au monde du travail et sont poussés à la mendicité. »

Pour que sa légère infirmité ne soit pas une fatalité, Ahmedou semble avoir toujours eu de la suite dans les idées. Après sa guérison, il contacte l’Union nationale des personnes handicapées. raoul.jpg« J’avais entendu son président dire à la radio que les personnes handicapées ne devaient plus avoir de problèmes sociaux. Ça m’a intéressé. » Les membres de l’Union encouragent le jeune homme à créer une association d’handicapés de la lèpre. « Ils m’ont parlé de la Fondation Raoul Follereau, ce qui à l’époque était un nom très difficile à prononcer pour moi qui ne parlait pas encore français ! », se souvient-il en riant. Au-delà du nom, Ahmedou sait que Raoul Follereau finance des micro-projets de lépreux guéris. Il décide de passer à l’action, appelle « 5-6 frères lépreux », contacte le ministère de la Santé, le Programme de lutte contre la lèpre et tient la première assemblée générale de son association en 1991. Son but : monter des micro-projets individuels.

Soigner les lépreux

Avec 70 000 ouguiyas, Ahmedou se lance dans la vente d’allumettes et de cigarettes sur un petit plateau. Ça marche bien jusqu’à ce que certaines personnes du marché laissent entendre, au vu de ses séquelles, qu’il n’est pas complètement guéri… Ahmedou est obligé de déménager son petit commerce au siège de l’association mais les recettes sont moindres. Il demande alors au coordinateur du Programme de lutte contre la lèpre de lui trouver un endroit pour soigner les lépreux. Rien n’existe à Nouakchott en dehors du service dermatologique de l’hôpital. Avec un technicien supérieur de santé publique, il ouvre un centre où il soigne les plaies des malades trois fois par semaine. Pour résumer l’expérience, il cherche ses mots : « Dire que c’était difficile n’est pas assez fort… c’était plus que difficile ! »

« Au bout d’un moment, les gens m’ont dit : ‘tu perds ton temps avec les lépreux. tu n’es pas handicapé, trouves du travail !’ » C’est ce qu’il fait : il est engagé par un homme d’affaires pour s’occuper des plages à Nouadhibou. Pendant 4 mois, Ahmedou travaille. Sa conscience aussi. « J’avais mes amis lépreux au téléphone. Ils me disaient que l’association marchait mal sans moi. Je suis retourné à Nouakchott. Il fallait trouver des projets pour les lépreux guéris. »

Le parking miracle

Germe alors l’idée lumineuse : Ahmedou décide d’ouvrir un parking dans le quartier de Tevragh-Zeina. Son visage s’éclaire : « Le parking, c’est ma vie ! D’anciens lépreux mangent tous les jours grâce à cette activité. » Ses yeux brillent de fierté et il y a de quoi. Aujourd’hui, il gère 13 parkings, emploie quelque 46 salariés et fait vivre 300 familles ! « Pour le premier parking, j’ai fait moi-même le gardiennage pendant 25 nuits pour convaincre les gens. La première nuit, je n’ai eu qu’une seule voiture ! C’était un chanteur connu qui, au matin, m’a donné 50 ouguiyas. Je les ai partagé avec les deux personnes qui gardaient aussi l’endroit. C’est Raoul Follereau qui a financé le matériel de la première place de gardiennage : loge de gardien, gourdin, torche, nattes, chaises, fils électriques… »

Trois personnes sont responsables d’une place et se relaient jour et nuit. Les salaires varient en fonction des places gardées, de la présence ou non d’un grillage. Le prix moyen d’une place est de 100 ouguiyas. « L’idée a été acceptée par les riverains », affirme Ahmedou, satisfait. « Nous sommes devenus des acteurs du développement. Les sociétés nous font confiance pour garder leurs voitures : c’est la main handicapée qui travaille avec la main non-handicapée. » Avec l’initiative d’Ahmedou, c’est vraiment le geste qui compte, et pas la forme de la main qui le fait.

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