Le Maroc découvre la richesse de ses poubelles


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Petit à petit, le Maroc prend conscience du profit qu’il peut tirer de la transformation de ses déchets. Avec l’appui d’organisations non gouvernementales étrangères, qui tentent de convaincre le royaume de structurer un secteur d’activité rentable, mais abandonné à l’informel et donc mal exploité.

« La courbe de la protection de l’environnement doit suivre la courbe de l’industrialisation », estime Anne Pêcheur, administratrice de l’Organisation non gouvernementale (ONG) italienne Coopi (Cooperazione internazionale), qui œuvre à Nador, au Nord-Est du Maroc. Une assertion que le pays, qui compte parmi les plus industrialisés du continent africain, est loin d’appliquer. Alors que près de 40% des déchets sont recyclables, seuls 4 à 5% sont effectivement récupérés dans le pays. Mais les autorités s’aperçoivent petit à petit des richesses que recèlent leurs poubelles et leurs décharges. Un potentiel commercial dont le secteur informel s’est emparé depuis des dizaines d’années, mais qui ne peut être efficacement exploité, faute d’organisation. Des tonnes de déchets recyclables se retrouvent ainsi dans les décharges. Leur récupération constituerait une économie en matières premières (bois, papier, verre, plastique…), ainsi qu’en durée de vie pour la décharge. Le plan de gestion des déchets de la région de Tanger-Tétouan, réalisé par la coopération allemande GTZ (Coopération technique allemande) et le département marocain de l’Environnement, estime ainsi à 23,5 millions de dirhams (dh) la valeur économique des produits recyclables de la région, selon Le Matin, qui réalise un dossier sur le recyclage dans son édition du 29 novembre.

Le ministère marocain de l’Environnement, invité d’honneur du Salon de l’Environnement Pollutec, du 30 novembre au 3 décembre, à Lyon (France), apporte de plus en plus son soutien à des initiatives locales qui visent à sensibiliser la population et à élaborer un système efficace de récupération des déchets. C’est le cas pour Coopi, qui est arrivée à Nador, au nord-est du Maroc, en 1999. Son objectif était à l’origine de soutenir les artisans de la ville dans le pavage des rues. Mais l’ONG a fini par s’installer, devant le travail qu’il restait à effectuer en matière de recyclage. Elle mène depuis 2002 un projet de protection de l’environnement en partenariat avec l’Union européenne, l’Agence de promotion et de développement économique et social des provinces du Nord (APDN), le ministère de l’Environnement et la municipalité de Nador.

Structurer la filière existante

« Notre mandat, avec le ministère de l’Environnement, était de structurer la filière de recyclage déjà existante, et de sensibiliser la population à travers associations locales, écoles, journées de l’environnement… », explique Anne Pêcheur. La filière en question est constituée de « récupérateurs » méprisés, sans statut, qui s’échinent dans des conditions d’hygiène déplorables à ramasser bouteilles en plastiques, verre, cartons et autres déchets dans les rues de la ville. Pour un salaire journalier de 30 dh, pour les plus jeunes (7-15 ans), à 60 dh pour les plus vieux (plus de 16 ans), selon Le Matin. Intervient ensuite le grossiste local, également illégal, qui s’emploie à faire parvenir la matière récupérée aux usines de recyclage. Après deux ans de travail, Coopi est parvenu à faire éclore en juillet 2003 « l’Association des récupérateurs du papier carton » (ARPC). Premier rapprochement du genre, au Maroc, qui réuni essentiellement des grossistes.

« En se regroupant, les grossistes se sont dotés d’un porte-parole, ils effectuent des investissements communs… Une étude de marché a montré qu’ils ont nettement augmenté leurs revenus. Le problème de la ville de Nador est qu’elle se situe loin du centre économique du pays, et que le transport des déchets jusqu’aux usines de recyclage coûte cher. En achetant une presse commune, comme cela est prévu début 2005, les grossistes pourront effectuer une économie d’échelle conséquente, car ils pourront presser les déchets sur place et en placer une quantité plus importante dans les camions en direction du Nord. En ce qui concerne les pouvoirs publics, ces avancées diminuent les tonnages vers la société de collecte, et allonge la vie des décharges. Les choses vont moins vite avec les récupérateurs, difficiles d’accès, mais à terme, on espère aller vers plus de reconnaissance, notamment avec des tenues… », poursuit Anne Pêcheur.

L’autre pari du recyclage tient dans la reconnaissance de toute cette filière informelle. Les grossistes ont intérêt à officialiser leur activité, car étant illégaux, et donc expulsables du jour au lendemain, ils ne peuvent se permettre de trop investir dans leurs entreprises. Mais nombre d’entre eux, poussés par des mobiles économiques et non environnementaux, craignent d’être imposés si leur activité est reconnue. De leur côté, les autorités craignent de voir bientôt les récupérateurs, si ils sont reconnus, réclamer des fonds publics pour le service public qu’ils rendent.

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