Faire partager l’autre Afrique aux Américains


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Linord Rachel Moudou

Emigrée depuis plus de dix ans aux Etats-Unis, Linord Rachel Moudou est aujourd’hui à la tête d’une double émission radio et télévision, à Washington, dédiée à l’Afrique : « Spotlight on Africa ». La jeune Ivoirienne revient sur son parcours et partage, en toute humilité, les fondements de la mission qu’elle s’est assignée : montrer une autre image du Continent aux Américains. Un militantisme constructif également mis en œuvre au sein de Racines Heritage, l’association internationale qu’elle vient de créer.

Linord Rachel Moudou est la voix de l’Afrique aux Etats-Unis. Femme de média accomplie, elle a sa propre émission télévisée et radiodiffusée à Washington sur l’Afrique : Spotlight on Africa. Un titre dont la traduction littérale est pour le moins explicite : Coup de projeteur sur l’Afrique. La jeune Ivoirienne, installée aux Etats-Unis depuis plus de dix ans, défend l’image d’une Afrique authentique, riche et dynamique. Touchante et belle dans la simplicité de son combat, elle nous explique ses débuts et partage ses convictions. Œuvres utiles qu’elle entend également traduire en actions au sein de Racines Heritage, l’association internationale qu’elle vient de créer et dont les maîtres mots sont : rassembler, partager et agir.

Afrik.com : Le journalisme a-t-il été une vocation ?

Linord Rachel Moudou :
A l’école, j’étais assez forte en langue et je nourrissais un intérêt particulier pour tout ce qui était international. A 10 ans, je disais à tout le monde que plus tard je serais ministre des Affaires étrangères ! Après le lycée, j’ai été orientée vers une fac d’anglais et c’est là que j’ai affirmé ma volonté de faire du journalisme international. J’avais envie de bouger, de voir de nouveaux horizons.

Afrik.com : Les Etats-Unis étaient-ils un rêve ?

Linord Rachel Moudou :
Les Etats-Unis n’étaient pas vraiment un rêve. J’y suis arrivée par un simple concours de circonstance. Mes parents n’étaient pas rassurés de me voir partir seule dans un pays européen et comme j’avais déjà des frères et sœurs aux Etats-Unis, je suis partie les rejoindre pour poursuivre mes études.

Afrik.com : Comment avez-vous commencé dans les médias ?

Linord Rachel Moudou :
J’ai eu la chance de pénétrer le milieu des médias avant d’avoir terminé mes études en journalisme et relations internationales. Même si c’est l’audiovisuel qui m’intéressait avant tout, j’ai fait du freelance dans la presse écrite pour des journaux et magazines américains. J’ai donc été amenée à couvrir beaucoup d’événements. J’étais également correspondante pour le magazine Amina. C’est aussi grâce à des stages vers la fin de mes études que j’ai pu m’introduire dans les stations de télé et que j’ai commencé à apprendre concrètement le métier au contact des autres. Je faisais du montage, de la production et du doublage. Je me suis peu à peu construit un réseau de contacts que j’ai pu rappeler par la suite.

Afrik.com : Comment en êtes-vous arrivée à produire et réaliser vos propres programmes ?

Linord Rachel Moudou :
J’ai commencé par travailler pendant deux ans pour le journal africain de World Net TV (aujourd’hui Voice of America TV, ndlr). J’étais réalisatrice et je conduisais quelques interviews. La chaîne est une antenne gouvernementale et je me suis vite sentie limitée par rapport à mes ambitions personnelles. J’ai décidé qu’il était temps pour moi de partir. Je suis entrée à la chaîne PBS (Public Broadcasting System) en tant que productrice et présentatrice de l’émission Africa Plus. J’ai finalement décidé de commencer mes propres projets. J’ai monté ma boîte de communication pour faire des relations publiques et de la production audiovisuelle. C’est comme ça qu’est née, il y a quatre ans, l’émission Spotlight on Africa. Programme télé hebdomadaire que j’ai proposé à la PBS. J’ai décliné le concept en 2003 à la radio, avec un programme du même nom.

Afrik.com : Quel est l’esprit de Spotlight on Africa ?

Linord Rachel Moudou :
Je suis Africaine et je vis aux Etats-Unis. Les médias, et l’on s’en rend compte surtout ici, ont un pouvoir phénoménal pour faire passer des messages. Je ne peux peut être pas faire grand-chose pour mon Continent, mais je tiens à apporter ma pierre à l’édifice. Je souhaite montrer une autre image de l’Afrique. Celle qu’on ne veut pas montrer ici où comme le dit le dicton : « What makes news is bad news » (Ce qui fait l’information ce sont les mauvaises nouvelles, ndlr). Je souhaite montrer une Afrique qui se prend en charge. L’Afrique a encore beaucoup de travail à faire mais on y trouve énormément de choses à faire découvrir et énormément de gens qui se battent pour que les choses avancent.

Afrik.com : Comment sont perçus vos émissions ?

Linord Rachel Moudou :
Je reçois du soutien de toute part. Des personnes contents de voir et de découvrir autre chose que ce qu’on leur sert habituellement sur l’Afrique. Cela dépasse la simple communauté afro. Ça me rassure dans mes choix et m’encourage sur la voie que j’ai choisie. J’avoue que j’avais pris un gros risque en me lançant en tant qu’indépendant dans l’audiovisuel. J’étais en plein début de carrière quand j’ai décidé de sauter le pas. Je suis arrivée dans un milieu où il faut être compétitif. Je suis Africaine francophone. J’avais un accent. Beaucoup d’éléments jouaient en ma défaveur. Mais sans pour autant avoir l’instinct de sacrifice, je sentais qu’il fallait que quelqu’un le fasse. Je ne prétends pas sauver l’Afrique, mais je suis une passionnée. Parfois j’ai du mal à réaliser que moi, une petite Africaine, je suis invitée pour de grandes conférences ou pour faire des interviews de chefs d’Etats. En même temps cela me fait plaisir que les gens me reconnaissent comme une voix crédible et professionnelle. Aujourd’hui je souhaiterais me faire connaitre à l’exterieur des Etats-Unis et couvrir des événements en Afrique et dans les Caraïbes afin de mieux faire le pont entre les différentes communautés et être un meilleur relais ici.

Afrik.com : Quelle vision ont les Africains-Américains de l’Afrique ?

Linord Rachel Moudou :
Il y a une manipulation de la perception de l’Afrique par les médias. Comme tous les autres, les Africains-Américains jugent l’Afrique par rapport aux informations qu’ils reçoivent à la télévision : les guerres, la famine et le sida. Ceux qui ne voyagent pas n’ont pas vraiment l’opportunité de se faire une autre opinion. Mais même si les gens sont adultes et pourraient tout à fait chercher à aller plus loin, je ne les blâme pas pour autant.

Afrik.com : Les Africains-Américains ont-il une conscience africaine ?

Linord Rachel Moudou :
Il y a ceux qui revendiquent une identité africaine mais qui se contentent de mettre des vêtements aux motifs africains ou fait à partir de pagnes traditionnels ou de bogolan. Beaucoup s’arrêtent et ne vont pas au-delà. Mais il y en a qui ont une démarche plus vraie, plus profonde et plus active par rapport au Continent. Comme l’acteur Danny Glover ou Andrew Young (ancien ambassadeur des Etats-Unis aux Nations Unies et ancien maire d’Atlanta, ndlr). Ils sont très impliqués, contrairement à certaines marionnettes, qui, pour des raisons politiques ou pour des raisons d’image, se font les avocats d’une Afrique qu’ils ne connaissent même pas et où ils n’ont jamais mis les pieds.

Afrik.com : Existe-t-il des conflits entre les Africains-Américains et les Africains de l’immigration ?

Linord Rachel Moudou :
Je ne dirais pas qu’il existe des conflits entre les Africains-Américains et les Africains de l’immigration. C’est vrai qu’il y a quelques fois des préjugés de la part des uns et des autres, par exemple, certains Africains préfèrent ne pas trop se mêler aux Africains-Américains qu’ils trouvent soit trop superficiels, soit trop agressifs ou pas assez cultivés. D’autre part, certains Africains-Américains se méfient des Africains car ils pensent que nous leur enlevons du travail. D’autres ne s’identifient pas à l’Afrique car ils estiment que nos réalités historiques et même présentes ne sont pas les mêmes. D’ailleurs, le terme « africain-américain » est un peu à géométrie variable dans son interprétation. Moi par exemple, je suis Africaine d’origine et Américaine d’adoption, je me considère donc comme étant Africaine-Américaine. Mais par exemple Alan Keyes, l’ex-challenger de Barack Obama aux dernières élections sénatoriales pour l’Etat de l’Illinois, estime pour sa part que ce dernier dont le père est kenyan ne pouvait se prétendre d’héritage Africain-Américain car, d’après lui, même s’ils sont tous deux de race noire, Mr. Obama n’est pas descendant d’esclave.

Afrik.com : Que pensez-vous de ces clivages ?

Linord Rachel Moudou :
Nous nous devons de dépasser ces préjugés qui ne font que nous diviser, ralentir notre développement et nous rendre moins compétitifs sur le plan global. Il est nécessaire pour notre génération de faire de telle sorte que nous puissions établir des échanges dans nos communautés et sur le plan international afin de mieux se connaître car une chose est certaine, que nous soyons africains, africains-américains, africains-européens ou antillais, nous partageons les mêmes racines.

Afrik.com : Vous avez monté l’association Racines Heritage, dont le parrain est le célèbre écrivain antillais Aimée Césaire. Quel est le but de l’initiative ?

Linord Rachel Moudou :
C’est un honneur pour nous d’avoir pu obtenir le soutien de Mr. Aimé Césaire, ce grand homme légendaire qui est un père spirituel pour nous tous. La mission de Racines Heritage est de servir de lien entre les peuples d’Afrique et de la diaspora en contribuant au développement économique et social. Nous avons divers programmes d’activités. Sur le plan culturel, ce sont des festivals, des expositions et des concerts qui sont prévus entre autres. Nous préparons aussi un grand événement dont on parlera au moment opportun. Racines Heritage se veut un lieu de rencontres et d’échanges. Nous comptons également organiser des voyages en Afrique, aux Etats-Unis et dans les Caraïbes pour combler le fossé entre l’Afrique et la diaspora. Des activités communautaires vont également être mises sur pieds en Afrique, dans les Antilles et ailleurs. Nous accordons une place particulière à l’éducation, dont l’importance n’est plus à rappeler. Notre but est d’offrir des bourses d’étude, de fournir du matériel scolaire, d’organiser des échanges d’étudiants et de faire des jumelages d’écoles. Cette association a très vite suscité l’intérêt des Noirs américains qui disent y trouver un moyen de pouvoir se reconnecter à leurs racines africaines, et aussi pouvoir établir un lien avec leurs frères et soeurs africains et antillais à travers le monde.

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