Le nombre de mariages en baisse en Algérie


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Deux mains qui forment un coeur
Deux mains qui forment un coeur

Les jeunes Algériens se marient moins et plus âgés. Alger compterait à elle seule 800 000 célibataires. Crise du logement, et donc promiscuité, chômage, et donc manque de moyens, sont autant de barrières à une vie de couple unie par les liens du mariage.

C’est une blague algérienne classique : « C’est l’histoire d’un type qui tombe amoureux d’une voisine. Il la suit de loin pendant des mois, sans lui adresser la parole, en prenant garde qu’elle ne le remarque pas. Un jour, dans la rue, il la voit soudain faire la bise à un garçon. Alors il se rue sur l’inconnue et hurle : « Maintenant, entre toi et moi, c’est fini ! » ».

Décryptée par le célèbre humoriste Fellag, elle a quelque chose en plus : « Je vais vous raconter ce qui se passe dans la tête du type de la blague. Il se dit: « Si je parle à cette fille, elle va me jeter, ce sera la honte. Mais si elle accepte, je vais être encore plus humilié. Moi, je n’ai pas de travail, pas de logement. Je n’ai pas les moyens de l’épouser et ce sera encore plus difficile pour moi de renoncer à elle à ce moment-là ».» Voilà, résumée en quelques mots, la situation des jeunes Algériens qui se marient de moins en moins et de plus en plus tard.

Ainsi, les derniers chiffres officiels font état de 800 000 célibataires, hommes et femmes confondues, pour la seule ville d’Alger qui compte 2,8 millions d’habitants. Pour Sétif, à l’est, et Oran, à l’ouest, c’est à peu près kif-kif : les deux villes abriteraient presque 1 million d’âmes esseulées. La moitié des Algériens de plus de 15 ans est célibataire et ces derniers repoussent toujours un peu plus l’âge du mariage. Aujourd’hui, les Algériens se marient en moyenne à 33 ans et les Algériennes à 30 (l’âge moyen au mariage était de 18 ans pour les filles en 1966).

Pas de logement, pas de travail

« La vie des jeunes est difficile en Algérie », explique la responsable de la rubrique « Le Club de l’Amitié » du quotidien Le Soir d’Algérie. « Le premier problème qui empêche les jeunes de se marier, c’est la pénurie de logement, le deuxième problème, c’est le chômage dont ils sont victimes. Les jeunes hommes, notamment, sont incapables de devenir responsables d’un foyer. Ils sont en proie à l’ennui, à l’angoisse, ils sont stressés, nerveux. En Algérie, vous êtes encore mal considéré lorsque vous n’êtes pas marié, mais comment faire lorsqu’on ne peut pas se marier ? » plaide-t-elle.

Sa rubrique, qui existe depuis 1991, permet à la jeunesse algérienne ne nouer contact. On y parle beaucoup d’amour et de mariage. Souvent de façon pessimiste ou désespérée. « Je suis un homme âgé de 36 ans qui a beaucoup souffert », précise ainsi l’un des lecteurs. « Possédant un diplôme d’ingénieur d’Etat, j’ai bricolé plusieurs années dans l’enseignement mais aussi dans le commerce, la maçonnerie… en vain. Je n’arrive pas à avoir un poste de travail convenable, actuellement je suis au chômage. Dans une situation pareille, mes amis me poussent au mariage en disant de le considérer comme un projet. En d’autres termes, chercher une femme compréhensive qui travaille, c’est mieux que de rester célibataire éternellement ! Moi, je préfère souffrir seul en silence plutôt que de faire souffrir une femme. »

D’abord les études

Le recul de l’âge au mariage s’explique également par l’amélioration du niveau d’instruction des femmes. Celles-ci sont plus nombreuses à faire des études supérieures et, chose nouvelle, les font passer avant leur vie personnelle. Anissa, 25 ans, veut devenir gynécologue. Il lui reste deux ans de spécialisation et elle n’envisage pas de se marier avant cela.

« J’ai un fiancé qui est lui aussi en médecine et nous sommes d’accord pour ne pas nous marier tout de suite. Il faut d’abord que nous gagnions de quoi louer un appartement. Nos deux familles sont plutôt modestes. Je vis actuellement avec mes 5 frères et sœurs et mes parents dans 40m2 ! C’est compliqué et il est hors de question qu’une fois mariée, je m’installe avec eux. Chez mon fiancé, c’est pareil », explique-t-elle. « Et puis, je préfère miser sur mon avenir professionnel… un mariage, ça peut finir en divorce, alors qu’un vrai travail, ça n’a pas de prix ! »

Les femmes instruites attendent aussi le « meilleur parti » avant de se faire passer la bague au doigt, quitte à repousser l’union. D’autres ne trouvent même pas le temps pour la bagatelle. Ce qui donne des situations parfois surréalistes. Younès, universitaire de 33 ans, en a fait les frais l’année dernière. « Mes parents m’ont fait rencontrer une jeune femme de mon âge, médecin. Nous avons pris un café, elle m’a expliqué que ses horaires de travail ne lui permettaient pas de flirter mais qu’elle aimerait pourtant se marier car le célibat lui pesait. Une semaine plus tard, elle me téléphonait pour me dire qu’elle acceptait de se marier avec moi parce-qu’elle m’avait trouvé sympathique ! On ne se connaît pas, on ne ressent rien l’un pour l’autre… j’ai refusé bien sûr ».

Younès, qui vit encore avec ses parents et ses trois sœurs dans le centre d’Alger, se dit qu’il sera bientôt trop vieux pour se marier. Il n’ose même plus tomber amoureux. La dernière fois que cela lui est arrivé, ses parents ont refusé son union car la jeune fille ne leur convenait pas…

Mariages d’amour

« Les mariages d’amour sont rares, se lamente Sarah, une internaute du Club de l’Amitié. « Certains parents empêchent leur fils ou leur fille de se marier avec l’être aimé. Ils ne se rendent pas compte qu’ils détruisent ainsi leur enfant, font de lui un être haineux et tuent toutes ses ambitions. Quel gâchis ! ». Alors, pour vivre leurs amours heureux, les jeunes Algérois préfèrent les vivre cachés.

C’est le cas de Mohamed, ingénieur de 29 ans au chômage. Au choix : une salle de cinéma, un jardin ou l’un des bancs de Notre-Dame-d’Afrique, accueillent ses rencontres avec Saïda, sa fiancée, étudiante de 25 ans. « Pour nous voir, l’hôtel coûte trop cher et en plus, il faut présenter son livret de famille pour partager une chambre ! Je n’ai pas de logement et pas d’argent, je ne peux pas lui proposer le mariage. La cérémonie coûte trop cher », indique-t-il.

Pour aider les jeunes couples qui, malgré la crise ambiante, choisissent tout de même de convoler, certaines associations caritatives musulmanes organisent des mariages collectifs. Des dizaines de couples assistent alors à la même cérémonie. Et l’honneur est sauf.

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