Sainte selon l’Islam


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islam au feminin

Il y aura bientôt 1 200 ans que disparaissait Râbi’a al-‘Adawiyya, qui est née, a vécu, est morte à Basra, âgée de plus de quatre-vingts ans. Elle représente l’une des sources fondamentales du soufisme, et la première grande mystique islamique, porteuse d’un amour absolu de Dieu. Cet anniversaire mérite un retour sur sa pensée…

La femme tenue à l’écart, méprisée, bafouée, masquée, telle est l’image défigurée de l’Islam que propagent à la fois ses adversaires et les intégristes wahhabites qui sont sans doute aujourd’hui ses ennemis les plus dangereux, parce que puissants en son propre sein…

Comme il est bon et utile alors de se replonger dans la véritable tradition des docteurs et des croyants de l’Islam du commencement ! Comme il est agréable de relire par exemple la pensée et la poésie de Râbi’A Al-‘Adawiyya, mystique musulmane née et morte à Basra, issue d’une famille misérable, originellement musicienne, flûtiste, au service d’un riche marchand, quasiment esclave en sa maison. Jusqu’à ce qu’il la découvre en prière, illuminée d’une lumière sacrée, et qu’il choisisse de la libérer pour qu’elle puisse étudier l’Islam à son gré, et se dévouer au service de son seul Seigneur…

Un siècle après Mahomet

Nous sommes alors un peu plus d’un siècle après la mort de Mahomet, et l’on vient d’assister à l’extension militaire rapide de l’Islam sur la rive Sud de la Méditerranée, qui conquiert l’Espagne et qui ne sera bloquée qu’à Poitiers, en France. C’est le moment où la religion nouvelle éprouve le besoin de refonder sa vitalité par une nouvelle quête spirituelle : nombreux sont les ascètes ou les hommes de grande piété qui choisissent alors la voie de la mystique.

Râbi’a al-‘Adawiyya est au premier rang de ces croyants passionnés qui font alors rimer soumission à Dieu avec rigueur et pauvreté librement consenties. Mais là n’est pas l’originalité de sa pensée : elle tranche d’abord sur la tradition en mettant au second plan les promesses ou menaces qui pèsent sur les âmes des mauvais croyants après leur mort, et en plaçant au premier plan, dans sa ferveur, l’amour de Dieu.

Un amour transcendantal

Un amour absolu, sans contrepartie, qui ne saurait être l’objet d’un marchandage sur l’avenir :  » Je ne l’adore ni par crainte de son feu, ni par amour de son Paradis -je ne serais alors qu’un vil serviteur ne travaillant qu’en vue du salaire- mais je l’adore par amour de lui, dans le désir ardent de lui seul…  » Cette adoration est celle d’une grande mystique, qui rejette toute médiation entre elle et la transcendance dont elle perçoit l’Unique puissance : il a été rapportée qu’à une question qui lui était posée sur l’amour qu’elle portait au Prophète, elle répondit que son  » amour du Créateur l’avait totalement détachée de l’amour des créatures.  » Que Mahomet se le tienne pour dit, lui qui restait indéniablement  » une créature  » du Créateur.

Le poète mystique persan ‘Attâr qui évoque sa haute figure souligne «  qu’on la vénérait comme une seconde Maryam, pure d’une pureté transparente  » en soulignant que  » Lorsqu’au jour de la résurrection les élus seront appelés, la première à s’avancer, dans le rang des hommes, sera Maryam.  » La mère de Jésus, Maryam, comme on sait, tient en effet dans le Coran une place éminente.

Adoptée par les chrétiens

Le Roi de France Saint-Louis rapporta dans son pays, de la Croisade, l’image de Râbi’a al-‘Adawiyya, et de son amour exclusif et absolu de Dieu, incompatible avec toute demi-mesure et tout calcul de probabilité sur la foi… Parce qu’il avait été impressionné par son exemple, il le répéta et la tradition chrétienne se l’appropria sous les traits d’une  » Sainte Caritée  » que l’évêque Camus, bien plus tard, dans le débat sur le quiétisme du dix-septième siècle chrétien, utilise pour traiter du Pur Amour de Dieu…

Il n’est pas inutile aujourd’hui de se souvenir du parcours spirituel de cette femme exemplaire, capable d’inspirer au-delà des mers, et malgré les frontières des religions. Hors de tout syncrétisme absurde, une vérité subsiste : la foi, qui déplace des montagnes, n’est rien sans l’authenticité de cette relation avec le Créateur. Et ce qu’elle nous dicte vraiment est toujours du côté de l’amour et du don, jamais du côté de la haine.

A lire, deux références : Schimmel A. L’Islam au féminin, Albin Michel, 2000.

et Le Livre des Sagesses, Bayard, 2002.

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