La foi par voie orale


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Drapeau de la Côte d'Ivoire
Drapeau de la Côte d'Ivoire

Officiellement reconnue comme confession religieuse depuis plus de 40 ans en Côte d’Ivoire, l’Eglise Déhima est basée sur l’oralité. Au centre de la doctrine, une prophétesse analphabète, aujourd’hui disparue, qui a su convaincre de la sincérité de sa foi.

Avec à peine 70 ans d’existence, la religion Déhima est une toute jeune confession. Officiellement reconnue par la Côte d’Ivoire en 1960, elle regroupe aujourd’hui 1,6 millions de fidèles dans le pays autour d’une même foi, basée sur le principe fondamental de l’oralité.

Pas de Bible, en effet, pour les prêches, mais des paraboles héritées de la prophétesse fondatrice de l’Eglise.

Bagué Wlouyo naît en 1892 avec sa doctrine. Très jeune, elle annonce qu’elle est sur terre pour remplir une mission divine. A l’âge où toutes les femmes prennent époux, elle déclare qu’elle n’est pas venue pour ça mais pour apporter la parole de Dieu. Pourtant, après la mort de son père, sa famille la pousse vers des noces qu’elle refuse de tout son être.

Elle prédit que si on lui forçait la main, un grand malheur surviendrait : son mari disparaîtrait prématurément et sa grande soeur tomberait malade. Son oncle ne prête aucune attention à ses élucubrations pleines de sombres présages. Présages qui s’avéreront pourtant exacts. Mais la tradition africaine a, elle aussi, tout prévu et indique qu’en cas de décès du conjoint, c’est à l’un de ses oncles ou cousins de le remplacer au pied levé. C’en est trop pour la jeune fille qui finit par sombrer dans la folie. Un état qui durera 12 ans. 12 ans pendant lesquels elle aurait été en contact avec Dieu.

Rencontre avec Houphouët-Boigny

Sortie de son univers spirituel intérieur, elle commence à prêcher publiquement en 1935. Elle demande aux gens d’arrêter la sorcellerie et les fétiches pour se tourner vers Dieu. Un discours qui en séduit plus d’un. Les rangs de ses fidèles commencent à se remplir. Seulement voilà, les autorités coloniales voient d’un mauvais oeil ce nouvel évangéliste qui fait de l’ombre aux Eglises protestante et catholique. Complètement analphabète, elle n’a jamais été à l’école et ne sait ni lire ni écrire. Alors on l’accuse d’être à la tête d’une secte.

Si du côté des Blancs le dialogue est bloqué, la prophétesse trouve un appui auprès des siens en la personne de Félix Houphouët-Boigny, alors député ivoirien. Celui qui deviendra le premier président du pays, lui prête une oreille attentive et lui accorde l’autorisation de prêcher sa religion sur tout le territoire. Après une enquête de moralité menée par le gouverneur français Pêchoux, l’administration coloniale lui emboîte le pas en 1960 pour reconnaître officiellement la légitimité de l’église Déhima. Une reconnaissance que la prophétesse n’aura pas le loisir d’apprécier : elle meurt en 1951.

Hiérarchie religieuse

Pour poursuivre l’oeuvre de la prophétesse, son Eglise s’est dotée d’une nouvelle organisation religieuse. Les pawabas, équivalents des évêques dans la religion catholique, sont les plus hauts dignitaires déhimas. Ils sont les garants des deux cent dix églises ivoiriennes et sont chargés de préparer l’eau bénite qui  » assure la protection par Dieu contre tous les sorciers et les fétiches « , explique l’un des trois Chefs suprêmes adjoints de l’Eglise. Viennent ensuite les déhimabas, chargés de surveiller l’eau bénite et de délivrer des envoûtements, les évangélistes qui assurent les baptêmes et les prédicateurs qui assument l’office et les confessions.

 » La Bible, c’est la première écriture de Dieu. Pourquoi utiliser la Bible pour prêcher ? Ce serait comme une tricherie. Nous avons notre propre liturgie. Elle est basée sur des paraboles que la prêtresse nous a laissées. Paraboles qui font l’objet d’explications « , précise le Chef suprême adjoint sur le fonctionnement de l’office.  » Nous reconnaissons la Croix, les cendres, l’eau et la Bible. Mais tout l’enseignement repose sur l’oralité « .

Abidjan abrite huit des plus importantes églises dont la plus grande, dans le quartier de Yopougon, peut accueillir près de 3 000 personnes. La confession, qui reste toutefois essentiellement rurale, ne jouit d’aucune subvention de l’Etat. Elle assure sa subsistance par la quête au sein des fidèles dont 80% sont des Baoulés, anciens grands féticheurs animistes. Elle se fait une fierté de vivre en parfaite harmonie avec les autres Eglises ou religions du pays. Une preuve peut-être qu’il existe plusieurs chemins vers Dieu.

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