Allô monsieur Sassou, votre « Chemin d’avenir » est introuvable !


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Dans quelques mois, Denis Sassou Nguesso aura effectué presque la moitié de son dernier mandat (?) Le « Chemin d’avenir », le projet de société sur lequel il a été « réelu » (?) a-t-il été tracé ? Quel est le bilan à mi-parcours ? Quoi qu’il en soit, ce qui semblait être un immense alléluia s’est révélé, en vérité, un chant funeste que les Congolais – surtout les hommes politiques eux-mêmes -, n’osent pas entonner. Décryptage.

A vos marques… Prêts ? Partez ! Avec les foulées d’un coureur de fond, le Congo s’est lancé dans un long marathon vers l’oubli. Oui, le « Chemin d’avenir » est devenu infréquentable, trop brumeux. Plus personne au Congo ne l’emprunte, pas même le ministre des Télécommunications Thierry Moungalla, d’habitude chez qui la diarrhée emphatique et la paraphrase « volent en escadrille ». Thierry Moungalla s’est bizarrement tu, comme par perte de réseau. En fait, le « Chemin d’avenir » s’apparente à un téléphone portable sans réseau. On a beau l’appeler mille fois ou lui envoyer des SMS, impossible de le joindre.
A défaut donc de trouver le « Chemin d’avenir », ce sont Les Dépêches de Brazzaville qui en parlent. Mais ce quotidien – où l’on manie la litote et l’euphémisme à merveille – a réduit le « Chemin d’avenir » dans son éditorial du 13 mars dernier à un simple « programme ambitieux ». Extrait : « Au programme très ambitieux du « Chemin d’avenir » va donc maintenant s’ajouter la reconstruction, à Brazzaville, des quartiers de Mpila et de Ouenzé dévastés par l’explosion du 4 mars.»
Sacrilège ! Le « Chemin d’avenir » n’est plus un projet de société mais un programme. Or on élit un président sur un projet et non sur un programme. Le projet inclut vision, philosophie, aventure collective… C’est le projet qui impulse le programme, et nul besoin d’être Platon pour le savoir. Le « Chemin d’avenir » comme projet n’était donc qu’une belle et grande imposture.

Et, sans vouloir franchir l’iconostase de la retenue, le deuil que vit actuellement le Congo n’exclut pas le devoir du bilan du mi-mandat. Combien d’emplois ont-ils été crées depuis 2009 ? Les détournements de fonds publics ont-ils régressé ? Les vendeurs de médicaments – ces empoisonneurs légaux – du Marché Total ont-ils été chassés ? Les salaires des fonctionnaires ont-ils augmenté ? Les délestages sont-ils devenus intermittents ? Les Congolais ont-ils désormais un accès plus facile à l’eau ?… La réponse à la dernière question se trouve dans Les Dépêches de Brazzaville du 14 mars :  » L’accès à l’eau potable demeure un problème majeur pour la majorité de la population « , ont-elles titré dans leur bulletin consacré aux infrastructures. Et de rapporter la citation des plaignants de Pointe-Noire :  » L’eau, c’est la vie, et si on n’y a pas accès, c’est l’un des pires crimes que l’homme peut subir en plein XXIe siècle. » (Décidément, avec le premier quotidien du Congo, on ne sait plus sur quel pied danser : un jour, il estime que le « Chemin d’avenir » est un « programme ambitieux » , un autre jour, il montre les failles criantes de ce même programme. Toutefois, on peut lui accorder une circonstance atténuante : « L’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens. »

Le drame qui a traumatisé récemment le Congo relève en grande partie de la constance et la cohérence dans l’incurie de « Son Excellence » Denis Sassou Nguesso. Son « Chemin d’avenir » rime avec vacuité et désert. Zéro pointé pour l’urbanisme, l’habitat, les transports, l’éducation, la santé… Une seule lueur sombre a jailli de cette voix sans issue : le pillage des deniers publics. Et si l’architecte du fictif « Chemin d’avenir » écrabouille la classe politique – l’opposition est incapable d’articuler des exigences concrètes au-delà d’un cri aphone « Sassou, dégage ! » ou de l’anti-Sassou primaire, incapable aussi de faire réveiller une société civile profondément dormeuse -, son nom ne sera certainement pas inscrit dans le Larousse et l’inconscient congolais. «Il ne restera de lui qu’un long Boulevard qu’il faudra sans aucun doute débaptisé», souhaite sous couvert d’anonymat un élu du parti présidentiel, le PCT.

Sur le « Boulevard des illusions perdues »

« N’avez-vous pas entendu parler de ce fou qui allumait une lanterne en plein jour et se mettait à courir sur la place publique en criant sans cesse : je recherche Dieu ? » (Nietzsche). Jean-Louis, 52 ans, ingénieur au chômage depuis trente ans, est déterminé aujourd’hui à aller rechercher le « Chemin d’avenir », en plein jour, avec une luciole. Sa femme le traîte de « fou » mais lui n’en a cure. Il ne veut plus perdre du temps. Il enfourche alors un Djakarta, un scooter emprunté à un ami, il file lentement à l’aéroport. Devant le premier module flambant neuf, il s’avance vers un agent des Douanes. « Je cherche le « Chemin d’avenir », monsieur. C’est par où?», lui demande-t-il, avant d’ajouter : « On m’a dit que qui suit le « Chemin d’avenir », trouve du travail ». Le douanier fronce ses sourcils. « Je ne sais pas ce que c’est, mais il y a là en face de vous le Boulevard Denis Sassou Nguesso, si c’est ça que vous recherchez », lui répond-il d’un sourire sardonique.

Jean-Louis remonte sur le scooter et arrive en face de la splendide villa de l’inutile ministre de l’Urbanisme, Claude Nsilou. Mais il n’y a personne ici pour lui indiquer le « Chemin d’avenir », tant tout est d’un calme monacal à l’intérieur. Il pénètre alors dans la cour du laboratoire de lutte contre les grandes endémies. A peine éteint-il le moteur de son scooter qu’il voit un gros rat se pavaner fièrement près de la porte d’entrée du bureau du directeur. Il supplie la femme qui l’y accueille de l’embaucher ici, même en agent de nettoyage. La réponse est négative. Il remonte sur son scooter, bifurque par un petit chemin et stationne aux pieds d’un immeuble en verre. Il pose la même question à un homme qui descend d’un splendide 4×4. « Je crois que vous vous êtes trompé d’endroit, monsieur. Ici nous sommes au ministère de l’Energie et de l’hydraulique, nous n’y faisons rien pour l’eau et le courant. Mais j’ai une petite idée : la route Brazzaville-Pointe-Noire sera finie d’ici trois ans, d’après le délégué aux grands travaux », lui dit-il. Jean-Louis ne se décourage pas, il rallume le scooter et emprunte de nouveau le Boulevard Denis Sassou Nguesso. Au rond-point du Centre culturel français, deux fulla-fulla furieux ont failli se percuter, la circulation y est difficile. Les deux chauffeurs s’invectivent. Jean-Louis, lui, réussit à sortir de cet embouteillage mais un policier le somme de se mettre sur le côté. Il a beau lui répéter qu’il est pressé et à la recherche du « Chemin d’avenir », rien n’y fait. Le policier menace d’envoyer son scooter à la fourrière. « J’ai besoin de manger et de boire une Ngok », ajoute-il. Jean-Louis comprend qu’il a besoin d’un madesou ya bana. Il lui file le seul billet de 1000 francs CFA dont il dispose. A quelques mètres se trouve le commissariat central. Ici, le moteur de son scooter s’arrête brutalement. Panne d’essence. A nouveau, un policier le somme de se mettre sur le trottoir. Interdit d’aller au-delà : le gouvernement tient son deuxième conseil des ministres du trimestre, au palais présidentiel. Le point le plus important de l’ordre du jour demeure la lutte contre la chaleur. D’ores et déjà, les « Excellences » envisagent d’équiper le ciel brazzavillois de climatiseurs haut de gamme.

Jean-Louis va de soupirs en soupirs. Il était parti de chez lui avec la ferme intention de trouver une agence pour l’emploi ou quelque chose qui y ressemble, il repart dépité. En fait, le » Chemin d’avenir » est un projet mort-né, inhumé à Itatolo ou au Père-Lachaise des illusions perdues. Paix à son âme !

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