Egypte : l’après Moubarak reste incertain


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L’heure de rendre des comptes a sonné pour l’ancien régime. Suzanne Moubarak, l’ex-première dame, mise en détention la semaine dernière, a été libéré ce mardi, seulement après qu’elle a remis ses avoirs à l’Etat. Hosni Moubarak, toujours détenu à Charm el-Cheikh, devrait présenter des excuses publiques à la Nation pour espérer bénéficier d’une amnistie. Malgré la volonté de l’armée de rétablir l’ordre, le pays est en proie à une grande insécurité. Une situation qui a de lourdes conséquences sur l’économie.

L’ancien régime mis à nu. Suzanne Moubarak, 70 ans, l’ex-première dame qui avait été mise en détention préventive la semaine dernière dans le cadre d’une enquête sur sa fortune, a été libérée ce mardi. Elle a dû auparavant remettre ses avoirs à l’Etat estimés à 24 millions de livres égyptiennes. Hosni Moubarak assigné à résidence à Charm el-Cheikh dans le cadre d’une enquête pour corruption ainsi que pour la répression meurtrière de manifestations qui réclamaient son départ, devrait présenter prochainement des excuses publiques retransmises à la télévision pour espérer bénéficier d’une amnistie.

Mais malgré cette mise en lambeaux de l’ancien régime, tombé le 11 février, le pays est loin d’être arrivé au bout de ses peines. L’armée qui assure désormais la transition politique a marqué sa volonté d’assurer la sécurité, mais la réconciliation avec l’ordre semble difficile. Les violences entre musulmans et chrétiens ont repris de plus belle. Le dernier bilan fait état d’au moins 15 morts et plus de 200 blessés, lors de heurts entre les deux communautés le week-end du 6 et du 7 mai, selon le ministère de la santé.

Contestation populaire contre Israël

D’autre part, la colère grandit contre l’occupation Israélienne en Palestine. Des milliers d’égyptiens se sont rassemblés lundi devant l’ambassade d’Israël au Caire pour soutenir les Palestiniens, lors de la commémoration de la Nakba, journée qui marque la création de l’Etat d’Israël en 1948 et qui constitue une « catastrophe » pour eux. Près de 350 personnes ont été blessées, lors d’affrontements avec les forces de l’ordre, qui ont fait usage de gaz lacrymogène pour disperser la foule. Les manifestants brandissaient des drapeaux palestiniens et scandaient de virulents slogans à l’encontre d’Israël. L’Egypte a été le premier pays arabe à avoir tendu la main à Israël en signant les accords de paix en 1979. Mais l’Etat Hébreu est très impopulaire au sein du peuple.

Ancien ministre des Affaires étrangères de Hosni Moubarak, Amr Moussa, qui était à la tête de la Ligue arabe avant qu’il ne soit remplacé dimanche par Nabil-al Arabi, pense que son pays doit prendre davantage de distance avec Israël et être moins aligné sur les États-Unis que du temps de l’ancien dirigeant. « La relation entre les Américains et l’Égypte doit rester forte et franche, une relation respectable, pas une relation de quelqu’un suivant quelqu’un d’autre. Les politiques que nous avons vues n’étaient pas appuyées par le peuple, ni comprises par beaucoup », a-t-il déclaré à l’AFP. « La cause palestinienne à une base et des principes sur lesquels les Arabes sont d’accord, et nous travaillerons sur leur base », a-t-il affirmé, en référence à la proposition de la Ligue arabe en 2002 de reconnaître Israël en échange de son retrait des territoires arabes occupés.

Cap sur les élections

Les élections présidentielles prévues avant la fin de l’année et les législatives en septembre pourraient constituer une solution à l’insécurité qui menace le pays. L’armée a promis de les organiser dans la transparence pour marquer la rupture avec l’ancien régime. Les Frères musulmans, le plus influent mouvement d’opposition, ont créé leur propre parti le 31 avril avec pour ambition de briguer la moitié des sièges aux législatives. Ils l’ont intitulé «Parti de la liberté et de la justice». « Ce sera un parti civil et non théocratique », avait assuré Mohammed Hussein, son secrétaire général, car la Constitution interdit les partis fondés sur la religion. Bête noire du régime de Hosni Moubarak, ils étaient officiellement bannis de la sphère politique égyptienne, mais restaient tolérés dans les faits.

Une économie en baisse de régime

La stabilisation de la situation politique n’est pas le seul défi que le pays doit relever. L’économie a également été touchée de plein fouet par le soulèvement populaire. Selon le ministère de l’Economie, elle tourne à 50% de sa capacité et les exportations ont chuté de 40% depuis janvier. Les grèves auraient à elles seules coûté 1,1 milliard de dollars au budget. « Les manifestations, de même que les grèves dans un grand nombre d’entreprises du secteur public après la révolution ont ralenti la production, affaibli la productivité et réduit les revenus de nombreuses compagnies », selon Rachad Abdo, professeur d’économie à l’Académie Sadate. La situation est si préoccupante que le gouvernement n’a pas eu d’autre choix que de solliciter l’aide internationale. Il a récemment fait parvenir une demande de prêt au Fonds monétaire international (FMI), et a estimé qu’un montant de 10 à 12 milliards de dollars serait nécessaire pour redresser la situation. Ce qui risque de ne pas être une mince affaire, dans un pays de 84 millions d’habitants, dont la moitié vit avec moins de deux dollars par jour. L’Egypte est invitée avec la Tunisie à participer au G8 de Deauville qui se tiendra fin mai pour adopter des plans d’actions afin de soutenir la transition démocratique dans ces pays pionniers du « printemps arabe ».

Le secteur vital du tourisme, autrefois en pleine expansion, n’a pas été épargné. Il a perdues 2,27 milliards de dollars de recettes depuis le début de l’année, selon le ministre du Tourisme, Mounir Fakhri Abdel Nour. Alors que les visiteurs commençaient à revenir, les récents affrontements entre musulmans et chrétiens au Caire ont fait à nouveau chuter les réservations, a-t-il précisé. Pis, l’inflation a augmenté de 12,1% en avril, son plus haut niveau depuis mars 2010. Une situation qui a eu de lourdes conséquences sur les prix des denrées alimentaires, qui se sont envolés.

Le FMI a estimé en avril que la croissance devrait être de 1% cette année, contre 6% espérés avant les événements de janvier et février. L’Institut de la finance internationale, qui regroupe les plus grandes banques de 70 pays, a quant à lui estimé que le produit intérieur brut du pays pourrait chuter de 2,5%. Toutefois le ministre des Finances, Samir Radwan, s’est voulu confiant sur le long terme, lors d’une récente intervention publique. « Malgré les pertes, les bases de l’économie égyptienne restent fortes, et ce qui a été réalisé avec la révolution en termes de vraies réformes démocratiques surpasse les manques à gagner et leurs conséquences », a-t-il jugé. Il s’est notamment déclaré confiant dans les investissements venant des pays du Golfe, en particulier du Qatar et de l’Arabie saoudite. Mais Khaled Ali, qui dirige le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux, n’est pas du même avis. Il estime qu’il « faudrait avant tout revoir le budget pour relancer l’éducation, la santé, la protection sociale et augmenter les salaires. Il faut désormais donner aux travailleurs égyptiens les moyens d’une vie digne ».

L’ère Moubarak est loin d’être révolue. Les défis pour tourner la page après trente ans de dictature sont de taille. L’insécurité grandissante est l’un des plus grands obstacles que rencontre l’armée. Pourtant stabiliser le pays semble plus que jamais indispensable pour éviter qu’il ne sombre dans le chaos.

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