Poème d’Ernest Pépin à Edouard Glissant: La belle parole du monde


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arton21941

POUR EDOUARD GLISSANT

Tant de paroles offertes aux mains du monde

Remaillées aux fleuves souterrains

De grands chaos nous guettaient en bordure de nos îles

De grands rêves soulevaient nos vagues

Et enfouissaient les mots sous les sables du monde

Voici que pleurent les filaos

Nous avons passé le seuil des Indes

Passé le seuil des syllabes inconsolées

Car nul n’est à l’abri du silence

Et la vie est toujours un piège qui recommence

Et ce que nous habitons c’est la pensée du monde

Ivresse des mots

Malemort des mots

Nous sonnerons les pluies métisses

Nous ameuterons la Lézarde

Car

Nous sommes un peuple de traces prophétiques

De paroles dénouées

De paroles volées au mur de l’horizon

Et le conte en nous a toujours fait sa ronde

Pays fêlé et de mers dilatées aux flancs du monde

Nous en savons l’usage et le boucan de soleil noir

Le balan du souffrir

L’allégresse des argiles

La roche ingouvernable aux portes des rivières

Pays de sel

Le poète a jeté les dés des secrets

Tapissé le gouffre de nos lumières

Et défroissé les midis de la mer

Naissance des naissances

Le poète fait foule

Et sa mort justifie le soleil des consciences

Chacun inventera ses mots

Chacun sondera son propre sel

Allumera

Sa propre bougie

Sa propre étoile

Pour mieux se souvenir que

Le ciel s’est incliné pour ramasser sa lumière

Mais il nous appartient

Son rêve nous appartient

Nous garderons l’empreinte du Prince

Nous avons rendez-vous avec l’informulable

Sa parole

Est un siècle

Une jungle en veilleuse

Ame inquiète du monde

Un archipel aux yeux d’éclipse

Sa parole

Tant de soleils déménagés

Tant d’océans bouclés aux chevilles des racines

Tant de villes enjambées

Tant d’étoiles déterrées

Je parle au nom d’un poète

D’une écriture totale et totalement indélébile

Et je regarde mûrir l’horizon

Et je demande l’hospitalité du Tout-Monde

Et je plante un acomat

Et je ceins le rocher du Diamant

Qui emprunte ton visage à venir

Cette louange couronnée d’oiseaux marins

Ce gardien royal inspiré par tes songes

Et dans ce lieu

Où la pierre se fait flamme

Dans ce lieu de beauté intraitable

Je regarde passer l’âme du monde

La belle parole du monde

Ernest Pépin

Faugas le 04 février 2011

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