Bonne gouvernance en Afrique : il reste d’énormes progrès à faire


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La Fondation Mo Ibrahim, qui récompense et encourage la bonne gouvernance en Afrique, a décidé en juin dernier, pour la deuxième année consécutive, de ne pas remettre son Prix récompensant l’excellence d’un ancien chef d’Etat africain. L’homme d’affaires soudanais Mo Ibrahim revient sur les raisons de cette décision.

Il y a dix ans, le magazine The Economist indiquait à ses éminents lecteurs du monde entier que l’Afrique était « Le continent sans espoir ». Ce faisant, il exprimait alors un sentiment répandu, qui faisait de l’Afrique un continent arriéré, dénué de toute perspectives de croissance, et affublé de dirigeants au mieux corrompus, au pire criminels.

Comme le périodique a eu l’obligeance de le reconnaître, il s’est trompé. Depuis dix ans, L’Afrique affiche de nombreuses raisons d’espérer. Sa croissance dépasse la moyenne mondiale. Des entreprises florissantes ont émergé, et, prenant enfin conscience du gigantesque réservoir de ressources naturelles qu’est le continent, les financiers ont commencé à s’intéresser à son potentiel d’investissement. Les petits génies des banques d’investissement, qui méprisaient avec tant d’arrogance les opportunités d’investissement sur le continent, tout en déversant des milliards sur les dérivés en chocolat de la bulle immobilière américaine, se sont spectaculairement trompés sur l’Afrique, comme sur le reste.

Il reste que la manière dont les pays africains sont gouvernés demeure une préoccupation de premier rang. C’est précisément pour conforter une gouvernance de qualité et l’excellence en matière de leadership que j’ai mis en place le Prix Ibrahim il y a quelques années. Avec les ressources nées de l’investissement dans la téléphonie mobile en Afrique, ma Fondation est en mesure de décerner annuellement le Prix le plus élevé qui soit – 5 millions de dollars sur dix ans. Ce Prix est décerné à d’anciens dirigeants africains ayant bien gouverné leur pays, respecté leur constitution nationale et quitté le pouvoir en laissant le pays dans un meilleur état qu’ils ne l’avaient trouvé.

Les deux premières années, deux Lauréats ont été retenus – Joaquim Chissano, ancien Président du Mozambique, et Festus Mogae, ancien Président du Bostwana. Peu connus à l’extérieur du continent, ces deux dirigeants se sont révélés de remarquables hommes d’États et ont mérité leur victoire. En rendant hommage à leur excellence, la Fondation a démontré que l’image caricaturale réservée aux dirigeants africains était erronée.

Cette année, comme l’année dernière, le Comité d’attribution du Prix, présidé par Kofi Annan et indépendant du Conseil d’administration de la Fondation, n’a pas désigné de Lauréat. Est-ce à dire pour autant, comme pourrait l’estimer The Economist, qu’une gouvernance de qualité en Afrique est une illusion ? Est-ce à dire que cette Fondation, créée pour rendre hommage à la gouvernance, a finalement simplement prouvé son impossibilité en Afrique?

Bien évidemment non. Avec ou sans Lauréat, l’objectif de la Fondation est de stimuler le débat, en Afrique et au-delà, sur ce qui constitue une gouvernance d’excellence. Les critères fixés pour remporter le Prix sont exigeants, et chaque année, le nombre de candidats éligibles est restreint. Il n’est donc pas inattendu qu’il y ait des années sans prix.

La gouvernance s’améliore en Afrique

De nombreux pays africains ont accompli des progrès conséquents, non seulement sur le plan économique, mais aussi en termes de gouvernance. En complément du Prix, la Fondation édite chaque année un Indice de la gouvernance des pays africains, rigoureusement documenté. Son objectif est de fournir une information exhaustive sur la manière dont un pays est gouverné, et dont ses voisins le sont. Ses résultats montrent que si la qualité de la gouvernance varie nettement d’un pays à l’autre, des améliorations conséquentes sont intervenues ces dernières années. Que le Prix soit ou non décerné, la gouvernance s’améliore en Afrique.

Pour autant, la Fondation n’entend pas faire preuve de la moindre complaisance envers les normes de gouvernance sur le continent. Il est évident qu’il reste d’énormes progrès à faire. C’est pourquoi la Fondation a décidé d’affecter les fonds qui étaient réservés au Prix cette année au financement d’une initiative complémentaire en faveur de la gouvernance de qualité.

Nous sommes en train de monter un programme de bourses d’excellence. Il s’agit d’un programme sélectif visant à identifier et former des représentants de la future génération de dirigeants africains. Le programme visera à identifier chaque année quelques cadres déjà hautement qualifiés qui pourraient notamment compléter leur formation au sein de grandes institutions internationales, dont le cœur de métier est d’améliorer les perspectives économiques et sociales des Africains. Nous estimons qu’ils peuvent en tirer profit et décider de jouer un rôle clé pour la gouvernance sur leur propre continent.

Conforter une gouvernance de qualité en Afrique est plus important que jamais. La bonne gouvernance sera cruciale pour que les Africains bénéficient de la forte croissance économique que beaucoup anticipent.

Car loin d’être désespérante, l’Afrique regorge de potentiel et d’espoirs, davantage sans doute qu’aucun autre continent désormais. L’enjeu consiste à faire en sorte que ce potentiel soit utilisé de façon optimale. Voilà ce à quoi nous souhaitons contribuer, en mettant à disposition des Africains les éléments permettant d’évaluer les performances des gouvernements, en honorant les dirigeants d’exception et en aidant les plus brillants espoirs du continent à acquérir les compétences qui permettront aux gouvernements de répondre aux aspirations de leurs citoyens. Tel est, fondamentalement, le vrai Prix sur lequel se concentre la Fondation.

Par Mo Ibrahim

Le site de la Fondation Mo Ibrahim

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