Présidentielle en Guinée : vers la fin d’une attente fébrile


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Les premiers résultats des élections présidentielles sont attendus ce vendredi soir en Guinée. Leur publication a été reportée de deux jours, rendant l’attente des Guinéens plus fébrile. De multiples cas de fraudes ont été révélés par la société civile et les partis politiques qui appellent néanmoins au calme. A L’instar de la communauté internationale qui exhorte la classe politique guinéenne à faire preuve de sérénité à l’annonce des résultats du premier scrutin libre et démocratique du pays depuis son accession à l’indépendance.

«La vie à Conakry continue toujours à tourner au ralenti. A Kaloum, centre administratif et centre d’affaires par excellence, les activités sont en « berne »», décrivait le site d’information Guinéenews dans un article publié ce jeudi. Le constat vaut pour l’ensemble du territoire guinéen depuis dimanche où ont eu lieu les opérations de vote de la première présidentielle démocratique organisée dans ce pays depuis son indépendance en 1958. La Commission nationale électorale (Ceni), autorisée par la Cour constitutionnelle, a reporté de 48h la proclamation des premiers résultats, prévue pour mercredi. Le retard pris par la Ceni et les multiples cas de fraudes répertoriés par la société civile et les partis politiques exacerbent des tensions sociales et ethniques cristallisées par le scrutin présidentiel du 27 juin. Le Conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSCG) a ainsi constaté « avec regret la situation de psychose et l’installation d’un climat délétère qui portent atteinte à la paix sociale et à la stabilité de la Guinée » dans un communiqué publié le 1er juillet. Même son de cloche à la Ceni. « Plus le temps passe, plus la fièvre monte et plus les risques sont grands par rapport à l’acceptation des résultats par les différents candidats », a reconnu il y a quelques jours, selon l’AFP, le président de la Ceni, Ben Sékou Sylla.

Des fraudes confirmées

Les soupçons de fraude ne sont pas de nature à apaiser les Guinéens. Le CNOSCG déplore, toujours par voie de communiqué, « la circulation de rumeurs et de propos tendant à remettre en question la crédibilité et la transparence du processus électoral, ainsi qu’à cultiver une situation de tension ». Sur les vingt-quatre partis engagés, vingt estiment que les élections sont entachées d’irrégularités. La Ceni a admis qu’il y a eu « beaucoup de cas de fraudes » et que des personnes avaient été « appréhendées et mises à la disposition de la justice ». L’Union des forces républicaines de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo, l’un des favoris de cette élection avec Alpha Condé du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) et Sidya Touré de l’Union des Forces républicaines (UFR), a relevé des « irrégularités » dès le lendemain du scrutin. Alpha Condé a estimé, pour sa part, que le président de la Ceni avait « tout fait pour que le scrutin se passe mal ». Le CNOSCG a également signalé des cas de fraudes dans certains bureaux de vote de la capitale Conakry et dans la région du Fouta Djallon, fief du candidat de l’UFDG.

Les acteurs de la société civile se sont évertués à rappeler à « tous les acteurs politiques que tout contentieux électoral devra se régler auprès de la Cour Suprême après la proclamation des résultats provisoires par la Ceni ». Pour les observateurs internationaux, le scrutin présidentiel guinéen n’a été entaché d’aucune irrégularité majeure. Ils ont également indiqué, notamment ceux de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, qu’ils suivaient de « de près l’évolution de la situation relative à l’élection présidentielle du 27 juin 2010 en Guinée ». La mission de la Cedeao a ainsi lancé, dans un communiqué, un « appel solennel à tous les candidats de l’élection présidentielle du 27 juin 2010 et à leurs militants afin qu’ils s’abstiennent de faire toute déclaration prématurée sur le résultat du scrutin et d’attendre patiemment le verdict officiel des urnes tel qu’il sera annoncé par les autorités compétentes ».

L’ethnie dans les urnes

Dans un pays miné par les tensions ethniques, certains craignent que l’annonce qui sera faite ce vendredi soir, aux alentours de 20h GMT (heure locale), ne plonge la Guinée dans la violence. Selon Mamadou Aliou Barry, président de l’Observatoire national de la démocratie et des droits de l’homme (ONDH), « les militants s’affilient à un parti, non pas pour des raisons idéologiques et politiques, mais parce qu’ils ont un parent qui est chef de parti. » Et Mamadou Taran Diallo, le président de l’Association guinéenne pour la transparence, de décrypter cette logique du vote. « L’absence de démocratie et la limitation des libertés (depuis 1958, ndlr) ont fait que les gens se sont repliés sur leur ethnie et région. Les leaders en font une exploitation politique. », explique-t-il. Cellou Dalein Diallo a son fief électoral en Moyenne Guinée, peuplée majoritairement de Peuls, population qui représente 40 % des habitants de la Guinée. « Des peuls considèrent à présent que c’est leur tour » de gouverner, poursuit Mamadou Aliou Barry. Alpha Condé a, quant à lui, établi son fief en Haute Guinée où les Malinkés sont majoritaires.

La Guinée a d’abord été dirigée pendant 26 ans, de 1958 à 1984, par Ahmed Sékou Touré, un Malinké. Redoutant un « complot peul » en 1976, le président guinéen avait alors réprimé cette ethnie. Puis le Soussou Lansana Conté a régné 24 ans, de 1984-2008. A la mort de ce dernier, le Guerzé Moussa Dadis Camara s’est hissé, avec l’appui de l’armée, au pouvoir dont a il été écarté à la suite d’une tentative d’assassinat en 2009. Depuis, le général de brigade, promu général d’armée ce mercredi par un décret signé par lui-même, Sékouba Konaté, un Malinké, assure la transition. L’officier a exprimé sa « fierté » pour avoir permis à la Guinée de connaître ses premières élections démocratiques.

S’ils sont tous montés au créneau pour dénoncer des fraudes, les leaders politiques guinéens tentent aussi d’apaiser les esprits. « Nous avons fait une première partie du chemin, notait le candidat de l’UFR, Sidya Touré dans un entretien accordé au quotidien ivoirien Le Patriote. Nous avons une autre partie à faire. Faisons en sorte que ces résultats soient en conformité avec les souhaits de la population ». Sidya Touré espère que son pays se retrouve « dans la fraternité » et qu’il démontre qu’il peut «se relever de ce demi-siècle de parenthèse ». A l’instar des 80% de Guinéens qui se sont déplacés pour choisir et qui seront certainement convoqués pour un second tour. Les projections, rapportées par l’agence Reuters, créditent Cellou Dalein Diallo d’environ 38% des voix, contre 21% pour Alpha Condé et 16% pour Sidya Touré.

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